La France tout en haut. Et puis les autres. L’image – un poil simpliste on en conviendra – synthétise pourtant le bilan de cette première sortie internationale pour l’équipe de France cadette.
Avec ses sept titres et dix-huit médailles, les jeunes Tricolores ont écrasé la Coupe européenne cadets de Zagreb aux 675 combattants présents, issus de 32 pays. Un nombre impressionnant qui poussa la logistique organisationnelle au bout de ses limites (le dernier combat du samedi eut lieu à 21h30 pour un début de compétition à 9 heures !), avec ses quatre surfaces et son double repêchage. Un premier déplacement officiel pour les équipes de Véronique Laude et Gilles Nahon en forme de décollage très prometteur vers l’objectif continental (fin juin à Porec en Croatie) et mondial (fin août à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine) de cet été.

Ils furent les premiers à faire résonner la Marseillaise samedi. Avec beaucoup de brio d’ailleurs. Une féminine, Morgane Annis (-44kg, Alliance Grésivaudan Judo) et un masculin, Zacharie Dijol (-55kg, Judo Atlantic Club). Deux victoires pleines d’autorité et de judo. Le second avait d’ailleurs tapé dans l’œil la semaine dernière aux championnats de France juniors de Stéphane Auduc, nouvel entraîneur national responsable de l’Institut national du Judo.
Puis suivirent au fil du week-end Kelvin Ray (-60kg, AJ Loire), Alexis Renard (-66kg, Judo 76), Léa Chaouqui (-57kg, AM Asnières), Doria Boursas (-63kg, AM Asnières) et Teophila Darbes-Takam (-70kg, DAN 79).
En -60kg, c’est même une finale 100% française puisque Kelvin Ray bat son compatriote et copain Dayyan Boulemtafes (SO Givors).

Première nation chez les féminines et les masculins, loin, très loin devant la Turquie et la Roumanie, la France a cannibalisé cet événement, avec en outre trois médailles d’argent et huit de bronze. À noter d’ailleurs que tous les combats pour le bronze où des Français étaient engagés furent remportés, ce qui reste un autre excellent motif de satisfaction pour le staff.
À quelle aune interpréter cette belle réussite ? Facteurs conjoncturels et structurels se cumulent et, parfois, s’entremêlent.

Les causes conjoncturelles d’abord : des judokas bien préparés (certains en sont à près de dix compétitions dans la saison, national et international confondus) et globalement mieux armés techniquement que les pays présents, en particulier en ne-waza où le niveau national chez les jeunes français est qualitativement meilleur depuis quelques années.
L’absence de la Russie, de l’Azerbaïdjan, de l’Allemagne et la faible présence ukrainienne doit être relevée. Des pays qui comptent – et pas pour peu – dans cette catégorie d’âge. Quelques chiffres : la Russie est systématiquement première nation aux Europe cadets depuis 2004, exception faite de 2019 où l’Italie brise son hégémonie, avant de reprendre le leadership en 2021 (cinq titres, quatre médailles d’argent, deux de bronze). Un pays qui a d’ailleurs officiellement décidé de ne plus participer aux tournois européens et mondiaux pour une durée indéterminée. Impossible donc de savoir si l’équipe d’Arsen Galstyan, champion olympique à Londres et l’un des lieutenants les plus brillants d’Ezio Gamba, sera présente en Croatie fin juin pour défendre sa couronne.
L’Azerbaïdjan, elle, avait terminé à la seconde place du championnat continental l’année dernière à Riga. Présent à la coupe européenne d’Espagne il y quelques semaines, le pays de Rustam Orujov avait impressionné avec cinq titres masculins dans les cinq premières catégories. L’Ukraine, elle, avait fini à trois médailles dont un titre (la -70kg Lytvynenko) aux Europe 2021. Ce week-end, ils n’étaient que trois combattants d’un pays au cœur de l’actualité internationale depuis trois semaines, sans coach (voir plus bas).
Des absences dont la France a su, c’est l’un de ses mérites, pleinement profiter pour imposer la puissance et l’homogénéité de son équipe.
En effet, seules trois catégories masculines (-73kg, -90kg et +90kg) et trois catégories féminines (-40kg, -48kg et -52kg) sur huit n’ont pas de médaillées à la fin du week-end. Compte tenu du nombre de judokas présents, c’est un chiffre qui compte.

Les raisons structurelles ensuite : comme cela avait été le cas lors de la reprise du circuit international en octobre 2020 (et le Grand Chelem de Hongrie), cette Coupe d’Europe peut être interpréter comme un signal fort de l’avantage retrouvé des systèmes dit « de masse », comme l’est la France (ou la Russie).
Pour faire simple : on peut typologiser l’organisation systémique du judo au niveau national de deux façons.
-Un système de masse : beaucoup de pratiquants, un maillage fort et souvent pyramidal où l’élite se dégage selon une voie « darwinienne ».
-Un système « commando » : savoir détecter puis choisir de forts potentiels mais peu nombreux, miser sur ce groupe en les exposant très régulièrement à l’international (compétitions et stages). C’est l’exemple américain, kosovare, etc.

Les conséquences de la pandémie mondiale n’ont pas épargnées notre discipline. Avec des conséquences plus ou moins fortes sur les systèmes d’entraînement de chaque pays.
Première compétition avec autant de participants et pays présents cette saison, cette Coupe d’Europe croate est à observer sous cette analyse. Nombre de pays présents (pas tous bien entendu, mais une part significative) sont à classer dans le second modèle. Or, c’est ce dernier qui a subi de plein fouet les impacts de la crise sanitaire mondiale, avec une saison 2020-2021 quasi-blanche au niveau des compétitions internationales (seulement trois Coupe européenne cadets en 2021) et aucun stage européen.
En clair, plusieurs « petites » nations ont vu leur système d’entraînement fortement impacté voire à l’arrêt. La reprise « normale » du circuit européen n’ayant débuté que depuis peu.

Dans cette conjoncture, l’organisation structurelle du judo français montre à voir ses avantages comparatifs. Sa force, sa puissance, sa qualité, ont joué à plein, permettant à ses jeunes judokas de ne pas connaître de rupture dans leur logique d’entraînement et de progression.

Car, si les compétitions n’étaient pas au rendez-vous en 2020-2021 (il n’y eut que les test-matches régionaux puis nationaux), le volume d’entraînement est resté inchangé pour les judokas en structure (du fait de leur inscription sur liste ministérielle haut niveau) et la densité de l’opposition, inhérente à un système dit « de masse », était de facto là.

Avec l’absence de l’autre grand pays au système « de masse » (la Russie), la démonstration collective ce week-end de la France serait-elle un indicateur fort de cette reprise d’avantage de l’organisation systémique tricolore au niveau européen ? À voir à Strasbourg, lors de la seconde sortie internationale officielle pour les cadets les 23 et 24 avril prochains.

Un dernier mot, en forme de coup de cœur. Il est pour l’Ukrainien Igor Tsurkan. Vainqueur en -81kg (face à un Français, le solide Bastien Pons), le judoka du pays de Daria Bilodid et Georgii Zantaraia, sans coach sur la chaise, vient s’imposer superbement dans un moment qu’on imagine très particulier et difficile pour lui. Le voir agiter le drapeau de son pays sur la première marche du podium restera comme le moment symboliquement fort de cette compétition.