Fondateur du Maurienne Judo il y a plus de soixante ans, René Miksa, ceinture noire n°313, s’est éteint le jour de Noël, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Pour célébrer le parcours exemplaire de ce disciple de Jean De Herdt, nous lui avions consacré une double page dans L’Esprit du Judo n°88 (septembre-octobre 2020), que nous vous proposons de (re)lire ci-dessous. À ses proches comme à tous ceux qui l’ont côtoyé, la rédaction adresse ses plus sincères condoléances.

René Miksa lors des soixante ans du Maurienne Judo, en 2019. Crédit Photo : Maurienne Judo

Ceinture noire n°313

Disciple de Jean De Herdt dès la fin des années 1940, témoin des méthodes Kawaishi et Abe, René Miksa est de la trempe de ces illustres aînés qui ont dédié leur existence au judo. Une histoire ininterrompue de transmission, comme avec son « bébé » Maurienne Judo qui a célébré ses soixante ans en 2019 sous la direction de son fils Edmond.

1948, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
« C’est en janvier 1948 que je foule pour la première fois un tatami. Je faisais jusque-là de la boxe au Ring de Pantin, mais Jean, mon frère aîné, était inquiet du fait des nombreux de cas de cécité chez les boxeurs. Musicien, il était très content de pouvoir financer mes cours auprès de Jean De Herdt (premier ceinture noire de France, NDLR). Dès mon premier essai, je suis émerveillé par la subtilité, la finesse et la finalité du judo, qui est de mettre l’adversaire sur le dos ! Les entraînements de Jean De Herdt, dont l’imposante stature m’impressionne, sont durs, très durs même, j’en bave mais cela me convient. Je travaille régulièrement avec un homme plus âgé que moi, d’une extrême gentillesse derrière tous ces efforts intenses, qui me propose de l’appeler « l’Explorateur » au motif que son prénom est trop compliqué. Ce n’est que bien plus tard que j’apprendrai qu’il s’agissait de Paul-Émile Victor (célèbre ethnologue et scientifique, fondateur et responsable des Expéditions Polaires Françaises pendant près de trente ans, NDLR). Sur le tapis, beaucoup de grands judokas, parmi lesquels Jean Beaujean, Serge Oudard, Jean Gillet ou Guy Cauquil – dont je vais plus tard devenir l’assistant à la Madeleine – qui me font progresser et me permettent d’être finaliste des championnats de France juniors toutes catégories en 1949. Ne pas remporter ce titre fut un drame intérieur qui m’a servi quand mes élèves connurent à leur tour des moments difficiles.

LE KUMIKATA PEUT ATTENDRE
Un enfant ne peut pas courir s’il n’a pas appris à marcher. De la même manière, donner trop tôt trop d’importance au kumikata n’est pas bénéfique, car le judoka doit s’adapter à l’adversaire en fonction de l’opposition, sans être obnubilé par sa garde et son spécial. Le corps réagit selon ses sensations et, au besoin, il les provoque, après des heures de préparation des principes d’attaque et de défense qui contribuent à créer une faiblesse chez l’autre. Déplacements dans le vide, tandoku-renshu, tsugi-ashi, tai-sabaki, sans oublier le hara qui dirige et qui transmet, tout ça doit se travailler comme on respire. Il faut aussi voir le randori comme l’application de tous les principes d’attaques, exécutés dans l’esprit, et non comme une compétition. Ce n’est qu’avec des corps entraînés avec souplesse, disponibles pour anticiper dans n’importe quelle direction, qu’il est alors pertinent de parler de kumikata. Il faut d’abord prendre un grand plaisir à faire du judo avant d’y mettre la force, sur laquelle se base trop le judo actuel selon moi.

Le podium des championnats de France juniors 1949, avec René (deuxième en partant de la droite, derrière Mikinosuke Kawaishi) finaliste.
Crédit Photo : Archives Maurienne Judo

UNE DOUBLE INFLUENCE
Après avoir obtenu mon premier dan avec Mikinosuke Kawaishi en 1951, je rallie Toulouse et les transmissions en janvier 1952 pour mon service militaire. Le sergent-chef Desforges me repère car je suis le seul ceinture noire et me propose de me parrainer pour que je puisse m’entraîner au Shudokan des frères Robert et Georges Lasserre. J’y fait la rencontre d’un visiteur de très haut niveau en la personne d’Ishiro Abe. Je suis émerveillé par ce maître, qui me fait découvrir l’aspiration, l’importance du hara et un judo où l’esprit transmet au corps une efficacité magique sans effort physique. Ce n’est que du bonheur ! Malheureusement, je contracte la brucellose (maladie bactérienne animale transmissible à l’homme, NDLR) pendant mon service militaire et je dois définitivement tirer un trait sur la compétition. Pour positiver, si je continue de m’entraîner Boulevard Blanqui au Collège National des Ceintures Noires de Kawaishi – avec de nombreux randoris partagés avec Henri Courtine – à mon retour sur Paris, je décide de transmettre à mon tour. Avec Lucien Marin, copain depuis mes débuts, on commence à enseigner au « Moulin Rouge », petit bar-café du Blanc-Mesnil. Comme je ne peux plus combattre, mon défi est d’avoir de bons élèves qui le feront pour moi, et pour eux bien sûr ! J’identifie rapidement que ma seule récompense réside dans le fait que l’élève comprenne en progressant, et cela devient mon shiai quotidien.

L’APPEL DES SOMMETS
En vacances en Savoie chez ma sœur Marie et mon beau-frère Jacky, le Parisien que je suis découvre la montagne. C’est beau, très beau… Et il n’y a pas de judo dans la vallée, malgré quelques essais infructueux. L’opportunité se présente à moi, comment ne pas la saisir ? L’égalité pour tous dans tous les domaines, l’aide aux plus défavorisés, l’amitié dans l’adversité, … Avec ce concept inégalable mis sur pied par Jigoro Kano, c’est pour moi impossible que cela ne marche pas. « C’est seulement par l’entraide et les concessions mutuelles qu’un organisme, groupant des individus en nombre grand ou petit peut trouver sa pleine harmonie et réaliser des progrès sérieux », disait-il. L’aventure commence donc avec cette foi inébranlable, quelques gamins et une bâche tendue sur des papiers et des cartons au sous-sol de l’évêché à Saint-Jean-de-Maurienne. Maurienne Judo naît en 1959 et développer le judo dans la région devient mon plus beau combat. J’ai la chance de rencontrer des personnes qui partagent mes valeurs, et d’autres qui veulent bien les adopter.

UNE AVENTURE FAMILIALE
Les sections se multiplieront un peu partout dans la vallée, pour plus de cent-cinquante ceintures noires formés depuis Jacky Opinel (élève de la toute première heure, il est aujourd’hui le président d’honneur de Maurienne Judo, NDLR) et une petite trentaine d’enseignants. Parmi eux, mon fils Edmond, dont je suis très fier de le voir reprendre le flambeau en Maurienne avec un panache extraordinaire. Il est apprécié et respecté par tous ses élèves. En suivant les traces de son père, il l’a dépassé … Il ne pouvait pas me faire de plus beau cadeau ! Sans oublier mon étoile Julia, mon épouse qui a sublimé ma passion et s’est investie courageusement à mes côtés dans cette aventure incroyable qui se poursuit aujourd’hui encore. Sans elle, je n’aurais pas pu rester aussi longtemps sur les tapis… pour mon plus grand bonheur. »

Par Antoine Frandeboeuf, L’Esprit du Judo n°88, septembre-octobre 2020