C’est une édition chaleureuse de la Champions League qui vient de s’achever dans la Stark Arena, devant un public debout tout au long de la journée pour acclamer ses héros – serbes bien sûr, mais aussi grecs – et bondir par dessus les balustrades pour un instant volé, smartphone ou stylo en main, avec un Teddy Riner disponible et amusé par cette joyeuse cacophonie. Le sourire, le quintuple médaillé olympique l’avait à l’issue d’une journée qui n’avait pourtant pas souri à sa dream team franco-géorgienne, foudroyé en demi-finale, autant par l’arbitrage que par l’OJK Beograd, qui s’en allait derrière cueillir le titre, mais solide pour résister au Golden Gori et grimper sur son premier podium depuis la renaissance du club en 2017. Si le doublé clairement visé par le PSG Judo s’était envolé en milieu d’après-midi donc, les féminines, menées par son trio de championnes d’Europe 2023 – Amandine Buchard, Marie-Ève Gahié et Romane Dicko – du club de la capitale n’ont quant à elles pas dévié de leur route vers l’or en Serbie. 3-0 contre le JC Bosna en ouverture, 3-1 dans la finale avant l’heure contre Galatasaray, puis un nouveau 3-0 triomphal contre les Seine-et-Marnaises du JC Pontault-Combault, qui s’étaient offert le premier derby francilien du jour en demie contre le RSC Champigny sur un succès précieux de Dounia Nacer contre la toute récente championne de France des +78kg Anne-Fatoumata M’Bairo.
Pour en arriver là, les combattantes de Pénélope Bonna avaient déjà réalisé un joli coup contre l’autre Étoile Rouge, celle des locales de Belgrade, qui avaient pourtant complété son équipe avec la présence de la Japonaise Ryoko Takeda et de la numéro 1 mondiale des -70kg Sanne Van Dijke. C’est d’ailleurs cette dernière qui laissait filer le dernier point aux Françaises, dominées aux pénalités par … sa compatriote Hilde Jager. Pas un hasard selon la coach pontelloise. « À l’image des choix que nous faisons lors de nos recrutements nationaux, nous avons cherché des filles qui collaient bien à notre mentalité de battantes. Que ce soit Pleuni (Cornelisse) ou Hilde, nous savions qu’elles allaient se fondre dans le groupe et se battre jusqu’au bout pour tenter de rapporter leurs points et aller chercher cette douzième médaille européenne pour le club, la première depuis un petit moment. »
Cela ne suffira pas contre l’ogre parisien en finale, les deux Néerlandaises rendant les armes contre Priscilla Gneto et Marie-Éve Gahié, de même que Gaétane Deberdt dans l’intervalle, vaincue par Lucy Renshall. Tenante du titre avec l’US Orléans l’an passé (tout comme l’aînée Gneto et Margaux Pinot, passées au PSG Judo cet été), la Britannique serait-elle en passe de devenir le porte-bonheur des formations hexagonales qui font appel à elle ? « Même si elle revenait de blessure et qu’elle avait accumulé pas mal de fatigue entre le Grand Chelem et le stage international de Tokyo, d’où elle nous rejoignait directement, Lucy s’est mise au diapason pour se mettre en mission comme le reste de l’équipe », saluait Nicolas Mossion, qui avait encore en mémoire la collaboration plus délicate de l’an passé avec la Canadienne Beauchemin-Pinard. Une bonne pioche pour un premier sacre qui ne semblait pas pouvoir échapper à la cohorte de championnes du club de la capitale.
Tous les observateurs étaient tentés d’en dire de même de leurs homologues masculins, avec rien de moins que trois champions olympiques – Lasha Shavdatuashvili (2012), Teddy Riner (2012 et 2016) et Lasha Bekauri (2021) – et un double champion du monde en titre en la personne de Tato Grigalashvili rassemblés sous la même bannière, aux côtés des sélectionnés olympiques français Walide Khyar (médaillé mondial et européen cette année) et Alpha Djalo (en bronze aux championnats d’Europe de Montpellier début novembre). Blessé au pied en début de semaine, le champion d’Europe des -60kg – également retenu pour les Jeux – Luka Mkheidze était lui aussi du voyage, mais aucun risque n’était pris pour le médaillé olympique de Tokyo, et c’est des tribunes qu’il assistait au parcours des siens. Malgré le revers initial d’Alpha Djalo, la triplette Bekauri-Riner-Khyar assurait l’essentiel, effaçant le mauvais souvenir de la défaite en repêchages l’année dernière à Gori contre les Espagnols du JC Stabia. Le waza-ari en contre de l’Ouzbek Alisher Yusupov laissa Riner impassible, comme pour mieux préparer sa riposte sur uchi-mata et montrer que, même « en manque de repères et de rythme » comme il le concédait en fin de journée, il allait répondre présent.
Cette exactitude au rendez-vous allait être la clé de la demi-finale contre l’OJK Beograd, tapi dans l’ombre du Red Star mais qui avait déjà acéré ses crocs contre les tenants du titre du Fighter Tbilissi en quart de finale (3-2). Alexis Mathieu l’avait bien compris et prenait les commandes du premier duel contre le vice champion d’Europe 2022 Darko Brasnjovic. Un seoi-nage en bordure lui offrait un waza-ari qui récompensait sa bonne entame, jusqu’à ce que les superviseurs ne s’y penchent de plus près pour constater le contact de sa tête sur le tatami au moment de l’action. Application stricte (et sévère) du règlement et hansokumake pour le -90kg parisien, qui ne l’avait pas vu venir. En bon capitaine, Riner se jouait alors de Milos Vukicevic, avant de passer le témoin à Walide Khyar dont l’activité poussait à la faute l’Espagnol Alberto Gaitero Martin, sanctionné à deux reprises avant l’entame du golden score. Sur ce schéma, le Français insistait pour faire tomber la troisième sanction, qui n’allait jamais venir, à son grand agacement. Pour en terminer coûte que coûte, il osait lancer tai-otoshi dans le golden score, que parait habilement l’Espagnol pour l’arracher de terre et, malgré une pirouette à la sauve-qui-peut, le faire chuter sur la tranche. 1-2 à ce moment-là pour les Belgradois, qui allaient rapidement connaître l’ivresse lorsque Lasha Shvadatuashvili s’envolait sur le ura-nage de Jorge Cano Garcia, autre recrue venue de Madrid. Le triple médaillé olympique géorgien pouvait se tenir la tête entre les mains, il venait de laisser filer l’or pour lequel il avait été mandaté en laissant cette année ses compères du Golden Gori.
Hasard du tableau, ce sont eux qui allaient se mesurer aux Parisiens pour le bronze, après avoir pris le meilleur sur le CO Sartouville, sauvé par le magnifique balayage de Robin Corrado au premier tour contre les Monténégrins du Dzudo Klub Ibar (3-2) mais impuissant ensuite face au trio Vedat Albayrak-Nemanja Majdov-Andy Granda (tous les trois champions continentaux cette année) du Red Star Belgrade (0-3). Shavdatuashvili sortait de l’équipe parisienne, au profit du jeune Alexis Renard dans l’idée de faire place à ses compatriotes Tato Grigalashvili et Lasha Bekauri (seuls deux combattants étrangers peuvent être alignés à chaque rencontre, NDLR), qui n’allaient pas faire de sentiment pour respectivement clouer au sol Vladimir Akhalkatsi et plaquer sur le dos Zaur Dvalashvili. Deux points qui s’ajoutaient à celui obtenu par Riner contre le champion du monde juniors 2023 Shalva Gureshidze et qui envoyaient tout ce joli petit monde sur la troisième marche du podium.« Je ne vais pas dire que je suis content, parce que l’on venait vraiment pour le titre, mais il faut se servir de cette journée pour la suite, racontait après coup capitaine Riner. Plus que frustrant, c’est dégoûtant car, honnêtement, je ne voyais pas qui pouvait nous battre. Cela doit nous faire comprendre une chose : ce n’est pas parce que tu débarques avec la meilleure équipe que tu es assuré de l’emporter. Sans oublier tous les bons moments partagés ces quelques jours avec tout le groupe, cela restera une belle claque. »
L’ultime leçon de ces championnats d’Europe de bonne facture allait à nouveau être donnée par l’OJK Beograd, porté par ses deux Espagnols survoltés (sept victoires à eux deux en autant de combats disputés), chirurgicaux face à Sardor Nurillaev et Murodjon Yuldoshev, les deux Ouzbeks dépêchés pour l’occasion par les Grecs de l’Aris Judo Club. « Nous sommes arrivés dans un petit club qui nous correspondait bien, nous faisant sentir comme des membres de la famille à part entière, exultaient en chœur, or autour du cou, Jorge Cano Garcia et Alberto Gaitero Martin. Les « vamos » de nos partenaires et des nombreux supporters nous ont transcendés, et nous étions à 100% Serbes aujourd’hui. » La rengaine « campeones, campeones » (« champions, champions » en espagnol) résonne encore dans les travées de la Stark Arena.