Équipe de France, Japon en or, scandale d’arbitrage, et Cheng
1 – Le Japon remporte sept médailles d’or
Deux chez les féminines, mais elles ne sont pas passées loin de trois titres (voir par ailleurs), et donc cinq sur sept possibles chez les masculins. L’année dernière, les masculins japonais en avaient emporté quatre… avec quatre combattants absents cette année. Décidément, le réservoir nippon est inépuisable. En plus du retour de Takato (-60kg), de l’éclosion d’Abe (-66kg) et d’Hashimoto (-73kg) (voir le bilan du samedi), le public parisien découvre ce dimanche un -100kg de très grande classe. Malgré ses dix-huit ans et sa tête de premier communiant, il se tient très droit, pose ses mains comme il veut en privilégiant une garde ultra-classique manche-revers, accélère quand il en a besoin, et se permet de disposer de Cyrille Maret chez lui, devant son public, sur un majestueux uchi-mata ! Il s’appelle Iida Kentaro, il ne pèse encore que 95kg et l’avenir devrait passer par lui.
On peut d’ailleurs au passage souligner que l’Asie a été forte à Paris. La Corée est deuxième nation derrière le Japon essentiellement grâce à… ses féminines, ce qui est nouveau. Deux médailles d’or, une médaille de bronze, il faudra compter avec elles.
2 – L’équipe de France masculine (re)part de loin
Bien sûr Teddy Riner n’est pas là. Mais la journée du samedi, sans aucune médaille dans trois catégories et notamment en -60kg où on pouvait espérer un bras de fer au sommet pour le leadership entre Khyar et Limare, avait commencé à laisser planer l’idée que le groupe masculin était totalement hors du coup en ce début d’olympiade. Heureusement, la journée du dimanche a au moins permis de confirmer un leader fort, avec un Cyrille Maret en roue libre et pas vraiment tranchant, mais suffisamment consistant tout de même pour atteindre la finale. Tant qu’il sera là, la catégorie des -100kg sera bien tenue en France, même si il paraît bien seul pour l’instant. Ce dimanche a montré aussi qu’une concurrence s’était clairement dessinée en -90kg, et même, si on s’en réfère aux résultats récents, que c’est l’outsider qui a aujourd’hui clairement le dessus. Finaliste à Tokyo en décembre, finaliste à Paris en février, Axel Clerget est désormais le leader officieux de la catégorie. Le duo Clerget – Iddir était attendu au tournant de ce tournoi, le premier à être « officiellement » qualificatif pour les championnats internationaux à venir. Alexandre Iddir disparaît assez tôt, victime du « sode » du 102e mondial, un Allemand de 21 ans, David Tekic, tandis qu’Axel Clerget arrive une nouvelle fois en finale, confirmant son statut de 5e mondial.
Enfin, et c’est une très bonne nouvelle, alors que la journée de samedi avait été sinistre à ce niveau, deux -81kg français montrent que, après tout, cette jeune élite nationale n’est peut-être pas si loin du niveau requis en montant sur le podium. Le champion de France Pape Doudou Ndiaye, qui était espéré dans ce rôle, mais aussi Baptise Pierre, finaliste du « national », monte sur le podium pour une médaille de bronze bien négociée pour l’un comme pour l’autre, dans un bel élan porté par le public, comme on aime. Deux garçons qui ont montré de l’envie et du judo (et on peut associer à ce satisfecit Les 19 ans de Nicolas Chilard qui s’offre le Russe Voroboev au premier tour avec pas mal d’audace) et qui n’ont pas craqué sous le poids de l’enjeu. Il n’est jamais anodin de monter sur le podium du rendez-vous parisien et il sortira du bon de cette réussite, qui rassure sur la capacité de la jeune classe française à prendre les places vacantes. Il faut aussi mesurer l’enthousiasme à l’aune du niveau de l’opposition : sur ce début d’olympiade, tout est brassé et beaucoup de jeunes étrangers étaient engagés, de prometteurs Ouzbeks, Ukrainiens ou Brésiliens, en pleine montée en puissance, mais rarement au dessus des 20 ans et classés en dessous de la 40e place mondiale. Baptiste Pierre bat tout de même l’Allemand Ressel, 23 ans et 22e mondial, finaliste à Tokyo, quant à Pape Doudou Ndiaye, il surprend superbement l’un des « top10 » présents, vainqueur au Portugal la semaine dernière, le Brésilien Penalber. Pour Baptiste Pierre, qui à 21 ans n’a derrière lui que quelques Coupes Européennes et une cinquième place à l’Open du Portugal, pour Pape Doudou Ndiaye qui, à 23 ans, avait jusque là du mal à accrocher son wagon au train international, c’est une bonne surprise, qui demande à être confirmée.
Le bilan général reste tout de même un peu faible pour nos masculins, lesquels, malgré deux finales, n’emporte aucune médaille d’or, pour la première fois depuis… 2007, il y a onze ans, ce rôle étant généralement tenu par Teddy Riner ou Cyrille Maret (lequel avait gagné les trois dernières éditions avant d’échouer cette fois en finale).
3 – Les Françaises sont fortes, mais…
Avec sept médailles, les Françaises réussissent une excellente prestation générale sur ce tournoi de Paris. Des jeunes montrent leur potentiel et après les affirmations du samedi, la cinquième place en -70kg un peu frustrante, mais honorable de la puissante Marie-Eve Gahié, 20 ans depuis le 27 novembre est une autre confirmation de potentiel dimanche. En -78kg, le bronze de la jeune Sama Hawa Camara, vice-championne du monde junior 2014, ajoute un nom à la liste des prétendantes à une éventuelle succession. Trois nouvelles médaillées à Paris, Hélène Receveaux et Priscilla Gneto en -57kg (Gneto était déjà monté sur ce podium, mais en -52kg), Sama Hawa Camara en -78kg, c’est un bon début d’olympiade.
Si le bât blesse, c’est par le relatif manque d’autorité des leaders. En 2011, Automne Pavia, Gévrise Emane, Lucie Décosse et Audrey Tcheumeo gagnaient l’or à Paris. Clarisse Agbegnenou l’emportera ensuite par trois fois en 2013, 2014 et 2016 (elle était absente en 2015). Cette fois, elle reste sur la deuxième marche, dominée par la championne du monde et championne olympique slovène Tina Trstenjak qui a désormais la main sur elle après une cinquième victoire de suite. Les autres sont retraitées et pour l’instant non remplacées. La défaite rapide de la championne olympique Emilie Andeol devant la toute nouvelle n°1 japonaise de la catégorie, l’étonnante Sarah Asahina, nous rappelle que la guerrière de Champigny était loin d’être la favorite à Rio et qu’elle n’est pas forcément destinée à gagner toutes les grandes compétitions à venir. Il reste Audrey Tcheumeo, de retour en or comme en 2011 et 2015, mais dans un combat final (voir par ailleurs) à deux doigts d’être perdu. Les féminines françaises seraient alors sortie de l’arène de Bercy sans un titre… ce qui n’est jamais arrivé ! Une force collective qui masque donc peut-être le fait que la pointe de flèche est émoussée, ou pas encore assez aiguisée. Il faudra surveiller dès cette année la capacité de notre élite féminine à prétendre à l’or sur les grands championnats. Le grand enjeu de 2017 est là.
4 – L’arbitrage nouvelle génération tient déjà son premier « scandale »
Pour ceux qui ne sont pas trop branchés sur le haut niveau et qui se rendaient à Bercy comme un rendez-vous annuel agréable à partager entre amis, la surprise a été de taille, et parfois douloureuse. Le judo ne se ressemble plus tout à fait et il peut être déroutant de voir tomber ces « waza-ari » qui n’en sont pas – ils sanctionnent désormais toute action du « kinza » au waza-ari -, ces pénalités qui ne pénalisent pas, ou ces « golden score » à répétition. Il est sans doute tôt pour tirer un bilan et décider ce qui fonctionne ou non. On peut déjà constater néanmoins que la bataille du kumikata fait rage plus que jamais et que les quatre minutes sont trop courtes pour décanter quoi que ce soit. Les golden scores sont nombreux et se terminent le plus souvent par une pénalité de plus. Quant à l’idéal de faire en sorte que celles-ci ne soient plus ce qui décide d’un combat, c’est manifestement déjà raté. Quant à la table centrale, elle est plus que jamais présente dans la gestion du combat, pilotant sa jeune génération d’arbitres comme des automates maladroits. Paris sur ce plan a souvent été très frustrant, les arbitres finissant souvent d’une pénalité décisive des combats qui auraient pu finir autrement, comme ce fut le cas par exemple sur deux finales importantes : celle des -48kg où la n°1 mondial mongole Munkhbat fut sortie d’un combat où rien n’était fait devant la Coréenne Jeong. Idem en +78kg entre les deux Japonaises Asahina et Yamabe. Plus grave encore, la pénalité tombait de façon totalement irrationnelle en finale des -78kg ! La Française Tcheumeo et sa rivale japonaise Sato, s’étaient livrée un combat obscur, mais sans merci sur le contrôle de la main forte adverse. Courageuse, la Japonaise avait tenu d’abord, puis renversé le cours du combat en contrôlant la puissance sans égale de la Française, laquelle au golden score avait donné à l’arbitre plusieurs occasions de faire tomber la pénalité fatidique. Elle ne tombait pas, et ce n’était pas si mal : allons au bout de l’idée, laissons-les trouver la solution par le judo… Sauf que, à la sortie suivante, la jeune arbitre centrale, bien mal à l’aise, désignait la Japonaise pour le shido, « coupable » d’avoir poussé la grande Tcheumeo dehors ! Une décision en complet décalage avec le cours du combat, comme tous les amateurs éclairés s’en rendaient compte. Le manque d’enthousiasme de Bercy à ce moment-là fut assez clair. Ce n’est pas la faute d’Audrey Tcheumeo, mais ce combat fut un très mauvais signe donné à la communauté du judo. Et encore une fois, il faudra qu’on nous explique en quoi on est plus proche de la vérité et du « spectacle médiatique » avec ce nouveau dispositif.
5 – Une superstar chinoise ?
Ce n’est pas une lourde, et d’ailleurs ce n’est pas une fille. Cheng Xunzhao est connu comme le premier Chinois a avoir atteint le podium olympique, en passant sur le ventre d’Iliadis et de quelques autres. Il est désormais le premier Chinois finaliste d’un Grand Chelem… et le premier vainqueur ! Avec son visage souriant et décontracté, son corps apparemment plutôt fin, il ne paye pas de mine. Après le « hadjime », il approche de son adversaire en s’étirant encore, comme s’il faisait un petit randori d’échauffement au club. Mais ses attaques en sode ont illuminé Bercy dimanche et son o-soto-gari en confusion à une nouvelle fois crucifié ses plus dangereux adversaires, dont le Français Clerget en finale. La révélation de Bercy, disons la confirmation d’un talent qui pourrait bien éclaboussé toute l’olympiade et bouleverser les habitudes du judo mondial, c’est lui.