À lire en complément du dossier arbitrage du magazine
Si ils se montrent acerbes quant au nouveau règlement d’arbitrage (voir le dossier sur l’arbitrage dans l’Esprit du Judo actuellement en kiosque), Patrick Vial et Serge Feist n’en restent pas, comme certains pourraient leur reprocher, au stade des critiques. Pour L’Esprit du Judo, ces deux sages de la discipline, anciens arbitres internationaux (rappelons que Patrick Vial a arbitré la finale olympique des +100kg à Athènes entre Keiji Suzuki et Tamerlan Tmenov), nous livrent leurs réflexions et propositions, inspirées par l’idée de revenir à un judo complet et à un arbitre pleinement responsabilisé.
Mouvements de bras
Patrick Vial et Serge Feist : « Nous sommes pour le retour des mouvements dans les jambes : te-guruma, sukui-nage, kata-guruma, kushiki-daoshi. À la limite, ne les autoriser qu’en contre ou avec une attaque préparatoire, mais ce sont des techniques fondamentales qui constituent une partie du patrimoine du judo.
[Patrick Vial. Je me rappelle du sukui-nage de Lucie Decosse au Caire en 2005, un mouvement magnifique ! ]
Par conséquent, plus de pénalité pour attaques dans les jambes. Cela permettrait aussi de clarifier la situation sur les liaisons debout-sol. D’une part, il n’y aurait plus ses interprétations tatillonnes et arbitraires. D’autre part, celui qui est encore debout pourrait enchaîner au sol beaucoup plus vite et l’autre combattant défendre avec les mains sans peur de se faire éliminer. »
Arbitrage vidéo
Patrick Vial : « Je ferais de la vidéo un appoint, pas l’alpha et l’oméga de l’arbitrage. Le système vidéo actuel avec l’oreillette ont totalement changé, dénaturé, la façon d’arbitrer. Cela casse le mythe et le rythme du combat. Je reviendrais à trois arbitres car sans vidéo ou presque il faut se mouiller ! De plus lorsqu’on est sur la chaise, cela aiguise sa perception du combat et donc de son arbitrage.
Il faut re-responsabiliser les arbitres. Mais je garderais le système vidéo en proposant de faire comme à la lutte : les entraîneurs auraient le droit de faire appel à la vidéo pour une action par combat. Une autre raison de garder la vidéo, dictée par un souvenir : aux championnats du monde 1997 à Paris, il y a eu un combat entre un Géorgien et un Coréen du Nord. Or, une mauvaise décision a été donné lors de ce combat alors que la vidéo passait et repassait sur les grands écrans de Bercy. Avec les ralentis, les spectateurs voyaient qu’une mauvaise décision avait été rendue mais le corps arbitral ne pouvait plus revenir dessus ! Le scandale de ces championnats du monde. »
Serge Feist : « Il faut arrêter cette manipulation de l’arbitrage avec la vidéo ! Qu’il y ait des superviseurs, ok. Mais ce n’est pas à eux d’intervenir ! Surtout pour donner de mauvaise décision comme aux championnats du monde 2013, où Juan Manuel Barcos, responsable de l’arbitre mondial, intervient lors de la finale Yarden Gerbi/Clarisse Agbegnenou. L’Israélienne étrangle avec son propre judogi la Française et Juan Barcos ne dit rien, expliquant juste après qu’elle avait le droit. Or, c’était faux, puisque seulement quelques semaines plus tard on apprenait que cela était interdit ! Ou encore cette année où malgré la vidéo il y a deux décisions qui sont prises pour Gneto, disqualifiée, et Trstenjak, qui ne l’est pas, exactement sur la même situation. Il faut redonner les pleins pouvoirs aux arbitres de tapis. Un retour aux trois arbitres ? Oui pourquoi pas. Mais la vidéo ne devrait pouvoir être demandée que par l’arbitre central.
Et quand on décortique un mouvement avec des ralentis, cela empêche de voir le mouvement dans sa globalité, sa singularité, son rythme. Et quant à moi je ne suis pas pour le droit de faire appel à la vidéo. Cela casserait le rythme du combat. Nous sommes le judo. »
Temps de combat, valeurs, shido et golden score
Patrick Vial : « Cinq minutes de combat et le système du yuko, waza-ari, ippon, ça m’allait très bien : Kano a voulu une gradation dans les valeurs en fonction de la qualité de la projection. C’est bien qu’il doit y avoir une raison ! Le cumul des waza-ari était aussi une bonne chose, puisque cela prouvait la supériorité d’un combattant sur un temps donné. Concernant le golden score, personnellement, j’aime l’incertitude des drapeaux ! À ce propos, avec Serge Feist, nous pensons qu’il faut y revenir mais avec une nouveauté : si il y a unanimité des trois arbitres (trois drapeaux à zéro donc), le combat s’achève. Si il n’y a pas unanimité, on part en golden score !
Quant aux shido, trois ou quatre, peu importe. Ce qui compte c’est la bonne compréhension du combat et de les donner à bon escient. Un exemple concret : je trouve qu’on devrait plus sanctionner les combattants qui cassent leur adversaire, imposant leur force, puis les traîne au sol en sachant pertinemment qu’ils ne travailleront pas en ne-waza.»
Serge Feist : «Je suis pour les cinq minutes de combat et trente secondes d’immobilisation (quinze à vingt-quatre = yuko, vingt-cinq à vingt-neuf secondes = waza-ari). Sur les shido, le fameux trio kuzushi-tsukuri-kake doit guider chaque décision : y a-t-il déséquilibre ou pas ? Si ce n’est pas le cas, alors c’est pénalité pour fausse attaque. De même les arbitres doivent-ils avoir en permanence à l’esprit la question : « qui fait quoi ? ».
Il faut être particulièrement attentif à la non-combativité car c’est là que pour moi est le gros problème ».
Arbitres internationaux et formation
Patrick Vial : « Il faudrait beaucoup plus d’anciens compétiteurs. À Athènes, nous étions trois : Shozo Fujii (quatre fois champion du monde), une Coréenne et moi. À Rio, il y avait le seul Ozako.
Je me souviens avoir rarement eu de problèmes avec les combattants. Quand on a un « background » de compétiteur, ils le savent et je pense que cela aide au respect des décisions.
Les arbitres internationaux devraient avoir un niveau de grade minimum. Mais comme cela dépend de chaque fédération nationale, ça paraît utopique. De même il serait bon je pense, lors des séminaires d’arbitrage, de faire venir les champions qui ont un mouvement spécifique. Cela aiderait les arbitres à mieux appréhender ce dernier et les situations qui en résultent en combat. »
Serge Feist : « Il faudrait imposer un examen technique aux arbitres et revoir leur sélection lors des grandes compétitions ! Aux JO on doit envoyer les meilleurs…point ! Et peu importe si ils viennent de seulement deux ou trois continents. Quand je vois qui arbitre par exemple au Zen Nihon (le championnat toute catégorie au Japon)… ce sont tous d’anciens combattants ! Ils comprennent ce qu’il se passe sur le tatami. Il faudrait trouver un moyen d’inciter les anciens judokas de haut-niveau à arbitrer. »
Proposition au niveau national
Serge Feist : « Ces interdictions affaiblissent le judo dans les clubs. On perd un panel technique qui existe. Avec Patrick Vial , nous avons proposé à la commission nationale d’arbitrage, à Agen, fin 2015, de mettre en place un règlement qui reviendrait aux anciennes règles dans le cadre des compétitions non-qualificatives ou test d’efficacité combat (passage de grade). »