La photo est à la fois belle et symbolique. Sur la troisième marche, Clarisse Agbegnenou. Sur la seconde, Miku Takaichi (ex-Tashiro), que la Reine Clarisse battit deux fois en finale des championnats du monde. Des combats homériques, exceptionnels et même inoubliables comme cette finale à Tokyo en 2019 qui reste encore un des plus grands combats de ces dernières années. Tina Trstenjak, la Slovène, vient compléter cet instantané débordant de talents et de titres. Désormais retraitée de la compétition, mais restant plus que jamais engagée dans le judo de son pays et européen, la championne olympique de Rio, préposée à la remise de médailles, posera à nouveau après, mais seulement avec Clarisse Agbegnenou, pour une photo entre amies.
Une journée que la sextuple championne du monde tricolore termine donc en bronze. Cinquième médaille en Masters pour Agbegnenou, qui ne disputait là que sa troisième compétition depuis sa reprise, suite à sa pause maternité. Championne du monde mi-mai à Doha, la Française, vingt-troisième à la ranking-list mondiale était là pour engranger à la fois points et repères. Exemptée de premier tour suite au forfait de la Hongroise Ozbas (la médaillée mondiale 2023 n’était pas au poids), elle fera le job avec sérieux et application. Si elle bute sur Miku Takaichi en demi-finale, la double championne olympique satellise la jeune Tchèque Zachova pour le bronze sur un koshi-guruma surpuissant avant de garder sa proie au sol, sur un Reiter.
Une Agbegnenou pas à son pic de forme, comme elle l’expliquait au sortir du tapis, à notre confrère de RMC Sport, Morgan Maury.
Ce soir, la Française prend 900 points valorisés à 100% et des informations sur des adversaires qui essayeront de se mettre en travers de son chemin dans un an à Paris. Outre Takaichi, qui prend une longueur d’avance sur Horikawa dans la course olympique, il y a aussi la Kosovare Laura Fazliu, qui avait battu Agbegnenou au Grand Chelem de Tel Aviv en février, et qui règle tout ce petit monde aujourd’hui avec un judo typique de la jeune république balkanique : classique mais très puissant. Des retrouvailles, lors des championnats d’Europe de Montpellier, entre les deux meilleures -63kg du Vieux Continent qui pourraient bien être extrêmement intéressantes. Après un gros bloc de travail, place à un peu de repos pour la Française qui a, après cette compétition, engrangé de nombreuses informations quant à ses prochains axes de travail. Une compétition positive, à tous points de vue.
Engagés également ce samedi, Margaux Pinot (-70kg, US Orléans Loiret JJJ) manque une occasion alors que Marie-Ève Gahié, blessée au genou lors des championnats de France par équipes, avait déclaré forfait pour cet événement. Elle qui avait été exceptionnelle lors de la compétition par équipes à Doha, elle n’aura jamais trouvé le bon timing pour faire chanceler la jeune Espagnole Ai Tsunoda-Roustant. Une combattante qui a battu cette saison et Gahié (c’était en finale à Paris début février) et donc Pinot après un golden score où le sode-tsuri-komi-goshi de la double championne du monde juniors aura finalement fait mouche.
Benjamin Axus (-73kg, AJA Paris XX), lui aussi, loupe la possibilité de gagner une étape dans la course d’endurance qui l’oppose à ses concurrents nationaux en vue de Paris 2024. Les intentions étaient là puisqu’il se montre le plus dangereux et sur l’initiative face au Kosovare Akil Gjakova. Mais le règlement – absurde – va lui jouer un bien mauvais tour avec un hansokumake pour « diving » alors que la tête du champion de France 2022 est totalement désaxée et que son épaule vient toucher le sol moins d’une seconde après sa tête. Une application sans discernement mais conforme aux décisions prises à Doha par les superviseurs lors du grand raout mondial.
L’obscure clarté arbitrale
Un point de règlement dont l’apogée ubuesque allait être atteinte avec la disqualification de la championne du monde japonaise – originaire de Tenri – Saki Niizoe, lors de sa demi-finale face à la Néerlandaise Sanne Van Dijke (voir ci à partir de 4’15 : https://live2000.ijf.org/masters_2023/contest_video/masters_2023_0002_f_0070_0031). Spécialiste d’uchi-mata, la Nipponne se voit sanctionner pour la même raison que le Français, mais dans une configuration qui pose, passé le ridicule du moment, tout de même des questions graves : comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer/justifier aux profanes de notre discipline une telle décision ? Comment ne pas comprendre qu’une telle sanction pourrait très vite désinciter à l’utilisation d’uchi-mata ? On ne saurait le jurer, mais la sanction annoncée par l’arbitre mexicaine provoquait même chez Sanne Van Dijke un sourire ironique.
Un samedi qui aura d’ailleurs montré un arbitrage dont l’inintelligibilité ne trouve pas de voie, même minime, vers la clarté. On remarquera d’ailleurs, que depuis Doha (et la finale entre Hifumi Abe et Joshiro Maruyama), les différents publics n’hésitent plus à clamer très disctinctement leur désaccord avec les décisions arbitrales prises par les superviseurs. La question se pose : un verrou est-il en train de sauter au sein des spectateurs/amateurs du monde entier face à ce qu’ils estiment être des décisions allant à l’encontre de leur vision du judo ? La boite de Pandore est-elle désormais ouverte depuis les championnats du monde ?
Ce samedi, le public hongrois ne se priva pas de faire savoir son mécontentement lors de la demi-finale entre Tato Grigalashvili, le fantastique attaquant champion du monde géorgien des -81kg et le Brésilien Guilherme Schmidt, où le premier se voyait sanctionner pour non-combativité suite à des attaques au raz du sol et sans préparation du Carioca. De l’activité pure, sans aucune de chance de projeter son adversaire mais qui répondait visiblement aux critères d’attaque définis depuis le début de l’olympiade.
Le Japon impose son rythme
Grigalashvili, si souverain depuis le début de l’olympiade (deux titres mondiaux, un titre européen, un Masters) connaît donc sa première défaite depuis le Grand Prix de Zagreb en juillet 2022 face à Alpha Djalo. Un champion du monde en dessous de son niveau stratosphérique des grands rendez-vous. On remarquera d’ailleurs que tous les champions du monde sacrés il y a presque trois mois (Christa Deguchi blessée aux côtes au premier tour, Clarisse Agbegnenou, Saki Niizoe, Nils Stump et donc Grigalashvili) n’ont pour l’instant pas réussi à s’imposer ici à Budapest. Une statistique qui s’explique par une saisoninédite et épuisante avec deux championnats du monde et deux Masters !
Un samedi où le Japon continue d’engranger sereinement : cinq médailles dont le titre pour Soichi Hashimoto en -73kg. Fidèle à son style, il traverse son tableau pour aller battre en finale la surprise Tadjik Behruzi Khojazoda, 22e mondial. En argent on retrouve Miku Takaichi, battue par le pieux kosovar Laura Fazliu sur un sasae-tsuri-komi-ashi de mammouth. Enfin en bronze, Megumi Horikawa, Saki Niizoe et Takanori Nagase permettent à l’équipe niponne de prendre le large avec déjà dix médailles.
L’Europe fait le job tout de même avec les victoires du Belge Mathias Casse en -81kg, qui gère le Brésilin Schimidt d’entrée avec un modèle de yoko-tomoe-nage, et Sanne Van Dijke en -70kg, qui profite d’une faute grossière au kumikata de la vigoureuse Grecque Elisavet Teltsidou pour aller chercher son premier Masters.
Ce soir la France pointe au deuxième rang avec trois médailles, toutes féminines et de chaque métal.