Un championnat du monde incognito
Vous êtes peut-être passés à côté de l’information : ce week-end aura lieu un grand rendez-vous mondial de judo. Les « Masters » ont en effet été pensé comme ça. Mais depuis 2010, date du premier de la série – avec un trou en 2014, ce qui ne fut pas un gage de sérieux pour un événement affiché à un tel niveau — le Masters n’est jamais complètement parvenu à surmonter ses trois tares de naissance. La première ? Etre né de l’inspiration de dirigeants influencés par le tennis, qui proposaient ce rendez-vous des élites, dans une discipline sportive qui comportait déjà un championnat du monde. La seconde va avec la première : ce rende-vous surnuméraire et loin de la culture du judo n’a jamais vraiment pris dans la tête de ceux qui comptent : les combattants, les encadrements et le public. Les athlètes rêvent de gagner les championnats du monde, pas le Masters. Preuve en est que, encore aujourd’hui après presque dix ans de recul, ceux qui peuvent s’en dispenser grâce à leur classement à la « ranking », n’hésitent pas à le faire, comme les deux terribles de la famille Abe, par exemple. La dernière faiblesse ? L’injustice d’un tournoi qui n’est ouvert qu’aux leaders de la ranking list et qui est doté en points quasiment comme un championnat du monde. C’est 1800 points qu’obtiendront les vainqueurs de ce Masters chinois, quand un titre mondial est valorisé 2000. Un Grand Chelem de prestige, comme Paris ou Tokyo, par comparaison, ne donne que 1000 points au vainqueur ! Sans parler des 700 points pour la victoire dans un Grand Prix… ou dans un championnat continental – lequel est clairement le grand perdant de cette mentalité « tennis » reflété par les choix de la FIJ. C’est dommage car on se rappelle toujours que Walide Khyar, par exemple, a été le magnifique vainqueur du championnat d’Europe 2016 à Kazan, beaucoup moins que cette année-là, Vincent Limare s’est hissé en finale du Master de Guadalajara, emportant au passage presque le double de points au classement. Bien géré, un Masters c’est quasiment deux ans de tranquilité pour un leader et un gros obstacle sur le chemin de la prise de pouvoir pour un concurrent qui monte en puissance, ou même pour un combattant qui a pris le temps de faire autre chose. Aujourd’hui Teddy Riner (33e) n’est pas qualifié.
C’est cette dotation volontariste en points qui fait que, malgré des motivations variables et souvent opportunistes (essentiellement, le Masters, c’est la garantie pour ceux qui ont fait un bon championnat du monde de totalement sécuriser leur montée en puissance vers les Jeux, et pour ceux qui ont raté, de se rattrapper au moins en termes de points de classement), malgré le fait que, pour certain(e)s, le Masters de Guangzhou seront la compétition de reprise après le « vrai » grand enjeu des championnats du monde de Bakou en septembre dernier, ils seront tous là, ou presque.
Ne boudons donc pas notre plaisir avec ce « remake » élitiste et sans passion des derniers championnats du monde. Car il y aura quand même du plaisir à voir en action les grands acteurs actuels, et à retrouver des duels qui nous ont fait vibrer à Bakou.
Buchard, Agbe, Gahié
Tous là ? Ce n’est pas tout à fait le cas des -48kg où la n°1 mondiale et championne du monde 2017 (2e en 2018) la Japonaise Funa Tonaki reste à la maison, ainsi que la grande championne du monde 2018 Daria Bilodid, qui se ménage sans doute pour cause de régime difficile. Il manquera aussi, du top 10, la Hongroise Csernovicki et la Kazakhe Galbadrakh, ce qui permet à Mélanie Clément, toujours 11e mondiale, d’entrée dans les têtes de série… mais tout de même dans le tableau de la terribe Argentine Pareto. Une occasion tout de même de se maintenir à flot dans le combat pour la qualification olympique.
Des absences aussi en -52kg avec Uta Abe, qui ne viendra pas tourmenter l’actuel n°1 mondiale… la Française Buchard. Absence aussi de sa compatriote Ai Shishime, vice-championne du monde 2018 et championne du monde 2017. Pas de Brésilienne Miranda, quadruple médaillée mondiale, ni non plus de Kosovares. Kelmendi et Krasnaqi absentes en plus de toutes les autres médaillées mondiales hormis Buchard, c’est une affaire qui se présente bien pour la Française qui a un excellent demi-tableau. Ce sera plus difficile pour l’autre Française présente, Astride Gneto, confrontée d’entrée à la terrible Russe Kuzyutina, et à la perspective d’une demi-finale contre la Japonaise Tsunoda.
Reprendre l’or qui manque depuis 2012
En revanche, la liste des inscrites en -57kg, comme en -63kg, est un décalque du classement mondial, ce qui permet à Hélène Receveaux de se glisser à la 14e place des 17 inscrites en -57kg, et à Clarisse Agbegnenou de prendre la première en -63kg. On se souviendra que la Dijonaise a toujours su profiter de ses ssélections au Master, puisqu’elle était finaliste en 2015 et 2016, troisième en 2017. Les Françaises devront néanmoins faire face, entre autres dangers, à deux Japonaises en -57kg et trois en -63kg ! Mais le choc des quarts pour Receveaux, c’est la formidable Rafaela Silva, championne olympique… rarement inspirée cependant pour les enjeux intermédiaires. Le duel Agbegnenou – Tashiro devrait avoir lieu en demi-finale. En -70kg, Elles auraient pu être aussi nombreuses, mais la championne du monde Chizuru Arai a choisi de ne pas venir, laissant sa finaliste Marie-Eve Gahié en leader mondiale face à une rivale un peu moins consistante à battre dans son quart, la Japonaise Niizoe, que la Française a battu trois fois sur trois en 2017. Dommage et injuste, Margaux Pinot, actuelle 23e mondiale, mais sur le podium des deux derniers Grands Chelems (l’or à Abou Dhabi, le bronze à Osaka), ne peut participer. En -78kg, c’est en revanche la Française Audrey Tcheumeo qui reste en retrait, laissant Madeleine Malonga, mais aussi Hawa Samah Camara, faire face aux deux Japonaises présentes, Mami Umeki et Ruika Sato (que Camara prend au premier tour) – mais pas la championne du monde Shori Hamada —et face aux trois Néerlandaises de la catégorie, dont les deux médaillées mondiales 2018, Marhinde Verkerk et Guusje Stenhuis. Dommage encore, on ne verra pas l’étonnante médaillée de bronze mondiale de Bakou, la Russe Babintseva, non qualifiée au titre de sa 24e place mondiale. Et la redoutable Mayra Aguiar, championne du monde 2017, ne sera pas là.
Les meilleures « lourdes » brésiliennes, en revanche, Altheman et Souza, toutes les deux dans le top 10, seront du voyage dans la catégorie des +78kg qui ne verra pas la Japonaise n°1 mondiale Sara Asahina, et dans un registre plus modeste, les solides Allemandes Weiss et Kuelbs. La formidable Cubaine Ortiz, n°2 mondiale, dominera des débats dans lesquels la Française Anne Fatoumata M’Bairo tentera de faire entendre sa voix… et de passer la meilleure Européenne d’entrée, la dangereuse Bosniaque Larisa Ceric.
L’enjeu pour ce formidable groupe féminin français ? La belle réussite d’ensemble qui lui permettra de voir venir, notamment en -48kg et en -57kg où tous les points seront précieux, mais aussi d’emporter, par l’une de ces championnes, une médaille d’or : la dernière date déjà de 2012, et c’était avec Lucie Decosse.
Abonnés absents
Même niveau de participation chez les hommes. En -60kg, les deux leaders japonais, Takato et Nagayama, n°1 et 2 mondiaux, champion du monde et médaillé mondial, restent eux aussi à la maison. Nagayama, pressenti, est finalement annoncé blessé. Le Japon ne sera représenté par personne, car Toru Shishime, 16e mondial, n’est pas là non plus. Tous les autres leaders mondiaux sont présents, dont trois Russes et deux Géorgiens (Papinashvili, n°3 mondial est le leader général). Pas de Français. En -66kg, le n°1 mondial Hifumi Abe, légèrement moins bien depuis quelques mois – il a d’ailleurs perdu deux combats en 2018 alors qu’il était invaincu depuis 2015 — se refait la cerise au chaud dans son université de Nittai. Le Japon sera représenté par le brillant Joshiro Maruyama, magnifique vainqueur, devant Abe, du Grand Chelem d’Osaka. Il ne manquera personne d’autre, soit, notamment, deux Russes, deux Kazakhs, deux Mongols, deux Israéliens. Pas de Français. En -73kg, le vainqueur d’Osaka, Shohei Ono, n’est pas qualifié pour ce Master, mais le n°1 mondial Hashimoto sera là et on se délecte à l’avance de son duel potentiel avec le champion du monde coréen An Changrim. L’Azéri Heydarov est absent, mais le danger Orujov sera bien là. Là encore, le Français Benjamin Axus n’est pas dans les points. En -81kg, on retrouve le champion du monde inattendu, l’Iranien Mollaei, mais le jeune vice champion du monde, un Japonais de 20 ans, Sotaro Fujiwara a décliné la revanche. C’est Takeshi Sasaki qui entre en piste en dernier qualifié… et sera opposé d’entrée au champion du monde ! Mais ce n’est pas un problème pour le Pays du Soleil Levant car il vient de gagner le Grand Chelem japonais. Là encore on retrouvera trois Russes, le champion olympique Khasan Khalmurzaev, le champion d’Europe 2017 Khubetsov et le médaillé européen Lappinagov. Le premier Français, Alpha Oumar Djalo, 36e mondial, est bien loin de la zone de qualification.
Le quart de la mort pour Maret
Enfin un Français en -90kg ! Notre unique médaillé mondial 2018, le fantastique Axel Clerget ne sera pas à la fête avec au premier tour le copieux Azéri Mammadali Mehdiyev, qui l’avait battu à Zagreb en 2018. Dans son quart ? Le champion du monde espagnol Sherazadashvili, qui fait son retour. Une excellente occasion pour le Français qui a battu l’Espagnol trois fois sur trois en 2014, 2016 et 2018 au tournoi de Paris.
Le second Français présent dans ce Master chez les masculins est en -100kg et il s’agit de Cyrille Maret. Un premier tour extrêmement difficile pour lui avec le Japonais Iida. Mobile et mortel techniquement, ce n’est pas ce que le Dijonnais aime prendre pour sonleau petit déjeuner, lui qui commence à montrer des signes de difficulté au démarrage. Mais ce sera aussi un tour difficile pour le Japonais de 20 ans qui a encore un peu de mal à gérer les gros physiques. Il reste néanmoins sur une victoire lors de leur unique rencontre en 2017. Tirage ignoble de toutes façons pour le Français qui rencontrerait ensuite le champion du monde Cho Guham, qui l’avait battu facilement à Bakou ! Si ça passe ça sera le terrible Russe Ilyasov, médaillé mondial ! Le quart de la mort, c’est pour Maret. On notera la présence, dans cette catégorie, de quatre Russes, un part quart de tableau. Joli travail de groupe.
Enfin en lourd, pas de Français évidemment, nous n’en sélectionnons même plus en tournoi. Tout le monde est là, sauf un… qui n’est d’ailleurs plus dans les points, Teddy Riner.
Si cette absence n’est pas préjudiciable pour le grand poids lourd, qui aura les moyens de se préparer au retour à coups de Grands Chelems victorieux (croisons les doigts…), elle est terrible pour les catégories où les Français manquent, et pour la première fois en si grand nombre. Le Masters 2018 est un marqueur cruel, mais net, du niveau actuel du judo masculin français. Le retour au premier plan de la ranking sera extrêmement difficile et, on le sait, la qualification olympique est en jeu, et au-delà, le classement en tête de série pour avoir une chance d’attraper les bonnes médailles à Tokyo en 2020. Une lourde tâche attend les hommes de Stéphane Traineau dans les mois qui viennent.