Témoignages vus d’ailleurs

En complément des nombreux éclairages recueillis dans le cadre du dossier Judo et études à lire dans l’EDJ79 actuellement en kiosque, veuillez retrouver ci-dessous les témoignages de six champions étrangers, quatre actifs et deux retraitées.

« Les Jeux, ce n’est pas un jour tous les quatre ans, mais chaque jour pendant quatre ans ». Pour paraphraser l’un des nombreux mantras de l’Américaine Harrison, championne olympique 2012 et 2016 des -78kg, l’après-carrière ne commence pas après la carrière sportive mais bien pendant. C’est l’intuition qu’eut par exemple la médaillée européenne et mondiale ukrainienne Maryna Pryshchepa en mettant à profit « les longs moments d’attente pendant les stages, les voyages et les compétitions » pour apprendre en autodidacte plusieurs langues dont le français. Sa carrière terminée, au moment où son pays sombrait dans le chaos [cf. EDJ40], l’ancienne -78kg eut ainsi la possibilité de passer en France le concours d’infirmière et de venir s’installer dans la Loire pour y travailler et fonder une famille. En Russie, les cadres Ezio Gamba et Dmitry Morozov nous expliquent la « faisabilité a priori » de n’importe quel cursus académique mais « le principe de réalité » qui confine le plus souvent les combattants aux seules études de sport ou de kiné. Rien de formel mais plutôt « une bonne intelligence fédérale à l’égard du calendrier universitaire, et vice versa, ainsi qu’une prise en compte progressive des possibilités ouvertes par le e-learning. L’avenir, d’ici quelques années ? S’inspirer des standards des universités américaines » nous précise de son côté un responsable de la Fédération coréenne.
Même son de cloche du côté de la médaillée olympique et mondiale allemande Laura Vargas-Koch, titulaire d’un master en Mathématiques et qui espère décrocher son doctorat « d’ici les Jeux de Tokyo » ou, dans un registre différent, du Français Loïc Korval dans l’un des nombreux paragraphes écrits au bazooka de l’autobiographie parue début 2018 chez Talent Sport (« Il était important, pour moi, d’avoir un bagage intellectuel sur lequel je pourrais compter au cas où je devais arrêter prématurément le judo » réaffirme en page 97 le médaillé européen et mondial français). Pour que le message passe mieux auprès des athlètes, faut-il dans un même geste former les formateurs ou, en tout cas, leur rappeler que le monde de 2019 n’est plus celui de 1969 ni même celui de 2009 ? Que la voie de la souplesse mérite ici d’être prise en considération ? Les générations passent, les calendriers évoluent – exit le temps des saisons à quatre temps forts : les France, le Tournoi de Paris, les Europe et les Monde ou les Jeux. Place désormais au mouvement quasi perpétuel…

JO de Rio, 10 août 2016. Le jour de gloire pour Haruka Tachimoto, en or sur le podium aux côtés de la Colombienne Alvear (2e), de la Britannique Conway et de l’Allemande Vargas-Koch
©Paco Lozano/L’Esprit du judo

Haruka Tachimoto (Japon) : « Un vrai parallèle entre ma démarche scolaire et mon titre olympique »

28 ans, championne olympique 2016 des -70kg après avoir survécu au Waterloo nippon des Jeux de Londres quatre ans plus tôt, la petite sœur Tachimoto a pris sa retraite à l’automne 2017.  Son parcours atypique en faisait cependant une témoin importante pour ce dossier.
« Je suis actuellement en Doctorat des sciences et du sport à l’Université de Tsukuba, grâce au programme de soutien aux athlètes. Très peu de sportifs et surtout de filles ont connaissance de cette opportunité qui nous est offerte par le ministère des Sports. Beaucoup préfèrent rentrer dans le système des entreprises, où elles peuvent continuer à faire du judo tout en ayant un salaire et une formation au sein de la compagnie qui les a embauchées. Pour ma part, je tiens à une deuxième carrière, différente de ma carrière sportive, et cela passe par une formation universitaire. Je préfère cela à un emploi semi-fictif avec une entreprise, même si ce dernier me permettrait de me consacrer au judo. Pour moi, aller dans un bon lycée voire à l’Université est un enjeu lorsque l’on est judoka. Je suis convaincue que ça paye, et ceci pour une raison toute simple : parce que le judo est un sport où l’on doit cogiter ! C’est bien simple : j’étais l’une des moins bien classées de l’équipe japonaise à Rio. Si j’ai obtenu la médaille d’or, c’est parce que j’ai systématiquement analysé mes adversaires avec des vidéos. J’avais une stratégie précise pour chaque combat. C’est sans doute là que s’est faite la différence avec mes coéquipières mieux classées sur le papier : trop sûres d’elles, elles ne se concentraient que sur leur propre judo. Je vois un vrai parallèle entre ma démarche scolaire et mon titre olympique. »

Le Canadien Antoine Bouchard, ici lors du combat pour la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Rio face au Japonais Ebinuma
©Paco Lozano/L’Esprit du judo

Antoine Bouchard (Canada) : « La clé se joue au niveau financier »

24 ans, 5e des JO 2016 en -66kg et champion panaméricain 2018 des -73kg.
« Je suis au BACC en biochimie à l’UQAM (Université de Québec à Montréal). Mon projet est de devenir enseignant en chimie et biochimie ou de travailler en laboratoire. Normalement, cette formation prend trois années mais, dans ma situation, l’étalement est possible de même que la possibilité de repousser des examens lorsque nous sommes en tournoi. L’idéal pour moi serait de le finir en cinq ou six années. J’ai la chance d’avoir des entraîneurs qui acceptent que je manque quelques pratiques pour pouvoir réussir à l’école. À l’inverse, mon école accepte de me faire passer un examen de reprise lorsque je suis en compétition à l’étranger. J’ai par ailleurs la chance d’être à cinq-dix minutes à pied de l’Institut national des sports (où je m’entraîne) et quinze minutes de métro de l’UQAM. Pour moi, la clé du développement des jeunes se joue au niveau financier. Une bourse pour étudier, ça peut changer une carrière. »

Astana, Kazakhstan, 26 août 2015. Pour ses premiers championnats du monde senior, Arthur Margelidon s’inclina au 2e tour face à l’Israélien Muki, champion d’Europe en titre
©Paco Lozano/L’Esprit du judo

Arthur Margelidon (Canada) : « Dispendieux de partir partout autour du monde »

25 ans, champion panaméricain des -73kg en 2016, 2e du Grand Chelem de Tokyo 2017 et du Masters de Guangzhou 2018.
« Je suis présentement à l’Université de Québec à Montréal et suis entré à la session de septembre 2018 dans le profil kinésiologie. J’aimerais déboucher en tant que préparateur physique pour une équipe sportive. Ce diplôme dure normalement quatre ans. De mon côté je m’engage à faire environ cinq ans d’université pour terminer mon programme. Lorsque je pars à l’étranger et que je manque un examen, ma fédération envoie un communiqué à mon Université pour que je puisse reprendre mon examen à mon retour. Généralement, j’ai entraînement en même temps que ma copine et cela nous prend dix minutes ensemble en voiture. Ensuite pour aller à l’école je préfère en métro car je peux réviser car le tout me prend environ 30 minutes.
La question du financement et la maîtrise du calendrier international restent la clé car, même si nous sommes mieux lotis que les générations précédentes, notre éloignement géographique fait que ça reste très dispendieux de partir partout autour du monde. Or il est nécessaire pour s’améliorer d’aller s’entraîner ailleurs dans le monde. Aussi l’augmentation de tournois devrait cesser. Il y a presque un tournoi à chaque fin de semaine maintenant. C’est trop. »

Sereine professionnellement, la Néerlandaise Verkerk remporte le 27 juin 2015 à Bakou son premier – et unique à ce jour – titre européen, six ans après son sacre mondial
©Paco Lozano/L’Esprit du judo

Marhinde Verkerk (Pays-Bas) : « Mon avenir était dans mes mains »

32 ans, championne du monde 2009 des -78kg (2e en 2013, 3e en 2015 et 2018), championne d’Europe 2015, l’élève formée par Chris de Korte témoigne d’un dialogue constant avec son encadrement tout au long de sa carrière.
« Je suis architecte et designer d’intérieur. J’ai fait mon cursus en sept années au lieu de quatre, entre 2007 et 2013. Seule la première année devait obligatoirement être faite en un an, puis les trois autres ont pu être divisées en deux chacune. J’ai eu la chance d’être entraînée à l’époque par Marjolein van Unen. Son discours c’était : si je peux t’aider, te faire un courrier de la Fédération, tu me dis. C’était une chance car côté études, mes interlocuteurs n’y connaissaient rien en termes de performance. Malgré tout, les Europe et les Monde tombant toujours en période d’examens, j’avais possibilité de les reprogrammer. Pour moi le judo passait en premier et mon école l’entendait. À la fin de mes études, j’ai fait un stage de six mois dans une banque, puis suis restée six mois en recherche d’emploi.  Grâce au réseau d’un ami, le boss d’une grosse boîte recherchait une athlète avec un portfolio. Il voulait faire une présentation avec moi. Aujourd’hui je travaille douze heures par semaine, soit un jour par semaine au bureau, le reste en télétravail, où que je sois. Je suis à 1 h 15 au centre d’entraînement de Papendal, où je me rends deux fois par semaine, le reste de ma prépa physique et technique s’effectuant près de chez moi, à Rotterdam. J’ai toujours su que je voulais être à la fois créative et sportive et que mon avenir était dans mes mains. Qu’importe aujourd’hui que je sois la plus âgée de l’équipe alors que j’en avais été la plus jeune. C’est l’équilibre dont j’ai besoin. »

Février 2016. Quatre ans après sa première médaille au Grand Chelem de Paris, Marti Malloy rappelle qu’il faut compter avec elle les années olympiques….
©Paco Lozano/L’Esprit du judo

Marti Malloy (USA) : « Mes profs comprenaient mes impératifs olympiques »

32 ans, 3e des JO 2012 et 2e des CM 2013 en -57kg, dernière retraitée en date de l’expérimenté trident qu’elle forma pendant près d’une décennie avec Kayla Harrison et Travis Stevens, l’Américaine aura étudié pendant sept années la publicité, la psychologie et les nouveaux médias à la San José State University, en Californie. Le jour de la rentrée 2013, elle bluffa toute sa promo en annonçant qu’elle s’envolait le lendemain pour dix jours pour un championnat du monde au Brésil – dont elle revint médaillée d’argent.
« Pour être honnête, je n’ai pas étudié tant que ça. J’avais de vraies facilités d’écoute en classe et n’ai donc pas eu besoin de me mettre à la planche pour mémoriser mes cours. J’ai consacré davantage de temps à certains travaux ou exposés qui me prenaient environ cinq heures par semaine. Pour le reste, j’ai eu la chance de bénéficier d’une vraie souplesse dans l’aménagement de mes créneaux, d’une part, et de la proximité géographique de chacun des lieux où je devais me rendre pour étudier ou pour m’entraîner. Côté Fédération, le deal c’était qu’ils me communiquaient mon programme et m’indiquaient à quels moments je devais trouver des solutions avec mes études.
Il y a quand même eu des moments difficiles. En général, je devais avertir au moins un mois à l’avance mes profs lorsqu’un examen tombait sur une période de compétition, puis, plus la date approchait, plus je devais le rappeler, encore et encore, à mes profs. À cette seule condition, ils m’autorisaient à passer à leur bureau pour passer l’examen en avance ou le caler pour mon retour. Ils comprenaient mes impératifs olympiques et, comme j’étais plutôt bonne élève, ça fonctionnait bien comme ça. C’est devenu plus compliqué lors de mes deux années de Masters, car les cours s’adressaient à des étudiants qui travaillaient déjà à côté. Ils avaient donc lieu en soirée, soit pile pendant mes entraînements. Or il n’était pas question que je sèche l’une ou l’autre séance. C’est la raison pour laquelle il m’a fallu deux ans et demi pour boucler un cycle qui aurait dû me prendre une année de moins. »

La semaine-type de l’étudiante Marti Malloy :

Lundi
07 h 00 : footing
08 h 00 – 15 h 45 : cours
17 h 30 – 19 h 30 : judo
Soirée : devoirs

Mardi
07 h 00 : musculation
09 h 00 – 14 h 30 : travail
15 h 00 – 16 h 15 : cours
17 h 30 – 19 h 30 : judo
Soirée : devoirs

Mercredi
07 h 00 : footing
08 h 00 – 15 h 45 : cours
17 h 30 – 19 h 30 : judo
Soirée : devoirs

Jeudi
07 h 00 : musculation
09 h 00 – 14 h 30 : travail
15 h 00 – 16 h 15 : cours
17 h 30 – 19 h 30 : judo
Soirée : devoirs

Vendredi
07 h 00 : footing seule
09 h 00 – 15 h 00 : travail
17 h 30 – 19 h 30 : judo.

Jusqu’où monterait la Suissesse Evelyne Tschopp si elle n’était pas accaparée par d’aussi prenantes études ?
©Paco Lozano/L’Esprit du judo

Evelyne Tschopp (Suisse) : « Les choses se sont améliorées »

27 ans, 3e aux championnats d’Europe 2017 et 2018, la -52kg a d’autant plus de mérite qu’elle mène de front un cursus universitaire exigeant.
« Je fais des études de médecine à l’Université de Fribourg. J’ai trois ou quatre heures de train pour aller en cours, ça me permet de réviser. Mes cours sont bilingues : 80 % sont en français et 20 % en allemand. En théorie le cursus s’étale sur six années mais je peux l’étaler sur dix ou douze ans. J’ai attaqué le Master (de la quatrième à la sixième année) à l’automne 2018 à Berne, en allemand, et fais actuellement mes stages de chirurgie et de médecine interne à l’hôpital. Dans mon cas, les deux parties travaillent bien ensemble pour trouver une solution : soit j’adapte la planification sportive si je dois faire des stages à l’hôpital ou pour les examens, soit je peux passer ceux-ci juste avant de partir ou après les autres.
Les choses se sont améliorées en Suisse. Maintenant, même si la Fédération nous encourage à faire quelque chose à côté et qu’une ou deux universités travaillent bien avec les sportifs, ça ne paie pas encore les voyages. Nous devons encore nous autofinancer et c’est parfois difficile. Le calendrier serait idéal si les grosses échéances coïncidaient davantage avec les vacances de semestre. Par exemple, aller au Japon quatre semaines en décembre pendant l’Université, c’est vraiment difficile. Deux, à la rigueur, mais pas plus parce qu’après, cela fait beaucoup de cours à rattraper. »

À lire également sur ce site les versions longues de deux entretiens, le premier avec Laurence Blondel, responsable à l’INSEP de l’accompagnement à la définition des projets de formation/professionnels des sportifs de haut niveau ; le second avec Philippe Martin, enseignant en EPS à l’Université Grenoble-Alpes, membre de l’équipe technique régionale de la ligue AURA, et responsable et entraîneur du CUFE judo, ainsi que l’exemple d’une reconversion ambitieuse de judokas de haut niveau avec un zoom sur la création du cabinet de conseil en gestion de patrimoine Epsilium.