Agbegnenou, une fille en or, mais bien seule

Chou blanc chez les garçons. Ce qui inquiète le plus, ce n’est pas tant cette absence de médaille que la façon dont nos représentants se font traverser, marcher dessus par des adversaires qui ne sont pourtant pas tous de gros calibres. Aujourd’hui comme hier l’équipe de France masculine a été transparente, justifiant le méchant mot qui tourne dans les couloirs : « avant, prendre un Français c’était un mauvais tirage, maintenant on se frotte les mains ». Disparu en quelques secondes, le -73kg Lucas Otmane vice-champion de France et vainqueur de la poule de sélection, devant le 97e mondial. Quant à Jonathan Allardon en -81kg, il explose en une minute sur les sode du futur vainqueur, tout de même, l’Israélien Sagi Muki. Inexpérience, stress, restes de la « soufflante » poussée la veille par l’encadrement… mais aussi, il faut l’assumer, un niveau insuffisant aujourd’hui pour faire face à un championnat continental. Heureusement le nouveau venu Alpha Oumar Djalo (-81kg) redore un peu le blason de l’équipe en faisant ce qu’on attendait au minimum : un vrai parcours, des occasions d’y croire un peu. Pourtant en difficulté au premier tour, il tenait bon et se reprenait pour faire la perf’ au suivant : une victoire sur le Croate Druzeta, troisième l’année dernière. Mais ce qu’on pouvait craindre pour lui se dessine déjà : magnifique au Grand Chelem d’Allemagne, où personne ne le connaissait et où il va en finale, il a paru déjà beaucoup plus « lisible » à ses adversaires, notamment l’excellent judoka belge Sami Chouchi, 49e mondial, très bon ce vendredi, qui sut attendre deux attaques en seoi-nage pour esquiver et contrer. Tandis que Chouchi allait jusqu’en finale, Alpha Oumar Djalo se faisait sortir d’entrée aux repêchages pour un corps-à-corps malvenu face au Portugais Egutidze, 17e mondial. Il faut rappeler au passage l’absence du champion olympique et vice champion du monde russe Khasan Khalmurzaev et de son dauphin, le champion d’Europe en titre Alan Khubetsov. Le podium continental est encore loin.

Gahié, la stupeur

C’est en voyant tomber Marie-Eve Gahié sur le ura-nage que lui préparait la jeune Autrichienne Polleres, tout juste sorti des juniors avec les honneurs, qu’on a dû se rendre à l’évidence : le groupe féminin français, assurément de niveau mondial dans presque toutes les catégories, est en grande difficulté collectivement sur ce championnat d’Europe. Une histoire de préparation ? Une timidité soudaine à devoir prouver en championnat ? Sans doute les deux, et ce n’est pas une très bonne nouvelle. Rien de tel que le doute et le manque de confiance qui s’attachent au travail sur une année pour miner un groupe, même aussi fort. Souveraines dans leur promenade de santé au Grand Prix de Tbilissi quatre semaines plus tôt, les tricolores françaises sont à l’évidence à la peine.

Se souvenir des belles choses

Et Clarisse Agbegnenou a pourtant relevé le défi. Elle n’a pas semblé tellement mieux que les autres pourtant, gagnant un premier tour facile avant de galérer un peu contre l’Anglaise Renshall, et de passer au bras de fer l’Allemande Trajdos, qui ne s’inclinait qu’aux pénalités. Sa finale fut magnifique, d’autant plus émouvante qu’elle n’était pas très bien. La redoutable Slovène Trstenjak était là pour rompre une série de défaites et pour faire un triplé continental en or. Sa première terrible attaque en mouvement d’épaule aurait pu régler la question et faire plonger Clarisse et la France du judo avec elle. Sa réplique, magnifique de timing et de feeling en ashi-guruma en contre, qui aurait dû lui valoir le ippon, et surtout ce merveilleux balayage au bout du golden score, magistral geste final, fut à la hauteur du talent de ces deux-là. En arrivant au sol pour fixer la Slovène sous les applaudissements du bon public de Tel-Aviv impressionné, son rugissement de rage et de joie était déjà mouillé de larmes. Soulagement, épuisement, émotion d’être allée au-delà d’elle-même et d’avoir fait quelque chose de grand. Et c’est pour cela que, même si ce championnat ne restera pas, c’est désormais plus que probable, comme une grande réussite française, on pouvait se sentir privilégié, et ému avec elle d’avoir assisté à ce moment formidable. C’est de cela qu’on aura envie de se souvenir.

Sauver ce qui peut l’être

L’équipe de France a-t-elle dit son dernier mot ? Sûrement pas et on la sait capable de bien finir avec le dos au mur. Elle ramène sept médailles depuis deux ans, six en 2015 et en 2012, douze et treize en 2013 et 2014. Une médaille, c’est tragiquement peu, mais la voici revenue à la cinquième place des nations dans un contexte encore assez dispersé où la Russie, solide leader, n’a rajouté aujourd’hui qu’une médaille de bronze à ses quatre médailles dont trois d’or hier. Si elle en prend quatre ce samedi, comme c’est possible, elle aura, au moins, sauvé les meubles et le « débriefing » sera moins douloureux. Croisons les doigts.