L’organisation d’arts martiaux mixtes mariée au judo… Shocking ?
L' »Ultimate Fighting Championship » (UFC) vous connaissez ? Cet organisateur de spectacles qui a plus de 450 combattants sous contrat s’occupe d’ »arts martiaux mixtes » (MMA) comme on le dit aujourd’hui, appelé auparavant « combat libre » (freefight en anglais). Née comme un programme de télévision à péage « trash » dans les années 90 (1993 exactement) sous l’influence de la fameuse famille combattante brésilienne Gracie, elle permit la rencontre de différents combattants venus d’horizons martiaux et géographiques divers, dans des combats aux règles volontairement peu contraignantes et se fit connaître dans le monde entier par l’adoption comme terrain de jeu de la fameuse « cage » octogonale. Peu à peu, le MMA s’est normalisé, donnant naissance à un nouveau sport martial à vocation professionnel accepté dans la plupart des pays du globe, mais toujours pas en France. L’UFC en est désormais la première organisation mondiale et pèse semble-t-il, plus de deux milliards de dollars.
C’est cette organisation qui a annoncé le 3 novembre qu’elle parrainerait le British Open de Judo à Londres en 2015, dans le cadre d’un partenariat global avec la Fédération britannique de judo. En juillet prochain, l’open de Londres, si prisé des combattants français, sera donc pavoisé aux couleurs de l’UFC dans le cadre d’un contrat avec la British Judo Association, la fédération de judo du Royaume-Uni, et prendra la forme de publicités et d’activités promotionnelles pour la marque UFC.
Un partenariat pour inciter à la pratique du judo
Garry Cook, l’un des patrons de l’UFC, en est ravi : « Le judo représente un élément essentiel des arts martiaux mixtes, et nous sommes enthousiastes à l’idée de réunir les fans de l’UFC, les supporters de judo et les pratiquants de ces deux sports ». Quant à Andrew Scoular, chef exécutif de la BJA, il a déclaré : « Nous sommes ravis de notre nouveau partenariat avec l’UFC, qui apporte de nombreux avantages pour chacune des deux organisations ainsi que pour les disciplines du MMA et du judo au Royaume-Uni. Nous espérons créer d’autres opportunités de sponsoring et de promotion avec l’UFC dans l’avenir. En nous associant à une marque aussi importante que l’UFC dans le domaine des arts martiaux, le judo va bénéficier d’une visibilité accrue en Angleterre en tant qu’art martial incontournable, et ce partenariat va contribuer à faire mieux connaître la discipline, en incitant les jeunes à le pratiquer davantage. » Et il prend tout de même soin d’ajouter : « En Angleterre, les valeurs du judo sont synonyme de discipline et de responsabilité. Avec le respect et l’éthique, ces dernières sont partagées par l’UFC ».
Allo la terre ? Il n’y a pas comme un problème ?
Si nous ne sommes pas du tout de ceux qui rejettent l’expérience du MMA par principe, ni ses combattants, nous sommes en revanche réellement interloqués et choqués par ce rapprochement forcé des deux cultures, qui nous semble, de la part de l’organisation qui devrait tout faire pour identifier sa différence, ne pas respecter ses propres fondamentaux, les fondamentaux du judo. Jigoro Kano a conçu sa discipline comme une discipline éducative, ayant fait le choix historique d’une pratique expurgée autant que possible des risques systémiques pour le corps et transcendant la violence de l’affrontement à travers la contrainte technique et des marqueurs symboliques forts, comme le salut, le kimono blanc et une certaine culture empreinte de sobriété de modestie et de dignité issue des valeurs traditionnelles japonaises. Le judo exalte – et construit – un certain type d’homme, une attitude, une vision du monde et de la société. Sport spectacle jouant avec les limites depuis ses débuts, même si les choses ont évolué, le MMA exprime une vision autre, pour ne pas dire inverse sur bien des points.
Encore une fois, il ne s’agit pas pour nous de stigmatiser les combattants de MMA (qui peuvent eux aussi, individuellement, faire preuve de modestie, de dignité et de haute maîtrise technique et être des gens de qualité), de distribuer les bons et les mauvais points. Nous sommes les premiers à penser que, sur le plan technique, il y a des liens entre les disciplines, que la pratique du MMA peut aussi être formatrice sur le plan humain, que le judo est aussi une discipline martial qui s’intéresse, dans l’esprit de Jigoro Kano lui-même, au « réel » (c’est à dire à l’efficacité des techniques de combat) et qu’on peut, en judoka, considérer le MMA, sous cet angle, comme une forme moderne de jujutsu… Le vieux Kodokan de Jigoro Kano, après tout, était un laboratoire des formes martiales de son époque.
Mais il est quand même navrant qu’une organisation nationale de judo, qui devrait se sentir responsable chez elle de l’image universelle de la discipline, culture humaniste pleine de profondeur autant que sport olympique, maison mère de toutes les pratiques modernes martiales, en soit réduit à considérer qu’elle va améliorer son image et sa notoriété à travers l’engouement actuel et, il faut bien le dire, ambigü, du spectacle professionnel proposé par l’UFC. Sans en faire des tonnes là dessus, les combats « mixtes » en tant que spectacle restent une pratique tout à fait discutable et ne sont en tout cas pas de pures métaphores de l’éthique et du respect humain. À ce niveau il est clair que le projet n’est pas le même, l’idéal différent.
Un rapprochement de mauvais goût
C’est au moins une grave faute de goût et sans doute une grosse erreur. La France démontre depuis des décennies que la force de conviction du judo sur la société n’a rien à voir avec le fait qu’il peut être, comme le suggère le responsable Garry Cook, une bonne base pour le MMA. Pour l’UFC, le judo n’est qu’une forme d’entraînement parmi d’autres dans son projet d' »arts martiaux mixtes », efficace sans doute comme le démontre par exemple une combattante comme l’ancienne médaillée olympique américaine Ronda Rousey, mais empêtrées dans ses vieux restes « folkloriques » issus de son archaîque culture centenaire. La Fédération britannique, de façon incroyable, semble trouver valorisante cette union avec l’UFC, cet adoubement de la jeune discipline à la mode envers sa vieille aînée. Il nous semble que c’est l’inverse. Que ce rapprochement avec l’image du MMA, même à la mode, tire le judo vers le bas, le rétrécit, brouille son image et son ambition, voire les dénature. Pour « profiter de sa notoriété » le judo britannique fait allégeance au MMA. Par ce rapprochement, le board montre qu’il ne croit pas lui-même à la spécificité du judo sur le plan de sa culture, de ses aspirations, de son modèle, qu’il n’est pas prêt à les défendre ! Les valeurs humaines et l’éthique ? Rejetées en une phrase pour constater qu’il n’y a pas de différence entre les pratiquants de judo et de MMA. Ça n’est pas un peu court ?
De la fraternité entre les combattants, bien sûr, pourquoi pas ? Le respect des pratiques différentes, le goût de l’échange, voir du défi, l’envie de partager sur le plan technique, la liberté des parcours individuels qui peuvent faire passer d’une pratique sportive à une autre, qui peuvent conduire à s’interroger sur d’autres dimensions de la science du combat, les frappes par exemple, rien de tout cela n’aurait été choquant pour Jigoro Kano, ni nuisible au judo… Mais entretenir la confusion, refuser de se battre sur la différence, et même ne plus la voir, voilà qui est navrant de la part d’une organisation en charge du « projet judo » dans son pays. À terme, on peut même penser que c’est suicidaire. À quoi sert le judo si le MMA défend aussi bien les principes éthiques et qu’il l’englobe techniquement ?
Ce n’est guère une surprise de la part d’un judo britannique qui nous a habitué au pire, y compris la médiocrité, alors qu’il a été l’un des plus anciens et des plus féconds judo du vieux continent. Le judo pourrait mourir de ne pas être compris et protégé par ses défenseurs mêmes, la leçon mérite toujours d’être retenue.
Une dernière question interroge avec ce partenariat : qu’en pense la fédération internationale de judo ?