Agbegnenou, Pavia et Duprat en haut de la boîte
On aurait pu terminer ce samedi à Dusseldorf dans une joie sans mélange, heureux pour les couleurs françaises en constatant la superbe montée en puissance de Pavia et d’Agbegnenou, qui gagnent ici après leur première levée à Paris, et se féliciter de celle de Duprat le champion de France des -66 kg, qui fait une journée magnifique, avec notamment un combat formidable sur le champion coréen Wang. Mais la première impression qui domine à la fin de cette première journée du Grand Prix d’Allemagne, c’est l’agacement devant le nombre de combats indigents que nous ont proposé les phases décisives – un seul ippon en finale, celui de notre Clarisse Agbegnenou – et quelques doutes concernant les effets des nouvelles dispositions d’arbitrage.
Des doutes ? Un seul en vérité, mais de taille : les changements drastiques imposés par la commission d’arbitrage au judo mondial, censés améliorer le judo et le spectacle, n’ont-ils pas, finalement, un effet plutôt négatif ? L’accumulation des shido « gratuits » – dont les motivations sont très obscures d’un arbitre à l’autre – semblent plutôt inciter les combattants à s’orienter vers une gestion tactique. La saisie aux jambes totalement interdite continue à éliminer de bons combattants sur des phases de combat judo. Mais restons sages et mesurés. C’est encore un peu tôt pour juger. Il est clair cependant que cette fin de première journée restera dans les annales comme un des pires moments de judo de ces derniers temps. Pas bon signe.
Dommage, car cette première journée a donc montré, aussi, un visage très convaincant du judo français. Automne Pavia (1e en -57 kg) gagne son deuxième grand tournoi en deux semaines. Et ce n’est pas une si grosse surprise. À la fin de l’année dernière, année olympique, il était devenu évident que la blonde Française, de plus en plus affirmée dans son schéma technico-tactique, n’avait plus guère de rivales à la hauteur dans le monde, la championne olympique Kaori Matsumoto mise à part, et sa jeune suppléante, Anzu Yamamoto, que Pavia bat en finale à Paris après deux défaites successives contre elle. La Française confirme ici avec une facilité d’autant plus insolente que son style très tactique semble bien s’accorder avec la tendance actuelle de l’arbitrage. Il devient difficile de lui résister à la vitesse effrénée à laquelle tombent les pénalités sur les filles qui tentent d’opposer un kumi-kata défensif à son terrible bras droit. La Japonaise Hirai a fait moins de trois minutes avant d’être disqualifiée. C’est plus surprenant pour Clarisse Agbegnenou. Non pas que son potentiel soit méconnu depuis son intrusion au meilleur niveau alors qu’elle était encore junior, mais la façon dont, depuis deux tournois (et pas des moindres), elle passe à travers la concurrence comme un buffle camarguais à travers des paravents chinois, fait réfléchir. Avec sa puissance, sans doute confortée par la pesée la veille, Clarisse a passé un cap avec une aisance vertigineuse. Car c’est vraiment peu dire qu’elle est au-dessus. Comme à Paris, elle déménage toutes ses adversaires avec des attaques incroyablement profondes en o-soto-gari ou harai-goshi. C’est impressionnant ! Pour la seconde fois, elle expédie l’une des meilleures Japonaises, Abe Kana, sur o-soto-gari, explose la dangereuse Israélienne Gerbi, vaporise la jeune Japonaise Tsugane, bref, elle fait très mal et, sur ce registre, à ce niveau, disons-le sans guillemets, elle s’est tout simplement installée d’un coup en véritable n°1 mondial.
En -73 kg, Pierre Duprat impressionne aussi. Avec son attitude toute en discrétion, on aurait pu l’oublier derrière les « élégants », Legrand, Urani, et le colossal Darbelet. Mais en gagnant les France devant les autres, il avait marqué un beau point d’honneur. Lequel vient de se transformer en point sur les i. À Paris, il avait semblé rentrer dans le rang en perdant rapidement contre le dangereux Van Tichelt. Le deuxième service sera le bon, et c’est un ace. Tranquille et efficace dans un tableau qui lui permet une belle montée en puissance, il se révèle en demi-finale « éclatant » le Coréen Wang qui paraissait parti pour être l’homme du jour. Éblouissant de vivacité et d’inventivité technique dans les premiers tours, le Coréen en rémission de son échec des Jeux avait un peu étonné au tour précédent en se grillant physiquement après être parti comme un dragster dans un combat finalement compliqué contre l’Israélien Muki… dont le kimono paraissait collé à la peau (normalement à ce niveau, il y a des règles…). Une gestion bizarre du combat qui dénotait un manque de sérénité et de concentration du champion. Il n’empêche. Le Français lui est passé sur le corps sans demander pardon. Un premier waza-ari sur un contre de seoi-nage et un ippon sur un uchi-mata bien posé, sur lequel Wang est monté tout net, avant de tomber sur le dos. Le choc. Malheureusement, la finale passionnante qui s’annonçait contre le meilleur Européen du moment (le Russe Isaev mis à part), le Néerlandais Elmont, a été fusillé par la règle « pour protéger le beau judo », interdisant la saisie à la jambe. Après deux petites minutes de finale dans laquelle le Néerlandais paraissait mal embarqué, sur un o-uchi-gari rapide et bien esquivé par Pierre Duprat, Elmont commettait l’erreur fatale d’enchaîner dans un réflexe en kushiki-daoshi. Pas de ça Lisette. Interdit de pantalon, hansokumake. Et Pierre Duprat, désolé en sortant du tapis avec de l’or, repartait sans savoir si il avait assez de judo ce jour là pour battre clairement le bourreau de Legrand aux championnats du monde et aux Jeux, le vainqueur d’Urani à Paris. Dommage, trois fois dommage. Mais on peut quand même le dire : Duprat vient de se hisser tout prêt de son leader. Les choses vont vite en judo et malgré ses médailles mondiale et olympique, son titre européen, Legrand va devoir reprendre la partie avec l’oeil vif pour ne pas laisser ce jeune joueur en pleine bourre aligner de telles victoires. Duprat est là, et bien là.
Les autres Français ? Si Issam Nour (-60 kg, 5e) fait une belle journée, en partie grâce à la disqualification injustifiée du Japonais Yamamoto contre lui au 2e tour (pour un imaginaire « fauchage par l’intérieur de la jambe d’appui »), Sofiane Milous (-60 kg) continue à se débattre avec les nouvelles règles et le vainqueur de Paris Larose (-66 kg), se faisait sortir d’entrée sur des pénalités sans grandes justification face au futur finaliste, le Japonais Fukuoka, excellent. Le Champion de France Killian Le Blouch (-66 kg) perd au premier tour, manifestement en difficulté pour imposer au niveau international ce qu’il avait très bien fait au niveau national. Contre-performance pour Payet (-48 kg), après sa finale parisienne. Elle perd d’entrée aux pénalités face à une Vénézuélienne de passage. Julia Rosso (-52 kg) est encore trop tendre pour la Brésilienne Miranda, et Pénélope Bonna (-52 kg) a toujours du mal à sortir de sa discrétion actuelle, elle qui fut championne d’Europe. Elle est dominée par la Néerlandais Ente. Enfin Morgane Ribout (-63 kg) est stoppée par une blessure. Elle bat une Coréenne mais ne se présente pas face à la Japonaise Abe Kana au tour suivant.
Inépuisable en -48 kg, le Japon place cette fois la jeune Okamoto en or dans cette catégorie. La Kosovar Kelmendji, toujours aussi rugueuse décapite la concurrence en -52 kg, tandis que Yuka Nishida, touchée au coude, repart chez elle avec le bras en bandoulière. En -60 kg, c’est un Mongol au ras du sol, spécialiste des kata-guruma façon yoko-guruma, Ganbat Boldbaatar, qui l’emporte. Signe de triomphe du « beau judo » ? Pas sûr… Deux Japonais, en finale en -66 kg, deux très beaux combattants en revanche. Et c’est Ebinuma en pleine maturité, vainqueur spectaculaire du Géorgien olympien Shavdatuashvili (qui l’avait battu aux Jeux), qui gagne le tournoi face à Fukuoka. Aux pénalités.