Sarah-Léonie Cysique (ACBB Judo), cinquième en -57kg.
Crédit photo : Emanuele Di Feliciantonio/IJF

L’équation est connue et habituelle : avec les quatre meilleurs Japonais dans chaque catégorie, ce Grand Chelem de Tokyo est synonyme de test de haute volée. Si vous y ajoutez les numéros un russes, les meilleurs atouts féminins coréens et une équipe géorgienne costaude (mais sans la majorité de ses leaders masculins — Giorgi Sardalashvili, Vazha Margvelashvili, Tato Grigalashvili, Lasha Bekauri et Guram Tushishvili), vous obtenez alors un tournoi à la densité infernale, évité par de nombreux leaders mondiaux.

Une configuration avec laquelle ont dû faire face les trois Français du jour : Shirine Boukli (FLAM 91) en -48kg, Sarah-Léonie Cysique (ACBB Judo) en -57kg et Maxime-Gaël NGayap-Hambou (Arts martiaux Asnières) en -90kg.
Ce samedi, c’est l’ACBB Girl qui s’en sort le mieux, même si elle termine à une frustrante cinquième place. Une journée éreintante avec rien de moins que la championne du monde, la vice-championne du monde, la médaillée d’argent du Grand Chelem de Tashkent 2025 et une Russe qui pointe à la vingtième place mondiale. Tête de série n° 3, Cysique se défait d’entrée d’Ayami Takano sur un makikomi à gauche au début du golden score. Un premier combat aux couteaux qui sera suivi d’une victoire construite très tôt contre Irina Zueva, grâce à un joli ko-soto-gake à gauche. Une combattante russe que la Française bat pour la troisième fois consécutivement, après deux rencontres contre elle lors des championnats du monde 2025.
Qualifiée pour le dernier carré, Cysique se retrouvait en compagnie de trois Japonaises. Allait-elle dompter le quatuor nippon chez lui  ? C’était très bien parti avec un yuko marqué sur un o-soto-gari lancé à une main contre Momo Tamaoki, en argent aux Mondiaux en juin. Mais la Japonaise se rebellait en se jetant dans un seoi-nage désespéré, un premier yuko à l’arrache qui la motivait pour se lancer à l’abordage et en marquer un second sur un contre arrière dans la continuité (la nouvelle tendance arbitrale), un petit yuko encore, mais une séquence sur laquelle la Française n’avait pas su se hisser au bon niveau de rythme, alors qu’elle avait la finale à sa portée. Une défaite rageante d’autant que c’était la championne du monde géorgienne Eteri Liparteliani qui attendait désormais Cysique pour le bronze. L’espoir d’une médaille était bien là : neuf duels entre les deux combattantes, neuf victoires cysiquiennes ! Une dixième à suivre ? Non car la Géorgienne a désormais changé de braquet. De plus en plus physique et engagée, de plus en plus efficace aussi techniquement et lucide tactiquement, elle allait chercher une projection, mi-sumi-gaeshi mi-tawara gaeshi, dans la continuité de l’action encore une fois – une donnée qu’il va falloir intégrer côté français – qui lui permettait de marquer waza-ari et de briser le signe indien cysiquien. Elle gérait tant bien que mal sur la fin du combat, avec deux shidos pris en moins de vingt secondes. Sarah-Léonie Cysique paye par deux fois un moment de déconcentration sur un relevé du sol sans être en dessous de ses adversaires, et montrant même une vivacité et une efficacité rassurantes. Fautes d’inattention qui coûtent cher néanmoins, dans un parcours  aussi escarpé que celui d’un championnat du monde.

Boukli, un grain de sable dans la machine ?

Pour Boukli et NGayap Hambou, ce samedi fut bref, puisqu’ils perdent dès leur entrée en lice contre deux adversaires nippons. Mizuki Harada pour Boukli. 22 ans, 138e mondiale, cette combattante de l’université de Nichidai victorieuse de la Coupe du Kodokan et championne du monde universitaire cet été, faisait à Tokyo son premier Grand Chelem en carrière. Pas de quoi normalement troubler la médaillée olympique française qui s’appliquait d’entrée à contrôler la manche droite de son adversaire. Concentrée sur ce point, Boukli cherchait ensuite à placer sa main droite pour une attaque. Mais sur la première banderille lancée, Harada passait dans son dos pour un tani-otoshi efficace. Yuko. Puis, quelques séquences plus tard, c’est elle qui contrôlait pour la première fois la manche droite de la Tricolore, avant de lancer un ample uchi-mata pour ippon. Efficacité clinique pour la Japonaise qui terminera en bronze. Boukli, elle, vient de connaître quatre défaites sur ses cinq dernières rencontres. Un ratio surprenant pour la Gardoise, qui restait sur une médaille de bronze au Grand Prix de Chine, mais où elle n’aura disputé que deux combats (une victoire et une défaite contre des combattantes très loin au classement). Fatigue ? Grain de sable dans la machine ? Paris sera l’occasion d’y voir plus clair.
Pour NGayap-Hambou, ce fut Hidetoshi Tokumochi, vainqueur de la Coupe du Kodokan 2025 et 190e mondial. Non classé au Grand Prix de Zagreb, le vice-champion d’Europe 2025 et médaillé olympique tricolore cherchait l’ouverture avec sa garde croisée et son o-uchi-gari, mais sans réussir à déstabiliser son adversaire nippon. Pas grand-chose à noter du côté de Tokumochi, mobile et concentré sur les mains pour rester vivant dans le combat (hormis un koshi-jime pas loin d’aboutir), avant un o-soto-otoshi « plat ventre » au golden score qui mettait fin aux espoirs du Tricolore. Un de ces yuko très énervants du moment, qui ne sanctionne plus un impact, mais un « kinza » (un simple avantage) à l’ancienne. Les « 90° degrés ou presque » qui définissait le yuko il y a peu, ont disparu avec l’eau du bain. Défaite agaçante, car il y avait quelque chose à faire dans un quart de tableau allégé considérablement par l’absence de Lasha Bekauri, annoncée la veille..

Cinq titres pour le Japon, Sulamanidze et Endovitskii en super costauds

Un samedi sans médaille, donc, pour le clan français dans une compétition écrasée comme attendu par les Japonais avec cinq titres et dix-neuf médailles, mais où deux titres tout de même leur échappent. Ainsi, si les stars telles qu’Uta Abe en -52kg, Sanshiro Murao en -90kg ou Haruka Kaju en -63kg (elle en est désormais à vingt-sept victoires consécutives pour zéro défaite sur le circuit, avec un titre continental et un titre mondial à la clé) ont parfaitement tenu leur rang, l’un des faits du jour tient dans la victoire de deux masculins européens au Tokyo Gymnasium : celle du Géorgien Ilia Sulamanidze en -100kg et du Russe Valerii Endovitskii en +100kg.

Le premier, vice-champion olympique 2024, se montre intouchable avec un succès contre le champion du monde russe Matvey Kanikovskiy en demi-finale — ce dernier ayant sans doute glissé sur son pied gauche dans un grand mouvement de hanche en rotation, le Géorgien n’ayant qu’à l’accompagner sur le dos — puis contre le Japonais Dota Arai, vice-champion du monde, sur un magnifique tai-otoshi très bas (en forme morote-seoi), en finale. Auparavant, il avait battu l’autre Russe, Niiaz Bilalov, sur un okuri-ashi-barai plein de spontanéité. Une journée XXL pour ce combattant aussi à l’aise sur un tatami que devant un piano. Une journée sans fausse note pour ce -100kg qui représente la relève dans le groupe de Lasha Gujejuani, et qui est désormais le troisième géorgien à avoir remporté le Grand Chelem de Tokyo après Advantil Tchrikishvili en -81kg et Beka Gviniashvili en -90kg. Quant au combattant de Tokai Dota Arai, déjà deux fois médaillé mondial seniors, très performant dans chacune de ses sorties, le moins qu’on puisse dire et qu’il ne trouve pourtant pas la solution face aux tous meilleurs de la catégorie. Il reste en effet sur trois défaites cuisantes contre Kanikovskiy et deux contre Sulamanidze. Notons tout de même que ce combattant n’a que 20 ans. Il est jusqu’à la fin du mois junior troisième année ! Un junior aussi constant au très haut niveau mondial seniors est rarissime. L’avenir lui appartient sans doute… Mais le sommet reste escarpé.

Le second ne fait pas de bruit. Et pourtant. Vice-champion d’Europe 2025 en ayant posé de gros problèmes à son compatriote Inal Tasoev à cette occasion, ce combattant de 25 ans, sorti une seule fois depuis — il finit en bronze aux championnats du monde universitaires — permet à la Russie de remporter un titre de grand prestige ce samedi. Il n’était pas le Russe attendu à ce niveau, mais sa journée confirme les très belles choses aperçues du côté de Podgorica fin avril. Sur ces quatre combats du jour, il bat trois Japonais : Kazuya Sato, Yuta Nakamura et Hyoga Ôta en finale ! Son o-uchi-gari est une merveille. Un spécial grâce auquel il incruste dans le tapis Sato, et surtout Nakamura. En finale, son makikomi, lancé sur le gong, fait craquer Ôta. Une journée référence, qui permet à Endovitskii de s’affirmer encore plus dans la hiérarchie russe. Troisième, Inal Tasoev s’était fait surprendre en demi-finale par le beau fouetté en uchi-mata d’Ôta. Une première défaite pour le champion d’Europe et du monde depuis une demi-finale au Grand Chelem de Tashkent en mars 2024.

Demain, à suivre le parcours des deux -60kg, Romain Valadier-Picard et Luka Mkheidze, du -66kg Daikii Bouba, de la -78kg Fanny-Estelle Posvite et de la +78kg, Romane Dicko à qui le tirage a offert un parcours dantesque entre Japonaise, Russe et Coréenne. Mais Tokyo, c’est ça.