Mes camarades de L’Esprit du Judo me pressent pour que je vous fasse part un peu de ce que je vois sur ce tapis de judo de « l’Arena Champ-de-Mars », comme il paraît que cela s’appelle. Bien sûr, j’ai été un peu occupée ! Comme vous le savez peut-être si vous nous suivez régulièrement, au premier jour de ce tournoi olympique, j’avais la mission de coacher pour la Suède notre -48kg, la jeune Tara Babulfath, que je suis depuis plus d’un an maintenant. Alors je n’ai vu qu’un tapis, et encore, seulement quand Tara était dessus. Quand on est entraîneur, la focale se réduit à un point fixe, comme on dit des idées.
« Dis-nous les émotions que cela fait d’amener une jeune fille de dix-huit ans sur la troisième marche du podium olympique » me demandent-ils. Je ne sais pas encore très bien. Il faut le savoir, les émotions sont un peu l’ennemi de l’entraîneur. Celles qui comptent, ce sont les émotions de notre athlète, et on fait en sorte qu’elles soient positives. Alors, je me force à ne pas ressentir, ce qui n’est pas forcément mon tempérament, pour rester la plus consciente possible, la plus apte à donner la bonne information. Tara est très sensible aux émotions extérieures, elle a besoin d’un axe de calme pour rester dans la bonne énergie qu’elle est capable de susciter si on ne la trouble pas, si on la rassure et si on la conforte. Samedi, j’avais presque réussi à oublier que j’étais aux Jeux. D’étape en étape, il faut se maintenir dans cette forme de froideur, d’absence à ce qui n’est pas nécessaire. Seule l’athlète compte, les informations utiles que l’on peut lui donner et qui ne sont pas nombreuses. Jusqu’au bout, rien n’est fait, tout peut disparaître alors qu’on croit à la finale, à la médaille. Quand il reste une chance, il faut repartir immédiatement sans état d’âme, redresser ce qui peut l’être pour retrouver le bon état d’esprit. Après notre demi-finale perdue de peu d’une pénalité et le débordement émotionnel de Tara, je l’ai recadrée avec sévérité, pour qu’elle écarte ce type de réaction, pour maintenant et pour plus tard. C’est le prochain combat qui compte. Tu veux la laisser te prendre cette médaille ? Alors, quand Tara gagne cette médaille olympique, je me prends le visage dans les mains parce que j’ai l’impression de sortir d’un engourdissement. Tout d’un coup tout m’apparait. Cette jeune fille, avec qui je vis depuis des mois, a vraiment gagné la médaille ? Ce sont les Jeux olympiques, ici à Paris ? Après quelques minutes, on songe à aller partager une boisson rafraîchissante avec des amis et à laisser derrière soi ce qui vient d’être achevé. Et des amis, il y en avait, autour de la performance de Tara, puisque nous sommes des itinérants de l’entraînement, et que dans ce public qui l’encourageait il y avait des Espagnols de Valence, des Français de Paris, et d’une façon générale, des combattants de partout avec lesquels nous avons tissé beaucoup de lien avec tous ces entraînement communs. On m’a demandé pourquoi Tara était si encouragée dès son premier combat samedi, je crois que le secret est là.
Et puisqu’il faut être honnête, même si ce n’est pas le plus sage, on songe aussi, fugitivement, à tous ceux qui ont été des obstacles au cours des années. Les grands accomplissements sont aussi des revanches.
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