Deux nouvelles médailles, pour Gahié et Clerget
La France se sent mieux, elle se sent bien aujourd’hui avec deux médailles, deux premières fois pour Marie-Eve Gahié chez les filles, et pour Axel Clerget pour les garçons, qui emporte sa première médaille mondiale et la première du groupe masculin à Bakou.
Comme hier, les féminines ont affiché une forme de stabilité d’une année à l’autre, tandis que c’était le grand big-bang chez les masculins. Comme hier, la journée a souri à la France. Après la première médaille d’or, celle de Clarisse Agbegnenou, ce sont cette fois deux médailles qui viennent récompenser les tricolores.
La nouveauté pour les filles ? L’avènement d’une Française très attendue, Marie-Eve Gahié, vingt-et-un an, championne d’Europe juniors 2016 et médaillée mondiale juniors 2014. L’année dernière déjà elle avait atteint le podium européen et échoué de peu dans la quête d’une médaille mondiale en perdant en demi-finale sur l’excellente technicienne de Porto-Rico, Maria Perez. Cette année, quasiment invaincue en tournoi (3e à Paris 1ere aux Grands Prix de Géorgie et de Croatie, c’était au championnat d’Europe qu’elle glissait, battue dès le premier tour… qu’elle a parfois du mal à maîtriser. À Bakou, c’est au second combat, contre une Canadienne stable, que la n°2 mondiale eut le plus de mal à chauffer le moteur, avant de passer très vite trois vitesses pour battre la médaille olympique anglaise Sally Conway, l’une des combattantes a-priori les plus dangereuses du tableau, puis la Marocaine Niang Asmaa, qui avait eu la délicatesse de la débarrasser de la Japonaise championne d’Asie Yoko Ono sur un opportuniste placage en tai-otoshi. Une combattante dangereuse cette Japonaise homonyme de l’autre Yoko Ono, mais la combattante du FLAM91 l’avait battue en finale du Grand prix de Croatie. Efficace contre Asma Niang, elle arrivait en pleine forme en finale, le gros combat du jour, face à la championne du monde Chizuru Arai, tranquille elle aussi toute la journée et victorieuse de Perez en demi-finale. La Française démarrait en trombe ce combat, marquant waza-ari d’entrée en arrachant sa solide rivale du sol avec son puissant bras droit. La gauchère japonaise subissait, secouée par une vraie tourmente, tandis que Gahié continuait ses attaques en montant haut et fort son bras droit. Mais Arai laissait tout de même son bras gauche en position inférieure sans chercher à reprendre la distance, ce qui aurait pu mettre la puce à l’oreille à sa tempétueuse adversaire… car après quelques bonnes secousses et sauvetages délicats, Arai prenait soudain sa chance en uchi-mata circulaire poussant sous l’aisselle de Gahié avec le bras gauche placé, et finissait par la planter pour ippon. Défaite évidemment frustrante, liée sans doute au fait que la volonté d’attaque de la jeune Française avait primé sur les considérations tactiques au moment où elle menait. Mais c’est une première finale, à vingt-et-un an, c’est un parcours plein d’autorité qui sent bon la mise sous tutelle de la catégorie dans les années à venir. Comme Clarisse en -63kg, finaliste en 2013 alors qu’elle avait encore vingt ans, Marie-Eve Gahié pourrait bien avoir la vocation. Encore quelques ajustements et l’argent pourrait devenir or. Marie-Eve Gahié vient d’entrer en tout cas dans la cours des grandes en offrant une nouvelle médaillée mondiale à la France, après Hélène Receveaux en 2017 et Fanny-Estelle Posvite en 2015. Elle est la 43e de l’histoire de notre judo.
Le grand big-bang d’hier continue en -90kg
C’est une sacrée partie de bowling auxquels se livrent les combattants depuis deux jours. Naguère plutôt stables, les catégories -81kg et -90kg sont devenues très mouvantes aux championnats du monde depuis quelques années. Hier beaucoup sont tombés pour offrir sa première couronne à l’Iranien Mollaei, aujourd’hui l’atmosphère fut rapidement la même : « il y en a des surprises ! » étant la phrase la plus entendue pendant les premiers tours. Ce qui était nouveau en revanche, du point de vue hexagonal, c’est que la France était cette fois impliquée dans le jeu de massacre, et à son avantage. C’est d’abord le jeune Aurélien Diesse, vingt ans, qui renvoyait le Serbe Nemanja Majdov à ses chères études. Majdov ? Vingt-deux ans depuis un mois… mais champion du monde en titre ! Surpris par le style radical et « punchy » d’Aurélien Diesse, il était débordé par son incessant travail au kumikata et ses accélérations, ses combinaisons d’attaque ultra-rapides, ses engagements du corps bourrés d’impact. Le combat était beau, mené par le cadet volontaire, tandis que le champion, à peine plus vieux, se raccrochait aux branches. Finalement, asphyxié par la « furia francese », le Serbe baissait pavillon. Malheureusement, au bout de six minutes et onze secondes de golden score ! La débauche d’énergie avait été si intense que le jeune champion d’Europe junior français arriva vidé au tour suivant… contre rien de moins que le Cubain Asley Gonzales, champion du monde 2013 et médaillé olympique 2012. Un peu en roue libre ces dernières années, mais assez d’expérience en réserve pour gérer la situation. Dommage pour Diesse, mais le spectacle restera dans les mémoires et annonce probablement beaucoup mieux. Son style « fauve » a déjà marqué les esprits.
Clerget a le flow
« C’est l’aboutissement aujourd’hui des années de travail, des échec et des moments difficiles qui ont précédé. Il est papa, il a pris de la distance. Sur le tapis, il est parfaitement en phase avec le moment, il s’exprime ». commentait, ému, son entraîneur à Sucy, l’excellent Stéphane Auduc. Il parle de son protégé qui s’est hissé en demi-finale en produisant un judo parfait. Cet obsédé du détail et de l’analyse, parfois trop volontaire pour être vraiment fluide et laisser parler son judo estampillé « Clerget Family », se fait confiance – encore une phrase « mantra » de son entraîneur – et touche aujourd’hui à la grâce. Il est dans le « flow » et tout passe. Il sort les cadors de son mauvais tirage sans l’ombre d’une difficulté apparente. Yoko-tomoe de parade au premier tour contre le Biélorusse Varapayeu, 14e mondial. Le Coréen Gwak, champion du monde 2015, médaillé en 2017 (et vainqueur de Clerget cette année à Paris) se fait proprement humilier, subissant un sumi-gaeshi tout en aspiration et un superbe seoi à genoux ! Le Russe Khusen Khalmurzaev, un monstre habituellement, s’écroule sur un ko-uchi-makikomi de classe. Enfin, en quart de finale, le Tadjik Ustopyriyon prend harai-makikomi superbement enchaîné au sol. Pour la première fois de sa longue carrière, presque dix ans après le championnat du monde de Rotterdam en 2009 où il s’était déjà hissé en quart (en -81kg), et pour sa deuxième sélection mondiale seulement, à trente-et-un ans, Axel est en demi-finale d’un championnat du monde, devant la porte qui conduit au mieux au paradis, au pire en enfer d’une cinquième place.
L’or s’envole
Sur la vista du matin, on le voit bien champion du monde, d’autant que les favoris possibles sont tombés aussi de l’autre côté. Le Serbe Kukolj, qui l’avait battu en finale du championnat d’Europe 2017, le Russe Igolnikov, qui l’avait battu au premier tour du championnat d’Europe 2018, le Géorgien Gviniashvili, et même l’incontournable Japonais du jour, Kenta Nagasawa, battu par un outsider, l’inattendu n°2 cubain, Ivan Felipe Silva Morales, vingt-deux ans, passé avec succès en -90kg et vainqueur de deux championnat panaméricains en suivant. Un client manifestement, mais à ce Clerget rien ne semble impossible. Sauf que, après la reprise, le Français ne marche plus sur les eaux. Il lance une fois, deux fois tomoe-nage sans beaucoup de préparation, recule sous la pression du « pieu » combat, s’élance pour un nouveau sutemi… mais avec un feeling diabolique de très fort contreur, Silva Morales amplifie le mouvement vers l’arrière, fait une « action de bras » avec le cri qui va bien… et c’est finalement la table qui annoncera le ippon. Une décision difficile à prendre, discutable, dure à accepter, mais sans doute pas scandaleuse, dans un sens ou un autre. Quoiqu’il en soit, la finale s’est échappée. Ce sera finalement un ancien double finaliste des mondiaux juniors 2014 et 2015, finaliste aussi du championnat d’Europe junior encore en 2016, le très grand et longiligne combattant d’origine géorgienne, Nikoloz Sherazadishvili, lui aussi en pleine ascension depuis l’année dernière, qui emportera le premier titre mondial masculin pour l’Espagne.
La clé ? Le sol
Quant à Clerget, il doit toucher le fruit de ses dix ans d’efforts, et de sa matinée d’exception. Il doit écarter la frustration et la gamberge, pour battre encore un combattant. Ce ne sera pas Asley Gonzalez blessé, mais, celui qui profite de ce forfait : l’Allemand Eduard Trippel, médaillé mondial junior 2017. Un talent, mais encore juvénile et donc « prenable ». Sauf que sur l’une des premières attaques, l’aîné de dix ans se fait contrer par l’Allemand de vingt-et-un an ! Le clan français frémit. Ils ont été nombreux à croire au ippon. Ce ne sera que waza-ari. Il lui reste une carte maîtresse, peu jouée aujourd’hui : un nivau de ne-waza unique en son genre. Malgré sa résistance, le jeune Allemand se fait étrangler. Joli façon de conclure pour Axel Clerget qui boucle ainsi dix ans de patience et de doute, s’ouvre une ère nouvelle dans laquelle toute grande médaille sera bonne à prendre. Enfin il écarte le spectre du « zéro médaille » qui menaçait les masculins après quatre catégories. Oui décidément, Axel Clerget est exemplaire.
Tout le monde sur le podium
Et le Japon ? Tout va bien merci. Dans ce championnat un peu baroque où les grandes équipes habituellement concurrentes son aux abonnés absents, ou quasiment, comme une décevante Russie, une Mongolie et une Géorgie à bout de souffle, il fait figure de métronome de l’excellence. Ses couleurs blanche et rouge défendues aujourd’hui par un débutant un peu tendu et privé de son potentiel technique, Kenta Nagasawa, par une seconde -70kg elle aussi loin de son meilleur niveau, Yoko Ono, il ne parvient pas cette fois à monter tous ses engagés en finale. Mais si le niveau d’exigence descend d’un cran, cela reste exceptionnel. Il place en effet tous ses engagés sur le podium jour après jour. Déjà douze médaillés, dix finalistes et cinq vainqueurs. Une autre dimension.