Et la France finit troisième nation
« Elle fait du bien celle-là » murmurait comme pour lui-même l’entraîneur masculin Christophe Massina en pensant très fort au vieux guerrier Cyril Maret, un leader revenu de bien loin pour être encore là le jour J, en sauveur.
Si elle fait du bien comme le dit Massina – et c’est vrai, car une équipe masculine française revenue bredouille d’un championnat d’Europe cela ne s’est tout simplement jamais vu — elle fait aussi plaisir. C’était un peu triste de voir le si fiable chef de clan dijonnais subir les vexations répétées de sorties prématurées en tournoi. « La pire période de ma carrière », confesse-t-il sans fausses excuses. Une période qui commence au lendemain de sa dernière finale… au championnat d’Europe de l’année dernière à Tel-Aviv. Un peu de relâchement, moins d’engagement personnel au quotidien, le pari de ramener des points sans être au top de sa forme en attendant les vrais rendez-vous… la sanction a été immédiate et l’ornière bien difficile à remonter une fois que la roue avait commencé à patiner. Une série de premiers tours qui n’en finissait plus, jusqu’à aujourd’hui… Mais à Minsk, on a retrouvé Cyrille Maret affuté, lucide et sûr, intimidant pour ses adversaires comme aux plus beaux jours, et c’est bien. Quant à l’avenir, on demande à voir. C’est souvent après la descente aux enfers que les héros font leurs plus grands exploits.
Une de bronze
Paradoxe d’une préparation bien difficile qui donnait peu d’espoir, on est tout heureux pour lui de cette médaille de bronze et pour le groupe masculin d’avoir pu en ramener une grâce à lui. Mais lui-même ne s’y trompe pas et grimaçait de déception au moment de cette dernière victoire : Ce bronze, ce n’est tout de même pas la bonne couleur. C’est en effet sa sixième médaille en sept championnats d’Europe, et il n’a jamais emporté le titre. Finaliste en 2017 et 2018, il est pour la quatrième fois en bronze en 2019. Quant au groupe masculin, privé d’Alexandre Iddir forfait pour une douleur à l’ischio contracté vendredi soir sur des exercices d’accélération, et avec un Axel Clerget volontaire, manifestement en bonne forme, mais convalescent, cette médaille du dernier jour par l’homme qu’on n’attendait plus était naturellement un soulagement. À froid, il faut cependant rappeler qu’une médaille de bronze, c’est le score historiquement le plus bas d’une équipe masculine française aux championnats d’Europe, un « fond » atteint par deux fois seulement en 2008 et 2009, et que la dynamique espérée après les embellies en tournoi n’a pas eu lieu. Il restera de ce championnat européen pour nos masculins la médaille de Maret et la cinquième place de Walide Khyar. C’est peu.
Trois jours dantesques
En fait ce n’est guère une surprise. Ce championnat était justement le test qui devait montrer ou non la consistance réelle de ce groupe qui venait tout juste de se redonner quelques couleurs après la transition catastrophique qui a suivi les derniers Jeux. Après les victoires magistrales du Géorgien Chkhvimiani, de l’Ukrainien Zantaraïa, du Suédois Macias, du Belge Casse, au judo si fougueux pour les uns, si inventif pour les autres, et souvent les deux, ce qui frappait une nouvelle fois hier, c’était l’extraordinaire engagement de combats serrés, souvent menés loin au golden score, parfois brillants, parfois livrés à fond de cale, mais toujours au bout du mental et des moyens physiques par des combattants acharnés, intelligents et calculateurs, tous munis d’un bagage technique aiguisé, au moins d’une arme très forte pour faire tomber. Ils sont peu les Français à pouvoir prétendre se hisser à ce niveau d’expression.
Aujourd’hui la bataille fut encore dantesque, monumentale, entre les stars géorgiennes Liparteliani et Tushishvili, face à une jeune génération russe ébouriffante, deux oursons à l’oeil vif qu’on avait vu débarquer des championnats du monde juniors 2017. Arman Adamian, 22 ans face à « Lipo » en -100kg, Inal Tasoev, 21 ans, face à l’ogre Guram en +100kg, proposèrent, avec les deux ténors qui ne se sont pas cachés, deux purs moments de judo à l’européenne, comme on en réclame ici. Du corps-à-corps intelligent, audacieux et superbe, de la débauche d’énergie et des gestes incroyables, un spectacle magnifique pour les amateurs. La Russie avait été très lente à démarrer, mais le bouquet final valait le coup d’attendre. Si Tasoev marquait waza-ari à Tushishvili sur un somptueux « avant-arrière », il se faisait reprendre par le uchi-mata féroce du patron des lourds actuels. Adamian, à la surprise générale, allait au bout du crime de lèse-majesté en sortant Liparteliani sur un ko-uchi-gari hallucinant de qualité d’appui.
On ne s’est pas ennuyé sur ces championnats… tout en regrettant que la France ne soit pas plus souvent au cœur du débat des masculins. Mais une telle puissance d’impact, une telle dynamique de travail collectif pour sortir des engins de guerre nouvelle génération comme ces deux-là, des experts magnifiques comme ceux cités plus haut, cela ne s’invente pas en trois mois. Le test passé par l’équipe de France masculine est clair. Au-delà des aléas, notre groupe n’est pas encore à la hauteur. Et à Tokyo, bien sûr, avec le Japon, la Corée, l’Iran, la Mongolie en plus…
Un dernier jour trop court
Heureusement, il y a les féminines pour sauver invariablement l’honneur du judo français. Le doublé de la veille avait suffi à mettre la France devant dans la bataille des nations qui se joue généralement entre deux et quatre titres. Elle devait, pour être tranquille, ajouter au moins un troisième titre féminin ce lundi, performance remarquable, mais réalisée l’année dernière, et aussi en 2016, en 2014, en 2013, en 2011… Malheureusement, Anne-Fatoumata M’Bairo ne saisissait pas sa chance pour sa première sélection européenne (en l’absence notamment de la championne continentale 2018 Romane Dicko), et Madeleine Malonga, championne en titre, se crispait sur l’Allemande Malzahn, une adversaire qui lui pose parfois des problèmes et contre laquelle elle est désormais à deux défaites d’affilée. Elle laissait partir ce combat délicat à gérer, et du coup un titre qui lui tendait sans doute les bras. C’est en effet la grande Slovène Klara Apotekar qui tirait un joli marron du feu à Minsk, alors qu’elle a toujours été largement dominée par la Française lors de leurs quatre combats officiels. Une médaille de plus pour la France néanmoins, joliment arrachée par Malonga à la dangereuse Néerlandaise Verkerk. La quatrième pour les Françaises, mais en bronze, pour un résultat final de toute façon très flatteur pour nos féminines qui règnent sur l’Europe pour la quatrième année consécutive (six fois première nation en sept ans, sept fois en neuf ans), mais pour le plus « modeste » résultat de ces quatre ans de leadership. Il restera cependant de cette édition la glorieuse confirmation de l’archi-domination de Clarisse Agbegnenou et l’avènement d’une sacrée championne de tempérament et d’intelligence, Margaux Pinot.
La France troisième comme en 2003
La France en demi-teinte aujourd’hui donnait une chance à ses poursuivants de la reprendre dans la ligne droite. Dans le choc violent des poids lourds des deux grandes nations de l’Est sur le plan du judo, Russie et Géorgie, la Géorgie obtenait avec Tushishvili la médaille d’or qui lui manquait pour faire aussi bien à ce niveau que les Françaises, et mieux sur l’ensemble puisque les seuls masculins géorgiens ramènent sept médailles pour leurs neuf engagés, une performance remarquable, mais proche de leurs standards depuis les Jeux de Londres. Malgré la crise de la fédération en 2017-2018, ils ont aussi été sept fois couronnés en 2016 et 2013, cinq fois en 2015 et 2014. La dernière ligne droite des Russes est époustouflante : deux finales, une médaille d’or et une médaille de bronze pour les quatre derniers masculins en course, et une dernière médaille de bronze pour les filles ! Des féminines qui font quatre médailles, comme les Françaises, pour la première fois de leur histoire, et qui réussissent pour la première fois aussi à équilibrer, et même à battre les garçons restés à trois médailles pour un seul titre, performance juste moyenne pour les Russes. Une réussite d’ensemble néanmoins pleine de promesses pour la Russie qui est en train de gagner ses galons de très rares nations performantes chez les hommes comme chez les femmes. Avec ses deux titres en quatre finales, et deux nouveaux champions d’Europe tous frais qui vont venir challenger, dans le cas d’Adamian notamment, les patrons laissés au repos, le Russie termine donc une nouvelle fois première nation, comme en 2015, et les deux années dernières, 2017 et 2018. Une série qui commence. La France en revanche, première nation en 2013, 2014 et 2016, est cette fois, comme au niveau mondial en 2018 à Bakou, reléguée à la troisième place à Minsk, battue à la fois par la Géorgie et la Russie. Au-delà de la deuxième place sur le continent ? Cela ne nous est arrivé qu’en 2003 (3e), 2004 (19e), 2010 (7e) et 2015 (5e) sur les vingt dernières années. Rien de grave, mais à Tokyo en août, la partie sera rude pour ne pas céder encore du terrain.