La densité du plateau de ce Grand Chelem annonçait du spectacle. Ce vendredi soir, pour la première journée, le show était effectivement au rendez-vous. Grâce aux stars japonaises bien sûr, qui ont démontré une supériorité titanesque. Grâce aux Français, aussi, qui récoltent trois médailles aujourd’hui : l’argent pour Mkheidze, le bronze pour Faiza Mokdar et Walide Khyar. Grâce, enfin, à une Japonaise de naissance, la Canadienne Christa Deguchi, qui continue sa marche en avant vers la titularisation olympique.
Nouveau podium pour Luka Mkheidze dont l’impressionnante constance est désormais entrée dans les mœurs. Vainqueur à Paris et deuxième à Bakou cette année, le médaillé olympique, victorieux du Néerlandais Tornike Tsjakadoea en demi-finale aux pénalités – un combattant très difficile à manœuvrer – tombe toutefois à nouveau sur un os russe en finale. Après Ramazan Abdulaev en Azerbaïdjan, le Français s’incline, ici, à Antalya, contre le très félin Ayub Bliev. Troisième à Tokyo, ce judoka de vingt-six ans aura dominé cette finale, marquée à son début par un très fort passage au sol où Bliev arrivait à tenir en osaekomi Mkheidze plusieurs secondes. Sur l’action suivante, toujours au sol, le Russe poussait le genou droit du Français qui grimaçait. Interrogé par notre confrère Anouk Corge de L’Équipe après sa médaille, le Français expliquait avoir entendu craquer mais sans pour autant ressentir de douleur. Si rien n’était marqué au bout des quatre minutes, on sentait le Russe légèrement au-dessus. Et sur une tentative de kata-guruma un peu statique du champion d’Europe en titre, le Russe sentait bien le coup et contrait le Français. Un Bliev remonté comme une pendule puisqu’une contre-performance ici aurait sans doute scellé le choix d’Abdulaev comme -60kg russe à Paris. Ce soir, Bliev, vainqueur de son premier Grand Chelem, revient dans le game. Mkheidze, lui, fatigué par le stage en Ouzbékistan et au Japon, continue à se préparer tout en montant à la ranking list olympique. Ce soir, il sera deuxième, juste derrière Ryuju Nagayama.
En -66kg, Walide Khyar rentre très bien dans sa compétition : son ko-uchi-gari contre le Géorgien Tengo Zirakashvili, est à montrer dans toutes les séances techniques de club. Dans une demi-finale logique face à Hifumi Abe, le Français restait calme et serein. Mais passée la moitié du combat, le champion olympique lançait son fameux o-soto-gari avec les deux bouts de manche. Un mouvement terrible d’impact et de puissance qui mettait le Tricolore sur le dos. Pour le bronze, notre médaillé mondial et européen 2023 retrouvait l’Espagnol David Garcia Torne. Un judoka de vingt-six ans, sixième mondial, au look très années 80 mais très malin dans son judo. D’ailleurs c’est lui qui plantait la première banderille avec un enchainement fulgurant en o-uchi-gari/ko-soto-gari qui mettait Khyar sur la tranche. Waza-ari. Mené, le Français se montrait plus agressif. L’Espagnol s’affolait un peu et lançait un sutemi-waza sur lequel le Tricolore plaquait Garcia Torne. Une reprise d’initiative qui ne sautait pas aux yeux à première vue mais que la commission d’arbitrage validait. Quatrième médaille de bronze en Grand Chelem pour le champion d’Europe 2016.
Dernière à entrer en lice lors du bloc final, Faiza Mokdar, star du Grand Chelem de Paris avec sa victoire face aux meilleures de la catégorie, imite Walide Khyar avec une jolie médaille de bronze. Ce vendredi, elle n’est battue que par Christa Deguchi en demi-finale. Une défaite nette – il faut le reconnaître – mais qui n’impactait pas la triple championne d’Europe juniors qui plaçait son ippon-seoi-nage à droite à l’Allemande Seija Ballhaus, 3e au Portugal et 21e mondiale. Titulaire aux championnats d’Europe fin avril en Croatie, Mokdar semble avoir, pour de bon, retrouvé la fraîcheur et la précision techniques de ses années juniors.
Tsunoda et les Abe, tellement au-dessus
Triple championne du monde en titre chez les -48kg, Natsumi Tsunoda, qui n’a perdu qu’un seul combat depuis mars 2021 (trente-huit victoires pour une défaite en demi-finale du Grand Chelem de Tokyo 2022 contre une compatriote, Rina Tatsukawa) continue sa prodigieuse série. Son tomoe-nage et sa science du ne-waza lui permirent de totalement survoler la journée, avec une finale est bouclée en moins d’une minute sur la Turque Sila Ersin, vice championne du monde juniors 2023 : tomoe-nage en deux temps, immobilisation, sortie de son adversaire, mais enchaînement parfait en juji-gatame. Bien trop forte pour l’opposition du jour, la Japonaise, grâce à ses 1000 points, va remonter à la deuxième place de la ranking list olympique.
Impression encore plus effrayante laissée par Uta Abe qui catapulte Chelsie Giles sur uchi-mata, en finale, au bout de seulement huit secondes, après une première attaque en sode-tsuri-komi-goshi.
À un niveau stratosphérique au-dessus de la concurrence du jour, la petite sœur de la famille passe ce soir à la sixième place de la ranking list olympique à la faveur de cette neuvième victoire en Grand Chelem. Rappelons que sa dernière défaite remonte au Grand Chelem d’Osaka en décembre 2019 face à Amandine Buchard, soit quarante-six victoires consécutives.
Son frère laisse lui aussi une impression monstrueuse de supériorité. En finale, à peine un shido pris que le champion olympique lançait un uchi-mata/o-uchi-gari létal au Tadjik Nurali Emomali, vainqueur du Grand Chelem de Tashkent. Hifumi Abe est invaincu depuis la demi-finale des championnats du monde 2019.
La dernière médaille d’or du jour va à Christa Deguchi, l’ancienne étudiante de Yamanashi Gakuin, impériale toute la journée. Son o-uchi-gari, une pure merveille, lui permet de finir en or, face à la Brésilienne Jessica Lima. Une dixième victoire en Grand Chelem pendant lequel elle aura eu à cœur de remettre les pendules à l’heure face à Faiza Mokdar en demi-finale. Déjà sortie quatre fois depuis le début de l’année (!) la Canadienne va consolider sa place de n°1 mondiale de la catégorie et de féminine ayant le plus de points à la ranking-list olympique. Les jeux seraient-ils faits avec Jessica Klimkait ? On n’est pas loin de le penser.