Zoom sur le professeur emblématique du Stade Laurentin
[Retrouvez ici la version intégrale de l’article consacré à José Allari dans L’Esprit du Judo n°43.]
Son curriculum lui confère le statut de Commandeur bien au-delà de son département des Alpes-Maritimes. A bientôt 70 ans dont plus de cinquante à tenir avec son frère César le gouvernail du Stade Laurentin, zoom sur un professeur emblématique du judo français
“Un chef est un homme qui a besoin des autres”. A Saint-Laurent-du-Var, commune de 30 000 habitants située à un petit pont de Nice, la phrase de Paul Valéry mériterait d’être gravée à l’entrée du somptueux dojo des Pugets. C’est en effet à cette adresse qu’habite désormais le Stade Laurentin. 51 années d’existence, 500 licenciés de moyenne, 32 professeurs diplômés d’Etat, 300 ceintures noires, 20 podiums nationaux par équipes et quelques 350 podiums nationaux individuels – une sorte de Tour Eiffel-bis du judo français made in PACA. C’est de là que parle Joseph “José” Allari, 70 ans le 12 mai prochain, président et co-directeur technique du club aux côtés de son frère César et de son beau-fils Manu Armitano. Un 8e dan à l’aura bâtie sur le Jita Kyoei. Un chef, donc.
Chance. “J’ai débuté chez lui lorsque j’avais 10 ans” se souvient Michel Nowak, médaillé de bronze aux JO de Los Angeles. “J’habitais à quelques mètres du dojo. Avoir eu José comme professeur n’a pas été une chance, ça a été MA chance” admet non sans émotion l’actuel directeur technique du C.O. Sartrouville. “Aujourd’hui je m’efforce de transmettre cet héritage privilégié. Former, au sens de José Allari, c’est être là pour la graine jusqu’à ce qu’elle devienne un arbre. Suggérer les réponses juste avant que ne soient formulées les questions. Je veux que mes élèves aient à leur tour cette chance. LEUR chance.”
Chemin. C’est à 13 ans que José est tombé dans la marmite. Cinq ans plus tôt, son aîné César, sur les conseils de leur oncle Ferdinand, avait ouvert le chemin. L’entraînement se déroulait au Nérolium, petite salle municipale où, la journée, était mis en bouteille le nectar des fleurs d’oranger qui parfument tant cette région horticole. Les six licenciés sont encadrés par M. Grandjean, un garde des Eaux et forêts alors ceinture marron. Malgré d’excellents résultats, l’unique club laurentin doit fermer en 1957 faute de combattants. Inséparables dès cette époque, César et José se licencient ensuite au JC Monaco chez M. Imbert. Des championnats de Provence aux compétitions nationales, le nom des Allari commence à être redouté. Bataillon de Joinville, création du Judo Club Laurentin en 1962, transfert au local des Douches municipales en 1965 sous le giron du Stade Laurentin, avant les mythiques dojos du gymnase Carton en 1969 et du parc François-Layet en 1982.
Histoire. En juin 2011, la municipalité inaugure le nouveau dojo Hervé-Allari, ainsi nommé en hommage au défunt fils de César et Antoinette. Le site ne craint “dégun[1]” : 1 500 m2 de tapis (contre 270 m2 jusqu’ici), 5 surfaces de combat, un hammam, une tribune de 500 places, des normes écologiquement exemplaires… Derrière l’opulence de la pierre, il y a l’histoire noueuse d’un fils d’agriculteurs que les racines, les épreuves et le rythme des saisons ont rendu fataliste. “Je prends ce qui vient”, sourit étonnamment l’intéressé. Champion de France des lourds en 1963 et 1964, vainqueur du tournoi pré-olympique 1963, quatre fois 5e aux Europe individuels et médaillé de bronze aux championnats d’Europe par équipes 1964, José Allari n’a pour autant participé ni aux JO de Tokyo ni à ceux de Mexico, sa catégorie de poids n’entrant pas dans les priorités des comités de sélection de l’époque. Alors avec César, il complète sa préparation en jouant en parallèle au Rugby Club de Nice… En 1969, il y laisse un genou et bien des illusions. Il n’a pas 26 ans mais du bon sens et, comme Jigoro Kano, la conscience aiguë qu’il en va des leçons du tapis comme de celles de la vie : “Tout est judo”. Il enseigne ici, il enseigne là et surtout il enseigne comme personne. Le bouche-à-oreille fonctionne tant et si bien qu’en 1974 Henri Courtine lui-même le convainc de prendre en charge la section sport-études qui s’ouvre à Nice, l’une des quatre premières en France. Réticent au début en raison de ses multiples engagements, José occupera finalement cette fonction jusqu’en 2006. Sa patte ? “Déceler les qualités de chacun et essayer de les développer”, une approche que son vécu et sa faconde crédibilisent. Les frontières sont alors poreuses entre le dojo du Parc impérial et le club laurentin. “Je crois beaucoup à cet équilibre entre la structure et le club. Les champions ont besoin d’un groupe derrière eux. La structure offre des partenaires. Le club, des copains.”
Aimant. Michel Nowak, Manu Armitano, Gilles Musquin, Eric Colleuil, Jérémy Cillario… Génération après génération, la liste des “clients” formés ou juste passés par le Stade Laurentin devient épaisse comme un bottin. Plus encore, la réussite actuelle d’anciens élèves devenus entraîneurs comme Gilles Nahon, Michel Carrière, Mohamed Otmane ou Karl Spinosa montre la portée du discours comme de la méthode, en dépit des réserves qu’inspirent au patriarche les tensions actuelles entre les gros clubs de la région [cf. EDJ41]… Le nom Allari agit comme un aimant, ainsi que le raconte Gilles Bonhomme, médaillé européen en 2009 : “J’ai débuté chez Jean-Claude Daumas à Saint-Martin-du-Var. Quand j’avais 10 ans, nous étions sept à bien tourner et notre professeur nous a dit que si nous voulions progresser, il fallait nous rapprocher de César et José Allari. C’est ce que nous avons fait… ou plutôt c’est ce qu’ont fait nos parents, à tour de rôle et plusieurs fois par semaine. Les deux villes étaient quand même distantes d’une trentaine de kilomètres !” Même son de cloche chez Emilie Lafont, championne de France 1re div’ à 16 ans en 2003. Entourée de garçons, elle est l’une des rares féminines à avoir émergé et donne toujours du “Monsieur” Allari. Arrivée d’Apt et en balance entre les pôles de Marseille et de Nice au moment d’entrer en Seconde, elle n’oublie pas que José s’est porté garant d’elle auprès de ses parents. “Sa femme Claire et lui m’ont hébergée, accompagnée, protégée.L’école Allari, c’est autant sur le tapis qu’autour.”
Cordon. Pour Emilie, Gilles, Michel et tant d’autres avant et après eux, l’un des moments de vérité fut celui de la coupure du cordon. Le fameux Nice-Paris, aller simple souvent si compliqué à gérer à un âge où l’affectif et le mal d’un pays devenu trop lointain conditionnent volontiers l’assiduité à l’entraînement. Un rite de passage délicat, depuis les mains du professeur adoré jusqu’à celles de l’entraîneur endurant – le seul des deux vraiment habilité à prendre l’athlète à rebrousse-poil. Une problématique typiquement azuréenne, à en juger par la lecture des palmarès année après année. “Combien des nombreux médaillés nationaux cadets et juniors formés dans le 06 ont réussi à tirer leur épingle du jeu en senior ?” La question est posée par Marcel Piétri, élève “indirect” de José Allari puisque formé par Charly Giuge, ancien du Stade Laurentin. Volontiers lyrique, l’expérimenté directeur technique du JC Monaco compare son vieil ami José à l’instituteur-héros de La gloire de mon père : “Il incarne la figure paternelle. Le guide, celui qui inspire, qui fait rêver, qui parle peu mais emploie toujours le mot juste. Celui dont il faut aussi savoir se détacher un jour, à regrets, pour avancer, et vers lequel on revient souvent, bien plus tard, lorsque l’on est apaisé.” Une comparaison qui saute aux yeux à la lecture du célèbre roman de Marcel Pagnol, dont quelques lignes semblent avoir été écrites par et pour José Allari : “Comme les prêtres, disait mon père, nous travaillons pour la vie future. Mais nous, c’est pour celle des autres.” L’intéressé n’aurait pas dit mieux.
[1] « Personne », en provençal.
Tous propos recueillis par Anthony Diao (L’Esprit du judo)