JOP 2024, Jour 2. À l’occasion des Jeux olympiques de Paris, retrouvez le billet quotidien de Pascaline Magnes, bénévole au sein l’organisation des JOP 2024 qui intègre la rédaction de L’Esprit du Judo et que vous retrouverez bientôt dans le magazine. De la bonne humeur, des sensations et des rencontres à partager…
Raconter le moment qui m’a le plus marquée aujourd’hui… Me voici bien embêtée devant ma feuille blanche. Parce que cette deuxième journée des JO de Paris en valait quatre…
Raconter cette immense championne, littéralement en état de choc, effondrée sur cette moquette bleue à hurler sans fin, dans les bras de son coach, totalement impuissant, avec une caméra plus grosse qu’elle à quelques centimètres de ce qui changera à jamais son existence ? Raconter ces 8 000 personnes qui applaudissent au moins aussi fort que ses cris pour l’aider à se relever, en scandant son nom comme pour s’adresser à la jeune fille qu’elle est, sous ce judogi de favorite au titre olympique ? 8 000 amoureux du judo qui ont peut-être déjà connu la défaite, ce ippon à sens unique qui interdit de remonter le temps, ne serait-ce que de quelques secondes ? Ou 8 000 personnes qui tentent, à leur façon, de se relever de leurs épreuves de vie et qui ne peuvent laisser quelqu’un à terre ?
Ou raconter ces mêmes 8 000 personnes qui, une heure plus tard, semblaient se soulever toutes ensemble, telle une force venue des entrailles de la terre, comme pour retourner l’adversaire brésilienne qui osait résister aux petites mains d’Amandine Buchard ? La liesse générale quand Amandine assure sa demi-finale, j’avais l’impression d’être dans un chaudron capable de tous les pouvoirs.
Il y a eu aussi ce long et presque mystique face-à-face, au sol : Giuffrida qui, voyant sa jeune tortionnaire accroupie, décontenancée de lui avoir presque “volé sa médaille”, va s’accroupir avec elle, front contre front, comme pour lui expliquer comment on ressort d’un tatami médaillée olympique, elle qui l’a déjà fait deux fois. Comment raconter ces longues minutes suspendues, sous les applaudissements émus de 8 000 spectateurs, venus du monde entier, qui ne savent que trop bien qu’aux Jeux olympiques, tout est possible ?
Emmanuel Charlot / L’Esprit du Judo
Je dois choisir. Je saisis cette image qui restera à jamais gravée dans ma mémoire : Hifumi Abe, en pleine euphorie du public que son tout nouveau titre olympique semble consoler du drame de la matinée, s’arrête au bord du tatami : il descend son genou gauche, puis le droit, et va poser ses mains au sol pour saluer tel un samouraï qui remercie le champ de bataille. Est-ce qu’il saluait le tatami ? Le public ? Le judo ? Son pays ? Ou sa sœur, assise sur un petit siège dans les gradins, rhabillée de son survêtement national depuis bien longtemps déjà ? Lui seul le sait.
Des drames dont on finit par se relever, différent à jamais, des victoires que l’on célèbre les bras hauts parce que l’on ne sait pas encore les défaites qui nous attendent, des instants de communion, inattendus et indescriptibles… et ce même salut plus fort qu’une langue universelle. Ce que vivent des milliers de personnes, loin des tatamis de Jeux olympiques aussi. C’est le judo.