Crédit photo : Emanuele Di Feliciantonio
D’habitude, le dimanche, journée de la compétition par équipes, est une spécialité française. Un événement lors duquel notre pays excelle, peu importe le niveau d’âge.
Les équipes mixtes ? La compétition par excellence qui sourit aux Bleus.
Hier, à Sofia, l’exception eut lieu. Il est vrai que le tirage au sort, au regard de la compétition individuelle, avait proposé à la France ce qu’il pouvait y avoir de plus dangereux avec l’équipe d’Ouzbékistan. Une nation qui, à la surprise générale, finit en tête de l’épreuve individuelle avec cinq titres !
Pas de miracle avec une défaite quatre à un et une élimination directe, la faute à une entrée en lice en huitième de finale.
Un résultat rare pour les Bleuets, mais qui ne souffrait d’aucune discussion.
Une compétition qui concluait des championnats du monde où l’Équipe de France aura été sauvée par ses féminines : trois médailles, deux cinquièmes places et une septième place.
Il y a d’abord l’argent d’Emma Feuillet-Nguimgo (JC Villiers-le-Bel) en +70kg. Championne d’Europe, tête de série n° 1, elle traversait la compétition jusqu’en finale : trois combats, un waza-ari marqué à chaque combat, aucune valeur subie et une rencontre pour l’or attendue contre l’Ouzbek Umida Nigmatova. Les plus sagaces suiveurs du circuit mondial savaient qu’il fallait craindre de cette combattante à la très forte hanche gauche. Pourquoi ? Car elle avait participé aux championnats du monde seniors par équipes à Budapest en juin dernier. Une compétition où elle avait réussi l’exploit de battre Mao Arai, la Japonaise qui venait la veille de remporter la médaille d’argent en +78kg !
Une Ouzbek qui allait faire jouer toute sa puissance, marquant finalement ippon sur un koshi-guruma sur lequel Feuillet prenait un choc aux cervicales, qui la conduisait à l’hôpital, pour des examens qui s’avéreront rassurants.
Sacrée année tout de même pour la Française, qui termine sur un titre national et européen, une médaille de bronze nationale juniors et une médaille d’argent mondiale !
Les deux autres médaillées tricolores sont en bronze : Nourane Moussati (DC Wasquehal) en -48kg, qui n’est battue que par la nouvelle pépite brésilienne de la catégorie. Une future Sarah Menezes ? En tout cas, Clarice Ribeiro fut l’une des attractions de ces championnats du monde à la fois par son excellente maîtrise en ne-waza qui lui permettent de battre Moussati, mais aussi la Belge Maelys Dapa en finale, mais aussi parce qu’elle remporte là son troisième titre mondial cadets consécutif. En 2023, c’était en -44kg, en 2024, c’était déjà dans cette catégorie.
Moussati, elle, monte sur le podium après la disqualification de son adversaire Sarah Mendes, l’autre Brésilienne de la catégorie, pour un fauchage à l’intérieur.
En -63kg, Chloé Jean (Budokan Deuil) montre une remarquable stabilité à très haut niveau puisqu’elle s’offre le bronze mondial après le bronze européen. Un parcours marqué par un brin de réussite — il en faut toujours — puisqu’elle n’avait pas à combattre pour le bronze. La raison ? Son adversaire japonaise, Nanami Morita, était out à la suite d’un KO pris en demi-finale après un tomoe-nage de son adversaire russe.
Trois podiums complétés par deux cinquièmes places : celle de la championne du monde en titre en -70kg, Lucie Rullier (US Entraigues Judo), battue en demi-finale par la Brésilienne Clarisse Vallim sur un juji-gatame très puissant. Une clé de bras qui laissait des séquelles puisque la Vauclusienne ne se présentait pas pour le bronze et devait même se faire plâtrer le bras gauche. L’autre cinquième place est pour Alice Lopez (Dojos de l’Agglomération du Niortais 79) en -52kg. Vice-championne d’Europe fin juin à Skopje, la Niortaise s’inclinait d’abord sur la Tadjike Madina Qurbonzoda — déjà médaillée en Grand Chelem cette année chez elle à Douchanbé — puis sur l’Espagnole Monica Martinez De Rituerto Morillas, au golden score, sur un ko-uchi-gake. Le yuko subit contre la Tadjike alors qu’elle dominait le combat restera comme le point de frustration de la journée.
Et les masculins, dans tout cela ? Pas de médaille et, plus embarrassant, aucun classé. Six combats remportés au total pour les sept engagés, aucune victoire lors de la rencontre contre l’Ouzbékistan, un combattant — Axel Cuq — qui doit déclarer forfait à la suite d’un calcul rénal après la pesée. Autant d’éléments contraires qui doivent interroger. En effet, c’est la troisième fois en dix ans — avec des championnats annuels depuis 2022 — que l’équipe masculine cadette ne monte ni sur le podium ni ne voit un athlète classé, après 2015 et 2017.
Un résultat brut qui, il n’est sans doute pas outrageux de l’écrire, prouve que quelque chose ne fonctionne pas bien au sein de la filière haut niveau.
Un manque d’efficience clair dans un des rares systèmes de masse dans le monde du judo : 34 845 cadets recensés cette saison, dont 10 057 féminines et 24 428 masculins. Une densité peut-être unique au monde, tout comme le maillage du territoire qui fait l’admiration de nombreux pays, fascinés de trouver un dojo, ou presque, même dans les villages.
L’organisation à cet âge, entre études et sport de haut niveau, est un élément bien sûr à prendre en compte. Des pays, en particulier de l’est et d’Asie centrale (mais pas la Russie) n’hésitent pas à déscolariser les adolescents pour se consacrer entièrement au judo.
Ce bilan masculin et général — la France finit à la dixième place des nations — pose une question fondamentale : qu’est-ce que le judo français veut pour ses cadets ? L’organisation actuelle est-elle bonne — ce n’est finalement qu’une question de générations — ou doit-elle être rectifiée, affinée ou transformée ?
Deux hypothèses se dégagent :
— la première tient dans l’idée que la catégorie d’âge des cadets doit avoir pour priorité les résultats obtenus : nombre de titres, nombre de médailles. Une perspective qui peut d’appuyer sur les statistiques, et qui montrent à voir une dynamique partielle, mais réelle entre les médailles internationales cadettes et seniors. Ainsi, tout le podium des +100kg à Budapest en juin est médaillé lors des championnats continentaux cadets, et trois sur quatre sont médaillés mondiaux cadets. Chez les +78kg, elles sont trois sur quatre à être et médaillées continentales et mondiales. Une logique qui tend à montrer certaines prémices qui mériteront d’être affinées ou contestées, ne serait-ce que parce que les championnats du monde cadets ne sont annuels que depuis 2022. Ainsi, une partie des champions actuels n’ont jamais participé à cet événement, organisé avant un an sur deux.
Un écueil fort à cette hypothèse : le risque de ce que la science du sport appelle la spécialisation précoce, avec à l’intérieur de celle-ci, la question spécifique et très sensible du poids de l’athlète.
— la seconde tient dans l’idée que le résultat doit passer derrière la potentialité des combattants. En clair, former des cadets où le potentiel technique, physique, tactique et ou l’attitude répondent à des normes précises. L’objectif ? Proposer au haut niveau international des combattants qui ont une capacité avérée à se classer, voire, et ce serait la cerise sur le gâteau, à monter sur le podium. En somme, avoir dix classés plutôt que cinq même s’il n’y a pas de titre mondial au bout.
Une logique de temps long que l’on pourrait synthétiser de la sorte : fort en cadets, très forts en juniors, au top en seniors.
Une hypothèse qui induit immédiatement une somme de questionnements qui mériterait d’être développée par ailleurs : quels doivent être les prérequis minimaux en termes techniques, physiques et tactiques ? Quelle organisation, quel suivi pour les cadets à fort potentiel ? Quel staff, avec quelles compétences spécifiques sur cette catégorie d’âge ? Les interrogations ne manquent pas.
Ces championnats du monde resteront également comme ceux de l’Ouzbékistan : cinq titres, trois masculins et deux féminins. Au coude à coude avec la Russie jusqu’au bout, Numida Nigmatova offrait le leadership au judo désormais dirigé par Aleksei Budolin. Une équipe parmi laquelle la plus belle surprise est sans doute son -55kg, Khushnudbek Burkhonov. Un gabarit longiligne avec un magnifique tai-otoshi comme spécial. Du grand art.
La Russie termine deuxième à sept médailles : quatre titres et trois de bronze. Plusieurs noms à retenir parmi elle : Rakhim Khamkoev en -66kg et Aishat Alieva en -63kg, tous deux champions d’Europe et du monde. Le -90kg, Abdula Suleimanov, qui s’impose au bout de cinq combats, cinq ippon, aucune valeur prise et pénalisé en tout et pour tout d’un seul shido.
Le Brésil est troisième avec deux titres (en -48kg et -70kg) pour cinq médailles. Cinq féminines sur dix sont dans les sept. Un beau tir groupé avec comme capitaine Clarice Ribeiro et son triplé historique.
Le Japon est quatrième, mais réalise une excellente compétition : cinq médailles, dont un titre en -52kg, huit classés au total pour neuf engagés ! Un ratio exceptionnel magnifié par la victoire en équipes, hier.
Au-delà des nations habituelles, notons l’excellente prestation de Sofia Cordova, la -52kg suédoise, vice-championne du monde. Un résultat, fruit du travail initié avec Jane Bridge lorsque celle-ci était encore en Suède. Enfin, Lowen Le Bris s’il finit au pied du podium en -73kg, a toutes les qualités et le potentiel pour prendre la lumière chez les juniors. Fils de Jérémy Le Bris, ancien international français travaillant depuis plusieurs années pour le judo canadien (voir L’Esprit du Judo n° 106), ce combattant attaquant qui termina sa préparation au stage international de Valence, en Espagne, est lui aussi une belle découverte.