À la suite des « affaires » de violence et d’abus sexuels révélées récemment dans la presse, et de la récente interview de Jean-Luc Rougé, actuel président de la fédération (et candidat à sa propre succession ce dimanche), sur RTL, deux anciens cadres fédéraux de renom, Hector Marino et Patrick Roux, s’expriment dans la lettre ouverte qui suit. Ils rapportent avoir alerté, à l’époque, sur des faits de violence érigés en mode éducatif, mais rien n’a été fait.
« Depuis une semaine, de terribles révélations ébranlent la fédération française de judo, ses leaders, sa direction technique. Des témoignages insoutenables d’abus et de violences, de sévices et de brutalités inqualifiables sont évoqués dans les médias.
Patrick Roux : En 2005 et 2006, j’avais recueilli par hasard quelques informations de la part d’athlètes d’un pôle espoirs dans le Sud et de professeurs de la région. J’avais alors alerté les instances de la FFJDA. J’avais insisté et proposé une rencontre directe avec une athlète de pôle, victime de violences (et dont le témoignage a été publié dans Le Parisien). À mon grand étonnement, à la suite de l’entretien, les instances ont déclaré que le témoignage n’était pas crédible. L’athlète en est ressortie très déboussolée…
J’ai tout de même suggéré d’ouvrir au moins une enquête interne, afin de savoir ce qu’il se passait exactement, étant donné qu’il y avait des témoins. J’ai essuyé un refus catégorique et on m’a répondu que « les gens n’avaient qu’à écrire à la fédération », et que « tant qu’il n’y a pas de plainte, on ne peut rien faire ».
Hector Marino : J’ai également témoigné (hier sur RTL) pour raconter ce dont j’avais été témoin lors de stages et d’entraînements jusqu’en 2006. À cette époque, j’avais essayé, moi aussi, d’alerter les instances fédérales. Je leur ai même adressé un long courrier. Éconduit, j’ai à contrecœur pris la décision de démissionner, alors que j’adorais mon métier d’entraîneur !
Comment ne pas comprendre que si nous ne réagissons pas promptement lors d’abus, de brutalités physiques et de violences psychologiques avec des mineurs (14 à 17 ans), nous prenons le risque qu’il se passe bien pire !?
Comment peut-on parler de valeurs et d’éducation dans un environnement où on laisse des personnes, des cadres, commettre de tels actes avec nos jeunes judokas !?
Comment ne pas penser que si les instances ont préféré ne rien faire à l’époque, c’est parce qu’elles craignaient que cela nuise à leur image, à une étrange vision du « développement », et sans doute aussi à leurs carrières !?
Et si ces instances nous avaient pris au sérieux en 2006 ? Si on nous avait écoutés à l’époque, avec la volonté de comprendre ce qu’il se passait vraiment, plutôt que de conclure si vite qu’il ne se passait rien ?
Cette situation nous est rapidement devenue insupportable et, n’ayant pas à l’époque les informations dont nous disposons aujourd’hui, nous étions impuissants et bien seuls dans cet enfer.
Tout cela a contribué à notre départ de la fédération française de judo : pour un long séjour à l’étranger (en Grande-Bretagne puis en Russie après les Jeux de Londres en 2012) en ce qui concerne Patrick, pour la fin de sa carrière d’entraîneur – un métier qu’il aimait – en ce qui concerne Hector.
Aujourd’hui, les scandales éclatent aux grands jours.
Si les instances de l’époque (2005-2006) nous avaient écoutés, si elles avaient voulu avoir du courage, certains drames récents ne se seraient peut-être pas produits. Leur faute nous paraît immense !
Quelques instances départementales et régionales étaient parfois aux premières loges et savaient parfois beaucoup de choses…
Ils n’ont rien dit pour conserver des postes, pour ne pas être mis en difficulté, parce qu’ils espéraient quelque chose comme un grade, une sélection, une place dans une commission quelconque. C’est indigne !
Enfin, il y a les pires, ceux qui ont commis ces actes de violence envers des mineurs. Ceux qui en ont fait une sorte de méthode dans certains endroits, lors de certains stages où étaient souvent regroupés des minimes, cadets et juniors.
Et tout cela a été, d’une certaine manière, caché, étouffé, minimisé par les instances de notre fédération, pendant longtemps, trop longtemps. Il faut que cela change, et c’est pour cette raison que nous prenons la parole.
Il est temps que quelqu’un se lève et fasse ce qui doit être fait. Le judo français joue sa survie. »
Patrick ROUX et Hector MARINO