Crédit photo : Asahi Kasei

Finalement forfait à Tokyo, tout concourt aujourd’hui à éjecter la Légende Ono du programme de Paris, sans même lui donner sa chance. Le « fast-judo » n’a pas le temps d’attendre le bonze de Tenri, lequel considère que la compétition à ce rythme est de moins en moins sa tasse de thé. À L’Esprit du Judo, nous pensons que c’est dommage. Votons Ono !

On le sait, le plus grand champion de judo de sa génération au plan du style, le Japonais Shohei Ono, met la barre tellement haut à chaque fois qu’il sort au niveau international que, depuis quelques années, il prend son temps entre deux prestations grandioses, le temps qu’il lui faut pour arriver à son meilleur niveau physique, technique et mental.
Depuis 2015, la légende est réglée comme une horloge, assumant de ne pas faire, après les Jeux de 2016, les championnats du monde 2017, 2018 (et bien sûr 2021). À chaque fois, c’est pour mieux assumer son statut de star interplanétaire du judo et livrer une prestation charismatique et exemplaire, la plus proche possible de l’absolue perfection.
Après son deuxième titre olympique, à vingt-neuf ans, Shohei Ono s’est à nouveau retiré pour se recharger, exprimant non seulement un besoin légitime de repos, mais aussi une évidente lassitude face à la nécessité de se préparer aussi aux enjeux tactiques liés au règlement et à l’arbitrage (voir son interview exclusive dans le n°100 de L’Esprit du Judo, numéro à commander en numérique ici : https://boutique.lespritdujudo.com/collections/numerique/products/lesprit-du-judo-100-septembre-octobre-2022-version-numerique)


                                         Shohei Ono en interview exclusive dans le n°100. Crédit photo : Paco Lozano/L’Esprit du Judo

Son impressionnant tempo de champion en total contrôle a subi le covid, mais est surtout balayé aujourd’hui par la désinvolture de la fédération internationale qui a proposé cette année des championnats du monde en octobre, quand les suivants seront en mai, dans une olympiade de trois ans. Ono n’a pas fait la balade de Tashkent d’octobre et, pour l’instant, encore loin de la motivation et de la préparation qu’il lui faut pour s’exprimer à son meilleur niveau, il est finalement forfait à Tokyo début décembre. Habituellement situé au printemps, le championnat du Japon aurait dû être le point de passage repère avec les championnats du monde juste derrière pour affirmer son retour, sa façon de se situer en 2023 pour Paris 2024, comme il l’avait fait en 2015 pour préparer 2016, en 2019 pour préparer 2020. Mais les choix de la FIJ obligent la fédération japonaise à tout accélérer, en choisissant son sélectionné pour Doha au maximum en février, sans donc passer par la case du championnat national. Déjà… 41e (!) à la ranking list du fait l’avalanche de Grands Chelems qui distribuent les points à tout-va, le double champion olympique en titre va se voir ainsi tout simplement fermer la porte d’une sélection olympique. Le Japon choisira en effet le meilleur de Tokyo, du Masters, voire des Grands Chelems de Paris et Tel Aviv pour Doha, lequel sera le tremplin de Paris… et Shohei Ono n’aura plus aucune occasion pour s’intercaler puisque, en théorie, l’encadrement japonais ne lui donnera pas de tournoi du fait de son absence. Les circonstances et les choix de la FIJ et de la fédération japonaise poussent tout simplement Shohei Ono à la retraite, à un an d’un événement où ce formidable promoteur du judo et du beau geste pourrait viser un troisième titre olympique et rejoindre ainsi son illustre sempai de Tenri, Tadahiro Nomura. Dans son état d’esprit actuel, Ono ne sera pas du genre à réclamer et peut décider que si on n’a pas besoin de lui…
Le départ sur la pointe des pieds, comme la trace d’un passé révolu, du plus enthousiasmant champion de la décennie, serait un très mauvais signe pour le futur du judo. Disons-lui bien fort que nous voulons le voir au moins une dernière fois dans un grand rendez-vous, affirmons à la fédération japonaise que le monde entier veut qu’elle offre à Ono l’occasion de montrer qu’il peut être performant aux Jeux quand il sera prêt à le faire, et à la fédération internationale qu’elle arrête de faire n’importe quoi avec son calendrier, comme d’ailleurs avec le règlement.

 

Le parcours de Shohei Ono
Déjà « star » dans l’expression du judo et l’attitude, le jeune champion du monde juniors qui a eu vingt ans au début de l’année, explose à la fin 2012 en plaçant en finale du Grand Chelem de Tokyo un o-soto-gari incroyable au titulaire des Jeux, Riki Nakaya. L’année suivante, il fait ses premiers championnats du monde seniors, qu’il gagne, à vingt-et-un ans, en battant sur un hane-goshi hallucinant le Français Legrand. Peu préparé en 2014, il ne sort du Japon que pour les championnats du monde de Chelyabinsk et tombe sur le balayage de l’étonnant Young Jun-Lee. Une leçon, peut-être, qui incitera la légende naissante à ne s’exprimer à ce niveau que parfaitement préparé. Il se remet en route à l’hiver 2014-2015, aux Tournois de Tokyo et de Düsseldorf, avant d’aller, à l’été, gagner son deuxième titre mondial à Astana. Pour préparer les Jeux de Rio, qu’il va emporter en 2016, à vingt-quatre ans, il ne sort qu’en Allemagne. Au Brésil, il livre une prestation de très haute volée, remportant le premier titre olympique masculin japonais depuis Satoshi Ishii, en 2008.
On ne verra plus le double champion du monde et champion olympique qu’en… décembre 2017, pour un seul tour à Tokyo, et un forfait pour impréparation. Il réapparaît encore une fois en Allemagne pour préparer les Jeux d’Asie 2018, une nouvelle victoire. Il ne s’est présenté ni aux championnats du monde de Budapest en 2017, ni à ceux de Bakou en 2018. Mais il a son second titre olympique en ligne de mire, en 2020, et sa préparation passe par le Japon à la fin de l’année 2018, puis l’Allemagne début 2019, et une nouvelle victoire mondiale aux championnats du monde de Tokyo. Il reste une dernière étape de préparation olympique en ce qui le concerne, l’Allemagne une dernière fois en février 2020. Covid oblige, Ono ne ressort que pour les Jeux de Tokyo… un an et demi-plus tard, en juillet 2021. Sa dernière victoire en date, à vingt-neuf ans.
Tout grand génie du judo qu’il est, le patron a toujours fait les championnats du Japon, de 2012 à 2019, sauf en 2017 où il n’avait pas l’intention de s’imposer à la concurrence nationale et internationale, emportant trois titres et sept médailles en sept participations.


                                          Shohei Ono, incarnation du judo traditionnel japonais. Crédit photo : L’Esprit du Judo/Asahi Kasei