Cathy Fleury, photo : Aurélien Brandenburger 

Première championne olympique française à Barcelone, au contact de la relève sur Amiens, au coaching de l’équipe de France féminines de Londres à Rio, au soutien des athlètes paralympiques pour préparer Tokyo, et désormais au plus près des tatamis comme superviseuse de l’arbitrage… L’expérience au centre de tout pour Cathy Fleury, quinqua plus que jamais requinquée.

UN GUIDE, DES MODÈLES
« Dans ma petite commune de Chaumontel dans le Val-d’Oise, entre le football où les filles n’avaient pas vraiment leur place, la danse et le judo, mon choix a vite été fait. D’autant plus que ma première « rencontre judo », Jean-Marie Guerville, fut extraordinaire. Une autorité positive et une aura de rassembleur qui ont formé des centaines de ceintures noires dans le souci de l’autre, pour des liens encore indéfectibles aujourd’hui. Du presby- tère où tout a commencé jusqu’aux premiers stages nationaux lorsque je me fis remarquer aux France universitaires et juniors, la marche fut consi- dérable, mais les raclées que me mettaient les Martine Rottier, Brigitte Deydier m’ont permis d’avoir des repères, de me poser des probléma- tiques qui m’encourageaient à persévérer. Trop heureuse de vivre selon mes parents lors de mon année de sport-études à Orléans, je suis vite rentrée à la maison, et c’est au JC Villiers-le- Bel de la grande époque que je commence à goûter à l’international, sans grande réussite au départ. Ce n’est pas tellement mieux sur le plan national, où le magnifique harai-goshi de Céline Géraud, puis les clés fatales de Martine Rottier, m’empêchent de briller. Le déclic viendra d’une autre défaite sèche, lors de mes premiers cham- pionnats d’Europe à Pampelune en 1988, contre la Tchèque Lenka Sindlerova. Comment pouvait-elle me battre si simplement ? S’entraîne- t-elle plus ? Mieux ? Il fallait que je comprenne pourquoi.»

BARCELONE, RELANCE ET DELIVRANCE
« A la rentrée 1988, je rejoins lACBB, avec Jean-Pierre Gibert et Christian Dyot qui posent les yeux sur moi. Cette sensation d’être « calculée » a changé mon état d’esprit et, dans la foulée de ma victoire aux mondiaux universitaires, vraie rampe de lancement à l’époque, je gagne coup sur coup les Europe et les monde, en prenant notamment ma revanche sur Sindlerova en finale à Helsinki. Je pense bien vivre mon nouveau statut de leader sur le coup, mais je connais un gros trou derrière. Avoir des titres à défendre, cela n’a rien à voir avec ne rien avoir et être affa-mée. Heureusement que ma médaille de bronze aux mondiaux 1991 de Barcelone stoppe ma glissade et me permet de me projeter plus sereinement sur les Jeux. Je n’étais ni au début, ni à la fin de ma carrière, mais je savais que la chance ne se représenterait pas forcément plusieurs fois. Le combat dont je suis le plus fière reste ma demie contre la Coréenne Koo, qui menait et que je n’arrivais pas à attraper jusqu’à ce balayage enchaîné d’une clé de bras. La récompense de tout le travail mené en ne-waza, avant une finale que je n’ai jamais eu envie de revoir. Paralysée par l’enjeu comme mon adversaire israélienne Yael Arad, en passe de devenir la première médaillée olympique de l’histoire de sa nation, le soulagement n’est venu que lorsque l’arbitre me désigna victorieuse. Voir tous ces regards qui comptent s’illuminer de joie reste un moment exceptionnel de ma vie, qui a tout de même basculé ce 30 juillet. Lire une interview de ma grand- mère, être invitée à l’Élysée, … Ce n’était pas mon truc, je voulais seulement profiter le plus longtemps possible avec les miens. »

« IL N’Y A PAS DE HASARD SI J’AI TRAVERSÉ AUSSI TRANQUILLEMENT MON CANCER DU SEIN ET MA CHIMIO EN DÉBUT D’ANNÉE 2012. MON ATTENTION ÉTAIT TOTALEMENT FOCALISÉE SUR LE JUDO »

ÉMERGER SANS MARGE
« C’est au niveau de la motivation que se situe l’une des principales clés de mon parcours, vu que je n’ai jamais eu de marge sur la concurrence. Savoir exploiter la seule opportunité qui se présente dans un combat, face à des filles parfois beaucoup plus fortes, ressentir les choses en étant au contact, c’est ce qui me nourrissait au quotidien. Et quand mon pouls ne s’est jamais emballé aux JO d’Atlanta, c’était le signe que je n’y étais plus. Je m’en suis beaucoup voulu, et c’est cet état d’esprit perdu que j’ai toujours cherché à inculquer à mes jeunes du pôle espoirs d’Amiens avec Patrice (Rognon). Nous avons tout fait pour bousculer la mentalité picarde, prise dans l’étau Paris-Lille, afin que personne ne se contente plus d’une qualification aux interrégions. À partir du moment où tu t’engageais à fond dans le projet du groupe, et que tu tentais d’exprimer le meilleur de toi-même. tu avais ta place sur le tapis, peu importe ton niveau finalement. Au bout de neuf ans, j’arrive enfin en équipe de France, grâce à Brigitte Deydier, tout juste nommée DTN. Avec Christophe (Brunet), nous sommes regardés comme ceux qui viennent de pousser les autres vers la sortie, et c’est en se serrant les coudes que nous partons au front avec une très belle génération, celle des Jossinet, Harel, Décosse, Emane, Mondière, La Rizza, Lebrun… Ce ne fut pas simple de réinstaurer les uchi-komi, et de tirer le meilleur de chaque confrontation, de chaque compétition, mais aussi de chaque rencontre. Malgré ma personnalité très affirmée et mon côté un peu « spécial », parfois un peu trop brut de décoffrage, je me suis adaptée aux différents profils, entrant dans l’univers des athlètes lorsqu’il le fallait et, si on me rendait ce pas de côté, je pouvais donner tout ce que j’avais. Ça n’a pas payé à Pékin (argent pour Décosse, bronze pour Possamai, NDLR), même si la réussite de Londres (quatre médailles de bronze pour le titre de Décosse) s’explique en partie par cette pre mière mitigée. »

ÉLEVÉE À L’ADRÉNALINE
« Quand on me rappelle en 2014 pour préparer Rio alors que je suis partie depuis deux ans, je n’hésite pas une seconde car j’avais encore besoin de cette intensité, ce dont je n’étais pas tout à fait consciente avant ce changement de vie un peu brutal après 2012. A posteriori, il n’y a pas de hasard si j’ai traversé aussi tranquillement mon cancer du sein et ma chimio en début d’année 2012. Mon attention était totalement focalisée sur le judo, et ça m’a portée au point d’en oublier ma maladie. Aujourd’hui encore, il m’est trop difficile de me détacher de ce haut niveau qui m’a élevée à l’adréna-line. Après trois ans auprès des cadets de la génération des Valadier-Picard puis deux saisons avec le groupe paralympique, où j’ai à chaque fois eu la sensation de pouvoir agir en leur faisant découvrir l’environnement propice à l’excellence, mon rôle de superviseuse des arbitres pour la fédération internationale m’offre toujours cette opportunité. J’étais la coach qui se levait facilement de sa chaise pour réclamer, je suis désormais celle qui travaille à ce que l’issue d’un combat soit la plus juste, avec l’athlète qui le mérite le plus qui est désigné vainqueur. C’est suffisamment important pour que soit tolérée cette petite perte de spontanéité due au recours à la vidéo. Face à des athlètes toujours plus créatifs pour exploiter chaque limite des textes, l’arbitrage se doit d’être à la hauteur. Il ny aura jamais de règlement idéal, mais c’est aussi cette complexité qui fait la beauté et la richesse de notre discipline, devant laquelle l’initiée que je suis prend toujours autant de plaisir.»

Propos recueillis par Antoine Frandeboeuf