Nouvelle rubrique hebdomadaire de début de semaine sur lespritdujudo.com : « L’interview du lundi » a le plaisir de lancer sa saison avec Lucie Décosse. Judokate extraordinaire, la championne olympique de Londres en -70kg et triple championne du monde (2005, 2010 et 2011), désormais entraîneure nationale chez les féminines, revient pour nous sur cette nouvelle expérience, sa vision du métier d’entraîneur et ses subtilités.
Lucie, quelles nouvelles depuis l’annonce du report des JO et le déconfinement ?
Comme beaucoup, le report ne m’a pas franchement étonnée. En tant qu’entraîneur, c’est bien sûr plus facile à vivre. On a gardé un contact très régulier pendant le confinement avec les athlètes. Pour la majorité d’entre elles, la déception du report passait au second plan devant les impératifs de santé et c’est bien logique. Après le confinement, on a eu la bonne surprise de retrouver des filles très en forme. Cela nous a permis de repartir très vite sur du judo plutôt que sur de la condition physique durant les deux stages d’été, à Montpellier et à Soustons. À l’heure actuelle on reste sur une préparation « globale » en vue du Grand Chelem de Hongrie fin octobre et des championnats d’Europe mi-novembre. Notre horizon est là et c’est déjà bien de pouvoir se projeter.
Tu encadres, avec Larbi Benboudaoud et Séverine Vandenhende, un groupe extrêmement performant. Comment gère-t-on cela ?
C’est vrai que notre groupe est très compétitif. Mais attention : elles n’ont pas toutes le même profil. On s’attache donc à les faire avancer de manière différente, spécifique. Une Clarisse (Agbegnenou) avec ses quatre titres de championne du monde et sa médaille d’argent à Rio possède un profil unique. Il y a un donc un discours personnel à tenir. Certaines sont championnes du monde, d’autres médaillées mondiales, d’autres ne l’ont pas encore été. Il faut donc fixer des paliers à passer pour chacune. On ne peut, on doit pas penser uniquement titre olympique comme objectif. Il faut y aller par étapes. Avec Larbi (Benboudaoud, responsable de l’équipe féminine NDLR) et Séverine (Vandenhende, entraîneure nationale) l’idée est de jouer à la fois sur l’émulation collective et un travail personnel. Car le judo reste un sport individuel. Pour la première, on n’est pas dans un schéma de management comme on peut le trouver dans les sports collectifs. L’idée est de s’appuyer sur les performances et la dynamique positive que cela induit pour forger un état d’esprit collectif que chacune voudra s’approprier pour son projet personnel et ses ambitions. Une émulation en forme de cercle vertueux qu’on travaille via les stages à l’étranger ou en France, comme aux Ménuires, avec des activités collectives en extérieur. À l’Insep, au quotidien, c’est plus compliqué de travailler.
En tant qu’athlète, vous avez tous les trois un palmarès impressionnant*. Est-ce un atout ?
Je pense que notre palmarès nous rend disons un peu plus légitime. Pour autant, il faut bien entendu faire ses preuves, montrer ses compétences en tant qu’entraîneur. Et lorsqu’on a été par exemple champion olympique, cela confère davantage de responsabilités ! D’un côté, les titres acquis font que les athlètes peuvent plus facilement nous faire confiance quand on les conseille, les guide ou quand leur impose quelque chose. En retour, si le résultat n’est pas au rendez-vous, il faut être capable de prendre sa part d’échec. C’est vraiment une responsabilité, tu n’as pas vraiment le droit d’être mauvais !
C’est quoi le style Lucie Décosse entraîneure ?
Cela paraît évident de le dire mais je m’appuie principalement sur mon parcours. Je n’ai pas été championne olympique immédiatement, mais à ma troisième participation. J’ai donc fait mon chemin. Pour cela, j’ai dû intensifier mes entraînements en me focalisant toujours plus sur mes axes de travail, en cherchant des solutions. C’est le message que j’essaie de faire passer : être constamment investi à chaque entraînement. Je conseille aussi aux athlètes, comme je l’ai fait pour moi-même, de trouver des choses à travailler par soi-même, de ne pas tout attendre de l’entraîneur. En équipe de France, je suis la référente de Mélanie Clément, Sarah-Léonie Cysique, Fanny-Estelle Posvite et Audrey Tcheuméo. S’il y a, bien sûr, du travail personnalisé pour chacune, j’ai deux principaux axes de travail collectifs avec elles : le kumikata et l’acquisition ou le perfectionnement d’une technique « côté opposé ». Des objectifs pour lesquels j’exige beaucoup de répétitions, avec des situations de défense progressive de la part d’Uke.
Tu as maintenant quelques années d’expérience, quelles sont les qualités d’un bon entraîneur ?
Il y a des choses qui me paraissent aller de soi. Essayer de bien connaître les gens, d’abord. Le coaching est un subtil mélange d’adaptation aux athlètes, à leur de manière de « fonctionner » et l’imposition de directions de travail que l’on estime nécessaires à leur progression. Ce faisant, il faut trouver des clés de compatibilité avec son athlète. Ensuite, il faut une bonne dose d’humilité. Selon moi, un bon entraîneur ne doit pas être dans le sentiment que c’est lui seul qui a fait gagner l’athlète. La qualité d’un coach tient aussi à sa progression. Par exemple, partir de loin à la ranking-list durant l’olympiade et finir médaillé olympique est un signe que l’entraîneur a bien fait son boulot. Mais je vois tellement d’entraîneurs avec chacun sa manière de coacher… L’humilité est donc aussi de savoir qu’il n’y a pas une seule méthode. Quand on regarde certains, on peut, a priori, avoir des doutes sur leur philosophie d’entraînement. Et pourtant ils ont des résultats. L’entraînement est donc lié à une culture, des spécificités qui sont parfois difficilement transposables à un autre pays.
Transmettre, expliquer, est-ce naturel pour toi ?
J’ai été vite confrontée à la question de la transmission en étant entraîneure nationale chez les cadettes. Des jeunes judokas que je n’avais, qui plus est, pas très souvent puisqu’on ne les voyait que lors des stages nationaux ou pendant les compétitions à l’étranger. Avec l’expérience, je pense que la transmission est plus compliquée avec les seniors. Si ce dernier a le même mode de fonctionnement que vous, la même vision de la relation entraîneur/entraîné, cela passera naturellement. Mais si ce n’est pas le cas ? Pour avoir plus de solutions, j’ai suivi la formation « Action type » de Bertrand Théraulaz et Ralph Hippolyte. Et je me base là-dessus. L’idée ? Trouver les mots, les vecteurs de communication par lesquels l’athlète va comprendre et s’approprier le message que vous n’arrivez pas à faire passer avec tes mots habituels et personnels.
Tu as gardé des amitiés de ton époque de compétitrice ?
Je croise quelques anciennes adversaires sur le circuit mais sans plus. Au début de ma carrière d’entraîneur, j’ai revu Ayumi (Tanimoto) et Maki Tsukada en dehors du judo. Mais c’est tout. Pour être honnête, je n’ai pas lié beaucoup d’amitiés lorsque j’étais athlète. (sourire)
*Séverine Vandenhende a été championne olympique en 2000 et championne du monde en 1997 en -63kg.
Larbi Benboudaoud a été champion du monde en 1999, vice champion olympique en 2000 et vice champion du monde en 2003 en -66kg.