Combien de larmes et de judogi rangés trop tôt dans la valise pour ces derniers sourires sur les podiums que l’on applaudit ?
Je suis l’un des deux petits bonshommes verts postés à la sortie des combats, dans ce dernier angle de tatami que les athlètes prennent pour s’engouffrer dans ce couloir de tissu noir qui semble tout avaler : les joies, les peines, les espoirs, les déceptions, peu importe, il engloutit tout. Et tu sais que ce monstre implacable en gardera un dans ses entrailles, un qui ne ressortira pas… C’est là que s’achève chaque acte de la journée. Sur la scène, deux guerriers qui donnent tout ce qu’ils peuvent pour être celui qui sortira vivant. Impossible de savoir lequel ce sera. Je les regarde, sous le feu des projecteurs, tendue. À chaque seconde, tout peut basculer. La journée d’hier est encore dans tous les esprits : absolument aucun scénario n’est écrit. Lequel des deux va rester à terre, effondré, au gong ? Lequel des deux va tourner ses yeux vers son coach ou le public, enfin libéré de l’attention exclusive qu’exige le combat ?

Je ne sais pas si c’est parce que, à quelques mètres seulement du tapis, je vois les gouttes de sueur tomber au sol et que j’entends leur souffle chaud mais aujourd’hui, pour chaque vainqueur, j’ai vu le vaincu. J’ai vu Daria, les cheveux collés par la sueur et les lèvres grises tant elle était épuisée, sortir du tatami face à une chaise vide et marcher, seule, vers ce couloir qui l’éliminait du jeu. J’ai vu le visage de Sarah-Léonie s’inonder de larmes, avant même d’avoir salué celle que même huit minutes d’âpre combat, sans compromis, sans répit n’auront pas suffi à faire fléchir… J’ai vu Rafa Silva, encore essoufflée, tenter de sécher ses yeux pour pouvoir les lever vers la caméra qui l’arrêtait sur son chemin sans retour…
Ils ont défilé sous mes yeux, toujours par paires. Un bleu, un blanc. Des yeux pleins de détermination, rivés sur ce couloir qui leur offre encore un avenir… et des têtes baissées, inconsolables. Des sourires excités à l’idée de remonter encore sur scène et des épaules affaissées, entourées d’un bras de coach, comme s’il fallait au moins être deux pour affronter ce couloir engloutisseur dont on ne revient pas. Mais tous avaient la même odeur de transpiration, les mêmes joues rouges de l’effort, les pulsations encore au taquet… Tous vivaient cette journée unique, ce moment éphémère qui allait pourtant changer à jamais la suite de leur chemin.

Alors, quand j’ai vu Joan-Benjamin Gaba, le héros de la journée que personne n’attendait, étalé de tout son corps pour la seule erreur commise après neuf minutes de finale où pas une seconde ne lui avait échappé, je me suis demandé quel visage j’allais découvrir… Mais pour tout vous dire, je ne l’ai jamais su car c’est moi qui ai craqué, les yeux embués de ce trop-plein d’émotions. Oui, je pleurais. D’admiration pour ce jeune judoka qui a su se transcender pour bouleverser cette monstrueuse catégorie des -73kg, pour cette médaille d’or qu’il a offerte à l’Azerbaïdjanais, pour ce judo qui a eu la magie de m’embarquer dans son épopée, moi petit bonhomme vert à l’angle du tatami.