Au fil des mois qui ont suivi, en mars 2020, l’annonce du report des Jeux olympiques de Tokyo, il est vite devenu clair que le grand rendez-vous du sport mondial dans la capitale japonaise allait bien se tenir. Qu’importe l’opinion publique majoritairement opposée à la venue de ces quelque onze-mille compétiteurs venus des quatre coins de la planète, qu’importe les statistiques annonçant un regain de la contamination de la population nippone… Le CIO et les organisateurs japonais ont tenu le cap, quitte à se priver de spectateurs étrangers, puis locaux, et à contraindre les participants à des mesures de contrôle très strictes. Malgré tout, les Jeux restent les Jeux, et tous ceux qui avaient la chance de pouvoir les vivre se sont conformés aux divers protocoles pour pouvoir y participer.
Pour ma part, comme vous tous, je me suis ainsi retrouvé tous les jours derrière mon écran de télévision, ravi d’assister à des Jeux paradoxalement modernes dans leur modeste expression. Lors de la cérémonie d’ouverture, nous étions loin du faste de Londres ou de Pékin, mais la fierté nationale envers notre patrimoine culturel, technologique et culturel fut remarquablement exprimée. La preuve que la splendeur n’est pas un élément indispensable pour promouvoir l’olympisme et son socle de valeurs. Le CIO doit en prendre acte pour l’avenir, sous peine de voir les candidats à l’organisation des futures éditions manquer à l’appel.
De même, j’espère que le Comité international olympique retiendra la leçon climatique de ces Jeux de Tokyo, disputés lors de la période la plus chaude et humide de l’année chez nous. Les typhons Nepartak et Mirinae se sont joints à la fête, provoquant quelques reports d’épreuves, tandis que le marathon, relocalisé comme la marche athlétique à Sapporo pour sa supposée fraîcheur, a quand même vu une trentaine de concurrents de l’épreuve masculine jeter l’éponge et ne pas rallier la ligne d’arrivée. Pour la santé et le bien-être des athlètes, nous aurions très bien pu organiser, comme en 1964, les Jeux en automne, qui est vraiment une belle saison par ici. Avec les ravages prévisibles du réchauffement climatique, gageons que le principe « athletes first » primera sur les considérations des plus grands sponsors et des médias américains qui militent pour des Jeux estivaux afin de ne pas empiéter sur les saisons régulières de leurs sports fétiches.
Revenons désormais à ce qui nous intéresse ici, à savoir ces huit jours de judo disputés au Nippon Budokan. Comme lors du fameux combat entre Hifumi Abe et Joshiro Maruyama disputé dans le huis clos du Kodokan en décembre dernier pour la sélection de notre représentant japonais en -66kg, j’ai eu l’impression de suivre la compétition en étant au plus près de l’action. La respiration des combattants, les bruits de chaque mouvement, la sueur perlant au fil des efforts répétés, les regards déterminés, mais aussi les moments de fraternité après des affrontements parfois terribles… Comme si tout était mis en exergue par la complète sérénité offerte par le silence des lieux. Je crois que les amateurs de sport n’ont pu qu’apprécier de suivre les performances des meilleurs de chaque discipline dans ces conditions inédites. Tout le monde a pu s’émerveiller devant l’invincibilité affichée par Clarisse Agbegnenou, comme face à la réaction de champion de Teddy Riner après sa défaite en quart de finale. J’aurais forcément beaucoup aimé voir un Japonais le battre, mais ni Hisayoshi Harasawa en individuels, ni Aaron Wolf lors du par équipes n’y sont parvenus. Au-delà de l’amertume qu’ont dû ressentir mes compatriotes, nous ne pouvons que rendre hommage à Teddy. Pour Harasawa, il n’a pas su saisir bon nombre d’opportunités au sol, et il va être nécessaire pour lui de s’entraîner davantage dans ce domaine, à l’instar d’une Shori Hamada, incroyable en -78kg. Toutes ses adversaires ont beau connaître sa science du ne-waza, personne n’a su en réchapper pour la priver du titre. Il en fut de même pour Akira Sone le lendemain, parfaite de souplesse et de stabilité physique pour s’imposer en lourdes.
Vous connaissez mon aversion pour les combats dont l’issue se joue sur un troisième shido parfois douteux, et mon opinion n’a pas changé à la vue de combattants privés de leurs rêves olympiques sur une décision arbitrale souvent difficile à décrypter et extrêmement lourde de conséquences. Peut-être que la diffusion aux téléspectateurs des images scrutées – de longues secondes – par l’arbitrage vidéo aiderait à la compréhension générale, comme c’est le cas dans bien des sports.
Tokyo 2020 est désormais définitivement derrière nous. Et si la quasi totalité des athlètes locaux participant à la cérémonie de clôture ont exprimé leur satisfaction d’avoir été acteurs de ces Jeux hors normes auprès du président du comité olympique japonais Yasuhiro Yamashita, nous ne pouvons que souhaiter que tout rentre progressivement dans l’ordre et que les Jeux de Paris 2024 soient libérés de toutes ces entraves sanitaires