Eh bien voilà ! Nous réclamions dimanche le dépassement du cadre, le décrochage de lune, et dès ce troisième jour nous avons été exaucés. Le vaillant Joan-Benjamin Gaba (-73kg) s’est engagé sur la voie escarpée du sublime et il est monté au sommet… Le récit de son incroyable chevauchée jusqu’à cette finale intense contre l’Azerbaïdjanais Hidayat Heydarov, premier de l’histoire à rafler les titres européen, mondial et olympique sur une même année civile, l’aura presque éclipsée, mais Sarah-Léonie Cysique (-57kg) n’a pas non plus manqué son deuxième tournoi olympique puisqu’elle se pare d’un bronze à valeur d’or après avoir fait le combat quasi parfait contre la Canadienne Christa Deguchi, tant attendue aux sommets et, certes dans la douleur, finalement exacte au rendez-vous. Déjà le troisième épisode d’Au coeur de Paris 2024, le dernier né du podcast Hajime de L’Esprit du Judo, en attendant de basculer sur une deuxième partie de compétition qui s’annonce toujours plus haletante.

Au coeur de Paris, épisode 3

Eh bien voilà ! Nous réclamions dimanche le dépassement du cadre, le décrochage de lune, et dès ce troisième jour nous avons été exaucés. Le vaillant Joan-Benjamin Gaba s’est engagé sur la voie escarpée du sublime et il est monté au sommet. Du sublime ? Certains s’insurgent déjà et se font la remarque que le jeune Français n’a pas satellisé tout le monde et que ses combats du matin, pour s’extraire de son quart, s’étaient soldés par des victoires aux pénalités. À ceux-là, il faut rappeler d’où vient le titulaire du jour, à commencer par le fait que, 35e mondial avant ces Jeux, il n’aurait même pas été sélectionné s’il n’avait pas été français. On peut le dire, le parcours qu’il a réussi aujourd’hui et que nous allons vous raconter, n’a pas d’équivalent dans notre histoire, sinon peut-être celui de Bertrand Damaisin, choisi en 1992 pour aller aux Jeux de Barcelone alors qu’il était peu de temps auparavant issu de la seconde division nationale, et qui s’était finalement emparé du bronze. Joan-Benjamin Gaba a dû, lui, passer cette année par l’étape du championnat de France pour étayer une sélection internationale contestée. Quant au fait qu’il n’ait pas pu projeter tout le monde, c’est un petit peu normal quand on prend les meilleurs. Le numéro un et le numéro deux mondiaux et, dès le premier tour, un adversaire triple médaillé olympique, sacré en 2012, venu faire la passe de quatre. Les Jeux, c’est un autre niveau. En outre, les pénalités sont revenues au centre du dispositif, et on a trop déploré l’incapacité à certaines époques de nos combattants à maîtriser ces enjeux tactiques pour en faire aujourd’hui le grief à Joan-Benjamin Gaba.

Il faut un peu en parler de ces pénalités d’ailleurs. Les deux jours précédents, l’ambiance des Jeux avait tout balayé et les combattants s’étaient moins appuyés sur l’arbitrage qui s’était lui-même fait discret. Aujourd’hui, l’homme en noir s’est remis au centre, et malheureusement, souvent pour le pire. Non pas qu’il soit mauvais en soi. On le sait, des hommes comme Matthieu Bataille ou l’arbitre de la finale des -73kg aujourd’hui, l’Espagnol Raul Camacho, sont même excellents, et perçoivent bien le judo. Mais la conception actuelle est de suivre le règlement à la lettre, un règlement qui ne cesse, par des effets de généralisation ou d’accumulation de détails, de s’éloigner de la raison d’être originelle des pénalités, c’est-à-dire protéger l’intégrité physique quand elle est réellement menacée et empêcher les gestes négatifs qui entravent l’expression du judo. Un règlement qui ne cesse de s’étoffer aussi, dans l’idée, contraire au bon sens, d’avoir des arbitres qui n’auraient plus besoin de réfléchir. Sauf qu’au lieu d’aider à la dynamique du combat et à sa justice, la pénalité est aujourd’hui non seulement mal comprise, y compris des amateurs, mais aussi intempestive, contraire à l’esprit du combat. De soutien au judo, l’arbitre est devenu obstacle à l’expression du judo, ce qui est un comble, et un obstacle dont il faut absolument tenir compte pour ne pas perdre, ce qui incite tout le monde à développer l’habitude de s’appuyer sur les règles pour l’emporter. De quoi détruire l’esprit du judo et sa dimension spectaculaire. La FIJ, qui se vante de promouvoir le judo comme un grand spectacle télévisuel, se trompe totalement sur ce point, s’évertuant à faire le contraire de ce qu’il faudrait et persévérant dans l’erreur, gâchant les belles histoires naissantes par son obsession de la règle, des histoires qui sont, bien sûr, toujours des histoires d’affrontements et de combattants, le précieux sel de notre culture commune. Aujourd’hui donc, les arbitres sont revenus, les combattants ont donc eu la tentation de passer par l’obtention de la disqualification adverse et les pénalités sont tombées. De nombreux combats importants se sont joués de cette façon, plus de 30 % se sont finis par une disqualification, sous les yeux du monde entier qui nous regarde sans comprendre et au grand déplaisir d’un public peu décidé à revenir vers l’ennui et l’agacement après deux jours de miracle.

Sublime donc. Le mot n’est pas trop fort pour le parcours de Joan-Benjamin Gaba aujourd’hui, bondissant comme un fauve affamé prêt à se nourrir dès qu’on le lâcherait dans l’arène. Il réglait d’entrée le sort d’un Géorgien mal réveillé, le monument Lasha Shavdatuasvili, triple médaillé olympique. Il y a encore peu de temps, notre représentant aurait rendu une partition courageuse, mais un peu brouillonne, qui l’aurait conduit vers la sortie avec les honneurs. Mais ce n’était plus le même ce lundi. Il traversait le vieux guerrier Shavdatuashvili avec mobilité, précision sur les mains et sens de l’anticipation pour placer les attaques, les bonnes comme les nécessaires, au point de le laisser sur place. Une disqualification cruelle pour le Géorgien, car elle traduisait exactement la façon dont la nouvelle génération prenait le pas sur l’ancienne. En finale de quart de tableau, le Japonais Hashimoto a dû aussi avoir un peu ce sentiment en tâchant de le contenir sans y parvenir. Il succombait lui aussi à une pénalité pour « lâchage de saisie », celle qui avait déjà injustement écartée la jeune Tara Babulfath samedi de la finale. Une fausse bonne idée de la commission d’arbitrage qui a réussi à mettre fin sans grande raison avec cette règle à certains des duels les plus engagés et les plus passionnants de ces trois derniers jours.

Joan-Benjamin Gaba en demi-finale des Jeux olympiques, ce n’était pas une succession d’exploits, mais encore un peu plus que cela. Dans cette demi-finale un peu imprévue face au Moldave, et bien que cet adversaire soit 13e mondial et auteur d’une belle série de victoires, c’était désormais le jeune conquérant français qui avait la pression. Perdre contre cet Adil Osmanov après un tel démarrage, c’était impensable. Mais Joan-Benjamin Gaba n’avait pas l’intention de redescendre à l’étage des combattants ordinaires. Il continuait à prendre les initiatives, mobiles et dominateurs, s’appliquant à toujours se dégager de la grosse main gauche du Moldave, son point fort. Et à mi-combat, l’opportunité se présentait d’une impressionnante séquence au sol sur son renversement favori, qui consiste à faire levier sur le bras avec la jambe pour obliger l’adversaire à rouler sur le dos. Osmanov donnait tout ce qu’il avait pour se dégager et échappait de justesse au ippon, mais concédait le waza-ari à la maîtrise étonnante de Gaba. « Grillé » par cet effort de titan, il n’était plus ensuite qu’un chiffon dans les mains du Français qui concluait – message tout à fait involontaire aux dénigreurs du matin – par un emplafonnage en règle sur un majestueux sode-tsuri-komi-goshi.
Joan-Benjamin Gaba, le combattant courageux mais peu récompensé, était sorti de la chrysalide, pour devenir un nouvel avatar de lui-même, plus méchant et plus mortel.
Il y a peu, il était membre des « Forces Spéciales », le surnom de la dream team des juniors français des années 2020-22, presque tous médaillés mondiaux sauf… lui, qui n’avait fini que cinquième. Mais, cette fois, c’était lui. Il était en finale olympique. Une montée en puissance saluée par l’ancien leader de cette équipe jeune, Stéphane Frémont, que le patron de l’équipe de France masculine Baptiste Leroy avait judicieusement remis au service de la préparation des jeunes issus de cette matrice, qu’il avait largement contribué à construire.

« Quand tu les confrontes à leur rêve et leur projet, cela change tout. Pour Joan, c’était un jour d’être champion olympique. Le travail paie, mais surtout lorsque ça vient d’eux en fait. Tu les confrontes à ce qu’ils veulent et à ce qu’ils mettent en place. Et Johan, il y avait souvent du déséquilibre. Cette année, Baptiste, en me faisant revenir, ça m’a permis de recaler tous les trucs. Et puis du coup, ça s’est organisé, avec la diététicienne il gérait mieux ses régimes, il ne mangeait pas les jours de compétition, là il a mangé, tout s’est un peu organisé, et puis du coup ça va encore valoriser ce qu’il a mis en place. Maintenant, il a des titres à aller conquérir, parce que là il fait deuxième, il a fait une superbe journée, et il vaut mieux que ça. »

Il fallait bien cette transformation 2.0 pour assumer une finale olympique contre le triple champion d’Europe et champion du monde en titre, l’invincible kataman venu d’Azerbaïdjan, Hidayat Heydarov, un boulimique de victoire aussi fort dans ses attaques par en dessous que dans ses enchaînements au sol, et monstre de volonté et de courage. Décor planté.

Après la victoire pour le bronze des deux « victimes » de Gaba, le Japonais Hashimoto et le Moldave Osmanov, signe qu’ils étaient au meilleur de leur forme ce jour-là, l’ultime combat pouvait s’engager. Le Français s’appliquait de toute sa volonté affermie à ne pas laisser l’Azerbaidjanais prendre sa saisie préférentielle, celle qui lui permet d’enrouler tout le monde comme un cobra royal qui a croché dans une proie. Déterminé à ne pas subir, Joan-Benjamin lançait un o-soto-gari d’une main dès la première prise de garde, obligeant Heydarov à se retourner en urgence, avant de l’attaquer durement au sol. Le public en avait frémi d’excitation. Les quatre premières minutes allaient couler comme de l’eau, consacrées à un travail constant de contrôle de la manche gauche du champion azerbaïdjanais, qui cherchait à se dégager et à surprendre, mais sans succès. Malgré son expérience et son talent, il ne parvenait pas à prendre en défaut son jeune adversaire, à le mettre en danger ou à le faire pénaliser. De son côté, toute l’énergie de Gaba passait dans ce strict contrôle du kumikata et à garder sa mobilité. Ses grands o-uchi-gari ne surprenaient pas. Bien arbitrés par Raul Camacho qui n’en faisait pas trop, les deux hommes se savaient face à face, sans arme magique à découvrir de ce côté-là. C’était coup pour coup pour trouver la faille ou prendre un avantage au sol, à chaque fois annulé par l’un ou l’autre dans une débauche d’énergie, dans les bourrasques sonores venues des travées de l’Arena. Le temps passait sans que personne ne cède, pas même l’arbitre qui faisait ce que l’on attendait de lui, soutenir la qualité de ce spectacle aussi vibrant que vivant, de ce combat époustouflant. Plus les séquences fortes et rapides succédaient aux séquences fortes et rapides, plus les réservoirs de glycogène se vidaient. Après trois minutes de golden score, les organismes au bout du rouleau laissaient deviner l’âme mise à nu des deux antagonistes. Il faut ça pour se relever quand la biochimie devient impuissante à mobiliser les muscles. Ni le champion du monde, ni le Français chez lui cherchant à le supplanter ne voulaient céder. Mais après plus de cinq minutes au-delà du temps réglementaire, il fallait en finir. L’un comme l’autre allait chercher de plus en plus souvent la prise de risque au corps-à-corps, s’offrant de grosses attaques mutuelles. Et force restait à l’expérience, Heydarov trouvait le déséquilibre par une belle combinaison en o-uchi / ko-soto gari et fixait enfin Gaba sur le dos. Le roi du moment avait résisté au prétendant. Il gardait sa couronne et offrait au judo d’Azerbaïdjan son second titre olympique devant Elnur Mammadli, son prédécesseur, fou de joie dans les tribunes. Tout le monde restait sans voix devant ce pur moment, cette immense finale qui faisait honneur au judo, au cœur de l’olympisme. À commencer par l’entraîneur Guillaume Fort, qui dressait déjà, avec le dernier filet sonore qui lui restait, le bilan d’une telle épopée.

« Dès le début de la journée, Joan était dans de bonnes intentions, avec l’envie d’avancer, avec des obstacles qui étaient tous franchissables à ses yeux étant donné que ce sont des gens qu’il avait battus jusqu’au moins en demi-finale. Et puis derrière on n’est pas loin de l’exploit d’aller chercher le titre olympique, d’aller chercher quelque chose de magique. En fait, le mot d’ordre était de prendre chaque combat comme une finale, d’avancer étape par étape, en prenant le soin de ne jamais rien s’interdire de toute la journée. On a alterné les moments sérieux, les moments de détente. Nous, on était dans notre bulle. Ça a avancé, ça a marché. Je n’ai pas eu grand-chose techniquement à lui dire parce qu’on l’a préparé il y a bien longtemps ce combat contre Heydarov. Il l’a pris en stage ll le connaissait. Il avait une ligne directrice à garder, la gestion du bras droit d’Heydarov notamment, et après il avait une carte à jouer techniquement là-dessus. Mais après, ça a été de la régulation, qu’il soit lui frais psychologiquement avec l’envie d’y aller, devant son public. Donc, ça s’est fait assez naturellement dans la continuité des autres combats. Il n’a pas perdu un titre, il a gagné une médaille d’argent, c’est ce que je lui disais tout à l’heure. C’est quelque chose d’extraordinaire, une médaille olympique, de toute façon, quelle que soit la couleur, l’or est magique, mais l’argent est parfait. Donc, Joan, il a vingt-trois ans. Il y a un an, il n’était pas médaillé aux championnats de France, maintenant il est champion de France, médaillé européen, vice champion olympique. Il a réussi un superbe tour de piste et maintenant il a tout l’avenir devant lui. Vu le gars que c’est, la manière dont il gère son projet, sa manière de s’entraîner et tous les à côté, je pense que ce n’est pas fini, vous allez encore entendre parler de lui. Aux France, il y a un déclic. Il se rend compte que, déjà, même si quelque part ce ne sont que les France, ça fait du bien de gagner, il se rend compte qu’il mérite son statut de numéro 1 français. À partir de là, ça le libère. Il part en tournoi, il gagne plus de combats que d’habitude. Quand il arrive aux championnats d’Europe, on sent qu’il a progressé. Il fait une médaille, pareil, et il refranchit un plafond de verre, etc. Je pense que Johan l’a démontré aujourd’hui, il ne s’interdit plus rien pour aller encore plus loin. J’espère que ça va décomplexer tout le reste de l’équipe. On leur a bien dit « vous êtes tous capables aujourd’hui de faire une médaille, vous avez une équipe de dingue. Vous êtes tous prêts, vous êtes des super mecs, vous êtes sérieux. On vous aime en plus ! » Parce que ce sont vraiment de super gars. Et puis derrière, tout le monde est capable de leur amener quelque chose. »

Et que retenait le héros du jour ? La déception du deuxième ou la conscience joyeuse d’être allé vraiment au bout de lui-même ?

« J’étais dans ma journée, je savais ce que j’avais à faire, et puis le public, comme je vous l’ai dit, était tellement incroyable, franchement, je ne pouvais que montrer la meilleure image de moi-même. Quand on se fait pousser comme ça, franchement, c’est limite si on ne ressent pas la fatigue. On se dit qu’on n’a pas le droit de craquer, et je pense que ça donne énormément de force. Personne ne croyait en moi, je sais. Je sais, aux championnats d’Europe, j’ai déjà commencé, j’ai fait troisième. Personne ne pensait que j’allais faire cette médaille déjà. Et là, aux Jeux, au début, ça contestait ma sélection, etc. Et moi, j’ai dit, je savais que je serai présent le jour J et je l’ai été. Je suis très content de ça. Si j’étais là, c’est que j’y croyais. Parce que si je n’y croyais pas, je n’aurais pas fait médaille aujourd’hui. Le minimum, c’est d’y croire. Mais ça m’a tellement nourri, et je l’avais dit, que même quand je perds, je sais que j’ai le niveau de faire beaucoup mieux, malheureusement je ne le fais pas, mais c’est dans la tête. Et je pense que le fait que les gens parlent, que les gens ne croient pas en moi, ça m’a donné aussi énormément de force, parce que j’ai la tête dure, et j’ai le mental, et je me suis dit « ok, ils parlent, je vais leur prouver qu’ils ont tort. » Mes adversaires, en général, savent que je suis fort parce que je les prends en stageHeydarov, par exemple, j’ai dû le prendre une dizaine de fois lors du stage en Croatie. Il ne disait donc pas qu’il prenait un peintre. Sur la finale, je voyais qu’il était fatigué alors que, pourtant, il a énormément de cardio ce garçon. Et pourtant je me relevais et j’avais l’impression que j’étais plus en forme que lui. Et l’adversaire, quand il est fatigué, qu’il a les mains sur les genoux, qu’il voit que tu te relèves vite, il se demande comment je vais faire pour y arriver. C’était un peu ça le principe sur la finale. Je trouve que j’ai connu un petit manque de lucidité lorsque nous étions tous les deux à deux shidos.  Il y avait aussi le fait que son débit d’attaque était plus élevé que le mien, il arrivait à attaquer avant moi à chaque fois. Face à cela, je préférais m’engager, tout donner.  Je suis parti sur une phase de corps-à-corps où je me suis dit « bon, là j’y vais et soit c’est lui, soit c’est moi, plutôt que perdre avec trois shido ». Perdre avec trois shido, c’est un peu dommage je trouve donc j’ai essayé, j’ai tenté le tout pour le tout et ça a basculé en sa faveur. Tu l’as vu douter ? Franchement, je l’ai vu douter. En plus, je pense que j’avais moins de pression que lui parce que le mec est champion en titre. Il se dit qu’il ne peut pas perdre alors qu’il a déjà gagné les championnats du monde. Il est presque invaincu depuis un an je pense. Donc je pense qu’il avait plus de pression que moi. Donc oui, je l’ai vu douter. Mais il a quand même gagné. Félicitations à lui, c’est un grand champion. Il m’a dit que j’étais incroyable, que je m’étais battu comme un lion. En gros, il m’a félicité pour ma journée. »

C’est injuste pour Sarah-Léonie Cysique, sa formidable journée est un peu éclipsée par la naissance d’un nouveau grand -73kg français dans le sillage d’Ugo Legrand et Christophe Gagliano, en bronze à Londres en 2012 et Atlanta en 1996, de Marc Alexandre, champion olympique en -71kg à Séoul en 1988.
Sarah-Léonie Cysique, on la savait sortant d’une période de convalescence, elle n’était pas citée par les grands médias pour une médaille potentielle. Grosse erreur. Sarah-Léonie Cysique aime les Jeux, et ils semblent le lui rendre. Plus agressive, plus dangereuse dans ses « coups de volant » inimitables, plus forte que jamais, elle réduisait en poussière toute opposition, humiliant même la Japonaise Funakubo, pourtant troisième elle aussi à la fin de la journée sur un incroyable de-ashi-barai dès la première prise de garde ! Face à la grande Christa Deguchi, la Canadienne favorite pour le titre, elle montrait toute sa vitalité, qui faisait, par contraste, ressortir le fait que la prestigieuse de Nagano, ville où elle est née – elle qui s’entraîne en ce moment à Tokyo – était usée jusqu’à la corde par son parcours de sélection. Épuisée par les coups de boutoir d’une combattante qu’elle a l’habitude de dominer, elle perdait pied et aurait aussi perdu le combat si l’arbitre ne s’était pas vu avisé que, dans son désir de déplier le bras de son adversaire à sa merci au sol, la jeune Cysique avait glissé deux phalanges dans une manche adverse. C’est interdit et c’est shido. Et comme les arbitres ont la mauvaise habitude de monter rapidement à deux pénalités de part et d’autre, c’était le shido de trop. Encore une disqualification aberrante pour le public et dans l’esprit, mais assumée par l’entraîneur Vandenhende. Le haut niveau, ça ne rigole pas.

« Elle a gagné en régularité sur l’olympiade. Après, elle manque le coche aujourd’hui, elle fait une boulette. C’est-à-dire mettre les doigts dans le kimono, on leur dit, ils apprennent ça quand ils sont gosses. Mais je pense qu’avec la fatigue aussi, elle n’a pas le sentiment d’avoir mis les doigts dans le kimono. Moi, sur la chaise, je le vois. Donc je me dis « waouh, c’est dur, mais ils vont lui mettre ». Je pense que cette médaille est finalement plus belle que l’argent de Tokyo, même si elle est en bronze, dans la mesure où elle a pris une claque et elle finit sur une victoire qu’elle peut célébrer derrière avec le public, ses proches. Donc malgré la déception, elle l’aura peut-être sur le moment, mais voilà, elle va pouvoir savourer une belle médaille de bronze. »

Il n’y avait pas de suspense pour la place de troisième, que Cysique ponctuait magistralement en découpant, comme elle en a l’habitude, la pourtant très solide géorgienne Eteri Liparteliani. Une seconde médaille olympique, qui n’était pas l’or qu’elle aurait mérité comme c’était déjà le cas à Tokyo, mais qu’elle avait choisi d’aller chercher tout de même. Un processus qui n’était pas aussi limpide que l’insolente facilité dont elle avait pourtant paru faire preuve.

« C’est vrai que je venais chercher l’or, mais avec toutes ces émotions vraiment par lesquelles je suis passée aujourd’hui – ça a bien démarré, j’étais vraiment bien dans ma compétition, je bats la Japonaise en quelques secondes, donc j’étais très confiante. Quand j’arrivais sur le combat avec Christa Deguchi, je sentais que ce combat allait être très, très long, je le sentais parce que je n’arrivais pas à accélérer, mais elle non plus. Je savais que ça allait être long et dur. Je suis dégoûtée que ça se finisse comme ça. Je sentais que ça pouvait le faire, se finir autrement, et je suis dégoûtée que ça se finisse aux shido mais, malheureusement, c’est un sport arbitral. On a toujours le choix mais des fois une erreur et c’est fini. Je suis surtout contente d’avoir réussi à me remobiliser. Merci à mes entraîneurs parce que, si c’était moi, j’aurais pleuré comme un bébé dans mon coin. J’ai vraiment dû faire le choix de savoir si je voulais revenir avec une médaille ou si je voulais juste m’abattre sur mon sort et rentrer chez moi. Je me suis dit que deux médailles en deux olympiades, ce n’est pas rien. J’ai fait le choix de la médaille et je suis vraiment contente d’être allée la chercher. J’ai grandi déjà entre les deux. C’est vrai que mon judo a évolué, mon mindset a évolué et cette médaille va me faire aussi évoluer. Avant Tokyo et pour Tokyo, je vivais vraiment que pour l’or : pour moi, pour être un grand champion, il fallait ramener des médailles d’or. Et maintenant, je me dis que non, il faut seulement mettre ses tripes tous les jours sur le tapis et c’est ce que je fais donc je suis contente. C’est déjà très difficile aussi d’être toujours régulière, d’avoir toujours cette rage de vaincre, d’avoir toujours cette envie. Et je me dis que même si je n’ai pas autant de médaille d’or à mon actif que je le voudrais, je suis quand même très fière de ce que je fais au quotidien. Et là, vraiment, je me remercie de la plus belle des manières. Donc je suis contente. J’ai du mal à réaliser. Dès que je la regarde, je me dis « waouh, je ne rêve pas, elle est vraiment là ». C’est compliqué quand on attend pendant longtemps une échéance et que ça arrive. Il me faut quelques minutes, parfois quelques heures, peut-être quelques jours pour me rendre compte de ce que je viens de faire. Je me dis que je viens d’aller chercher une deuxième médaille olympique en individuel. Même si je sais que j’en suis capable, quand ça arrive, c’est autre chose. Là, je suis hyper heureuse. »

La grande Deguchi, quasiment en panne sèche, faisait illusion pour vaincre aux pénalités une créature enfantée par le nouveau modèle d’arbitrage, la Coréenne Hu Mimi. Aussi usante que le Brésilien Lima chez les garçons, cette vaillante est constamment à l’attaque à plat ventre avec une main sur le judogi adverse et aucune intention de projeter réellement. La règle, telle qu’elle est écrite, lui permet de le faire et donc d’annuler toute possibilité de judo. Déjà championne du monde sur ce registre, contre Deguchi, elle était en passe d’élever très haut l’étendard de l’échec manifeste du modèle actuel en s’emparant du très prestigieux titre olympique dans la foulée. Mais l’arbitrage, peut-être un peu gêné par ce symbole vivant, finissait tout de même par lui trouver assez de fausses attaques pour la sortir. Une belle récompense pour Christa Deguchi et le Canada, qui gagnait grâce à sa transfuge japonaise son premier titre olympique judo. Elle ne levait pas les bras en sortant, trop épuisée sans doute, mais peut-être aussi vaguement écœurée par un certain gâchis.

Après trois jours, nos trois représentantes ont fait la médaille, toutes en bronze, ce qui est remarquable, mais moins surprenant que l’étonnant bilan masculin, deux finalistes et un cinquième. Soit cinq médailles déjà, ce qui rend crédible le pari des dix médailles affirmé par le président Nomis. Sans présumer de l’avenir, il a déjà réussi un autre pari : celui de ramener, en deux ans à peine, l’équipe de France masculine à un niveau plus conforme, elle qui n’avait gagné aucune médaille aux championnats du monde 2021 et 2022. Le choix de Leroy, Baptiste Leroy, comme nouveau leader, avait fait couler l’encre, il était audacieux. La naissance d’un Gaba au format olympique lui a donné raison.

Ce mardi sous la chaleur, il faudra avoir le cœur bien accroché et les idées claires. C’est Clarisse Agbegnenou qui entre en scène en -63kg et Alpha Oumar Djalo en -81kg.