Licenciements pour Stéphane Brégeon, Thierry Dibert et Kamel Mohamedi
Fondée en 1956, la section judo de l’Athlétic Club Boulogne-Billancourt fait partie de ces structures qui comptent dans le judo français, largement représenté sur la scène nationale et pourvoyeur de bon nombre d’internationaux depuis des décennies, de Jean-Luc Rougé, premier champion du monde tricolore en 1975, à Cyrille Maret, médaillé olympique aux Jeux de Rio l’an passé. Aux derniers championnats d’Europe, lors desquels le Bourguignon s’est invité en finale des -100kg, ils étaient même trois combattants de l’ACBB dans la sélection masculine, avec Cédric Revol en -60kg et Baptiste Pierre en -81kg (seul ce dernier n’a pas été reconduit pour disputer les prochains championnats du monde de Budapest). Une représentation inédite depuis bien longtemps pour le club des Hauts-de-Seine, fort de 900 licenciés, mais qui risque de marquer le pas dès la saison qui se profile…
© Patrick Urvoy – L’Esprit du Judo / Que va-t-il advenir du passage de témoin qui s’opère naturellement entre les générations des grands clubs comme l’ACBB, comme ici entre l’expérimenté Cyrille Maret et Romain Recrosio ?
Pour la première fois depuis trente-six ans, celle-ci se fera en effet sans Stéphane Brégeon, coordinateur élite du club, licencié avec dispense d’exécution du préavis le 1er août dernier, tout comme Thierry Dibert, responsable du pôle seniors compétition. Sans qu’aucune faute grave ne soit clairement précisée pour justifier cette décision. « Depuis le retour des Jeux de Rio, on a senti le coup venir, explique Stéphane Brégeon. En fin d’année dernière, prétextant des problèmes de trésorerie, le bureau de la section judo a d’abord annulé la participation de l’équipe masculine aux championnats d’Europe des clubs. On nous a également signifié que notre présence, en tant qu’entraîneurs de clubs, aux compétitions internationales où combattaient nos athlètes n’était pas utile et que, par conséquent, aucune dépense ne nous serait remboursée. Vu comme ça, notre projet de haut niveau ne pouvait plus fonctionner et la situation était devenue invivable. Et comme ni Thierry, ni moi n’avons jamais reçu ne serait-ce qu’un avertissement, ils ont commencé à évincer des athlètes, comme Jonathan Allardon, Aurélien Leroy ou Nicolas Brisson –parti à la suite d’une rupture conventionnelle–, dans un travail de sape pour saccager la locomotive que constitue le haut niveau pour un club comme le nôtre. Les mondes amateur et professionnel ne pouvant être gérés par les mêmes personnes, j’ai proposé une dissociation des deux secteurs dans le but de nous professionnaliser, mais on m’a reproché de vouloir tuer le judo loisir. Moi qui n’ai connu que l’ACBB, issu de l’école de judo, jamais je ne me serais douté de ça… Surtout de la part de ceux qui m’ont critiqué tout en étant parmi les premiers à revendiquer l’appartenance de nos champions ! »
Si Denis Crozet, le président de la section judo, n’a pas encore répondu à nos sollicitations, le trésorier adjoint Steven Lions, apporte son éclairage sur la situation. « En ce début d’olympiade, le bureau directeur de l’ACBB Omnisports nous a annoncé que le club rencontrait des problèmes de trésorerie et que chaque section devait effectuer des coupes budgétaires, à commencer par le judo qui dispose d’un gros budget (aux alentours de 750 000 euros, NDLR). Pour autant, vu que les finances demeuraient saines pour nous, il était envisageable de prévoir une restructuration en douceur, étalée sur deux ans par exemple. » « Un premier projet annoncé en janvier 2017 donnait deux ans à tous les athlètes pour tenter de figurer du mieux possible, avant qu’un choix ne se fasse en 2018 sur une fille et un garçon susceptibles de prendre part aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020, poursuit Myriam Auteri, athlète boulonnaise depuis trois ans et représentante du haut niveau avec Romain Poussin dans le bureau de la section depuis fin 2016. Tout le monde s’est senti menacé et l’idée a été abandonnée… » Si l’idée de ne conserver qu’une ou deux têtes d’affiches semble toujours priviliégiée à l’avenir, pourquoi dans ce cas se priver de ceux qui ont su driver vers les sommets les meilleurs Boulonnais des dernières décennies ? De plus, sans émulation ni partenaires, la quête de performance, déjà suffisamment compliquée avec beaucoup de candidats pour très peu d’élus, risquerait de devenir encore plus ardue pour un ou une athlète esseulé(e)…
© Emmanuel Charlot – L’Esprit du judo / Nicolas Brisson, salué par Cédric Revol et Cyrille Maret lors des derniers championnats de France par équipes.
Et si la situation au sein de la section avait déjà commencé à se détériorer depuis plusieurs mois, la remise en question par le bureau, dans lequel les membres du secteur loisir sont devenus majoritaires depuis la dernière élection, de la participation aux championnats de France par équipes 2017 (pour une histoire de coût) marqua une nouvelle étape décisive : Stéphane Brégeon est allé à la rencontre le Maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet, récupérant une subvention de 5000 euros pour pouvoir déplacer ses deux équipes début mars à Marseille. Une initiative qui aurait fortement déplu … « Lors d’une réunion au printemps, le bureau directeur a alors demandé aux entraîneurs de virer des athlètes, ce qu’ils ont évidemment refusé », ajoute Myriam Auteri. « De notre côté, on a plutôt insisté sur la nécessité de trouver de nouveaux sponsors, renchérit Steven Lions. Mais rien n’a été fait dans ce sens. Au contraire, le président et les professeurs du secteur loisir ont commencé à mettre la pression pour faire passer leur projet, pas très clair et totalement recentré sur la formation. Lors du vote du mois de juin, nous n’avons été que trois, sur douze membres du bureau, à ne pas suivre ce mouvement. Selon moi, qui n’ai jamais été athlète de haut niveau, et qui me faisait une joie de découvrir ce milieu en intégrant le bureau de l’ACBB judo, il s’agit davantage d’une histoire d’hommes que de finances. Surtout que lors de la dernière fête du club, au mois de juin dernier, le Maire de Boulogne-Billancourt nous a tous assuré de son soutien. »
© Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo / Baptiste Pierre (deuxième en partant de la gauche), sur le podium du dernier Grand Chelem de Paris.
Avec cette annonce subite des licenciements des deux entraîneurs phares de la section, auxquels s’ajoute celui de Kamel Mohamedi au motif qu’il ne serait pas assez souvent venu sur les créneaux enfants, c’est la grosse vingtaine d’athlètes du pôle seniors compétition, listés haut niveau ou combattants en première division, qui s’interroge pour son avenir, alors que les transferts doivent intervenir avant le début de la nouvelle saison sportive comme le stipulent les règlements de la FFJDA. « À la surprise s’ajoute donc l’inquiétude pour tous ces athlètes, qui ne veulent pas rester à l’ACBB et qui vont devoir trouver rapidement un autre point de chute », note Myriam Auteri, également concernée par ce revirement de situation. La disparition, au moins temporaire, de l’ACBB dans le paysage du haut niveau tricolore constituera assurément une perte pour celui-ci, puisqu’il s’agissait tout de même du seul club avec le Levallois SC –autre club du 92 à progressivement baisser pavillon depuis 2016– à avoir ramené à la France un titre mondial (Loïc Pietri en 2013), un titre continental (Loïc Korval en 2014) et une médaille olympique (Cyrille Maret en 2016) sur la dernière olympiade…
Retrouvez ci-dessous la lettre ouverte rédigée en fin de semaine dernière par Stéphane Brégeon sur son compte Facebook (cliquez sur la capture pour la lire en intégralité) :