Comme nous l’écrivions ce matin, c’est une habitude désormais bien connue du staff russe et de son directeur de l’équipe nationale, le charismatique Italien Ezio Gamba. Dernière des grandes nations de la discipline à officialiser sa sélection pour les Jeux olympiques (comme elle le fait également sur les compétitions du circuit mondial), le pays des Tsars a proposé une cérémonie carrée, très professionnelle. Après les discours des personnalités officielles (dont l’ancien -90kg Kirill Denisov), Dmitri Morozov pour les féminines et Khasanbi Taov pour les masculins ont annoncé les noms des treize judokas qui iront défendre les chances de la RJF (Russian Judo Federation) dans moins d’un mois sur le tatami du Budokan.
Commençons par les féminines. Aucun suspens à vrai dire n’entourait la composition de l’équipe. Toutes les n°1 de leur catégorie respective ont été retenues (elles n’avaient pas été du voyage à Budapest pour les championnats du monde). Il y a tout de même une suprise avec la non-sélection de Kseniia Chibisova en +78kg. Vingt-quatrième mondiale, elle était pourtant la seule combattante de l’équipe de Morozov dans les points olympiques. Une blessure ou un arrêt de carrière pour cette judokate de 32 ans, qui n’a plus combattu depuis le Grand Chelem de Paris 2020 (où elle s’incline au premier tour) ?
Une équipe qui aura plusieurs chances de médaille : Madina Taimazova (-70kg) d’abord, double médaillée de bronze aux championnats d’Europe 2020 et 2021 et vainqueur du Grand Chelem de Kazan début mai; Irina Dolgova (-48kg), qui sera tête de série n°8 à Tokyo, cinquième à Lisbonne lors du dernier championnat continental et argent au Grand Chelem de Kazan; Natalia Kiziutina enfin. Elle était sur le podium à Rio en -52kg. Cette olympiade, ses meilleurs résultats sont une médaille d’argent aux championnats du monde 2019 et un titre aux championnats d’Europe en 2018. Une seule sortie pour elle depuis octobre dernier (cinquième aux Europe 2020). À 32 ans, elle est la leader de cette équipe féminine, menant 5-0 contre Amandine Buchard et 4-0 contre l’Italienne Odette Giuffrida. Si elle a déjà battu Majlinda Kelmendi, c’était en…2010. Depuis, la Russe a cumulé quatre défaites. Face enfin à Uta Abe, une seule rencontre : en finale des Monde 2019 où la Japonaise exécuta littéralement Kuziutina.
Mais le véritable intérêt de cette cérémonie officielle résidait dans l’annonce de l’équipe masculine. De vrais dilemmes se posaient à Taov et Gamba dans six des sept catégories. En -90kg, tout était limpide : seul qualifié russe, Mikhail Igolnikov, champion d’Europe 2020 était assuré de son billet pour Tokyo depuis plusieurs mois. Pour quatre autres catégories, l’analyse de la sélection et des résultats aux championnats du monde de Budapest ouvraient quelques hypothèses, plus ou moins solides. En -66kg, la médaille de Yakub Shamilov en Hongrie lui assurait sans vrai doute sa place pour le Japon. En -73kg, les éliminations en tableau de Denis Iartcev et Makhmadbek Makhmadbekov donnaient un avantage, par défaut, à Musa Mogushkov, médaillé de bronze continental en avril dernier.
En -81kg, la contre-performance d’Aslan Lappinagov et Khasan Khalmurzaev faisaient le bonheur d’Alan Khubetsov, le mieux classé des athlètes de l’équipe russe dans cette catégorie. Même scénario en -100kg. Très performants tous les deux sur les quatre dernières années, les deux médailles mondiales (bronze en 2018, argent en 2019) de Niiaz Iliasov ont, pour sûr, compter dans son duel avec Arman Adamian, pourtant champion d’Europe 2019. Aligné à Budapest, il ne termine que septième (sa plus mauvaise performance depuis Tokyo 2019).
Ce matin, ces hypothèses ont été confirmées. On aurait pu penser que Denis Iartcev, excellent aux Budokan en 2019 (il avait été sans aucun complexe contre Shohei Ono en demi-finale) aurait pu avoir une seconde chance après Rio il y a cinq ans. Mais le fait de n’avoir été classé qu’une seule fois sur ses huit dernières compétitions a sans doute pesé trop lourd.
Restait donc les -60kg et +100kg. Deux catégories pour lesquelles Ezio Gamba et Khasanbi Taov ont décidé d’adopter deux stratégies opposées. Dans la première, le titre de champion du monde de Yago Abuladze il y a moins d’un mois n’a pas fait pencher la balance en sa faveur. C’est donc Robert Mshvidobadze qui sera sur le tatami du Budokan. Le choix de l’expérience puisque le vice champion du monde 2018 à trente-deux ans. Pour refaire le coup de Beslan Mudranov à Rio et assurer à la Russie un troisième titre consécutif dans cette catégorie ?
Suivant cette logique, on se disait que le ticket des +100kg irait sans doute à Inal Tasoev. Non sélectionné à Budapest, ce judoka à l’apparence faussement pataude mais au judo tout en sensation (il maîtrise aussi bien les balayages que les arrachés) restait sur un titre continental extrêmement probant à Lisbonne. Cette saison, il remporte le Grand Chelem de Hongrie, termine en argent aux Europe 2020 (battu par Tamerlan Bashaev) et au Masters 2021 (battu par Riner). Une saison quasi-parfaite. Son absence en Hongrie (comme celle de Mshvidobadze) laissait penser qu’il était mis au repos pour Tokyo. Et bien pas du tout !
Car c’est bien Tamerlan Bashaev qui sera du voyage au Japon. Ainsi en a décidé le comité de sélection. Champion d’Europe 2021, il cumule ensuite deux victoires aux Grands Chelems de Turquie et de Russie et depuis peu, une médaille d’argent aux championnats du monde. Des résultats impressionnants. Sept sorties, six podiums trois victoires depuis octobre 2020 pour Bashaev. Tasoev, de son côté, aura eu le droit à quatre sorties : deux victoires et deux médailles d’argent. Ezio Gamba étant un homme de statistique, il n’aura pourtant pas pu passer à côté du fait que lors de l’évènement le plus relevé des derniers mois pour cette catégorie, à savoir le Masters, c’est Tasoev qui réalise le meilleur résultat.
Alors comment expliquer le choix de Bashaev ? Une hypothèse pourrait être la place dans le tableau à Tokyo. Tamerlan Bashaev sera tête de n°1. Gamba et Taov ont-ils estimé que cette position, avec un demi-tableau peut-être plus abordable que le second ou se serait retrouvé Tasoev (il aurait été tête de série n°3), était plus favorable à une médaille voire à un titre ? Ou est-ce sur des statistiques individuelles, telle que celle qui montre que Bashaev a déjà battu le Japonais Hisayoshi Harasawa, contrairement à Tasoev ?
Rendez-vous dans un mois pour voir si le flair de Gamba fera une nouvelle fois des merveilles.