Première victoire majeure en -70kg pour la Française

Un Grand Chelem d’Abou Dhabi, qu’est-ce que ça vaut ? On est sans aucun doute en deça des standards de Paris, Düsseldorf et Tokyo, notamment par l’absence notable du Japon, de la Corée ou du Brésil. Mais pour le reste, on sent que la nécessité des points à faire, notamment pour les déçus de Bakou, est impérieuse et de grosses équipes étaient déjà présentes, souvent composées par ces revanchards. C’est ainsi que la Russie avait amené, entre autres, le champion olympique Mudranov en -60kg, le champion d’Europe Igolnikov en -90kg, tout deux frustrés par leurs performances aux championnats du monde. Les Géorgiens étaient là en force – et cela s’est vu. La championne kosovare Maljinda Kelmendi avait choisi ce Grand Chelem pour son retour aux affaires.
Et la France ? Elle avait fait un choix spécifique. Pour les garçons, pas de sélection. La remise en route de l’équipe ne passe pas par des tournois de ce niveau. Pour les féminines en revanche, ce tournoi exigeant sans être inaccessible était un bon tremplin pour une équipe dont les leaders étaient la titulaire nationale en -48kg Mélanie Clément, et les « n°1 bis » Priscilla Gneto en -57kg et Anne Fatoumata M’Bairo en +78kg. Sept sélectionnées, trois médailles dont le titre de Margaux Pinot en -70kg, un bon bilan qui donne de nouvelles options au groupe France.

Pavia, une étape ?

Tout le monde était curieux aussi de voir à ce niveau où en était vraiment la grande Automne Pavia, de retour après la naissance de son enfant. La performance est bonne, avec notamment une victoire sur la double vice-championne d’Europe allemande Theresa Stoll aux pénalités, preuve de sa compétitivité toujours forte malgré son long arrêt. Elle a cependant subi deux défaites par deux combattantes qui ont très bien su gérer son bras dominant, la Russe Konkina, qui la croise et lui fait faire la faute en la fixant sur ko-soto-gakeet … Priscilla Gneto sa rivale, qui la connaît par coeur et l’obligea habilement à faire les bordures en repoussant avec son bras gauche à l’épaule. Il lui faudra se battre très fort pour passer le cap et revenir au sommet. Priscilla Gneto ? Troisième par cette victoire, elle est très convaincante avec ses attaques d’épaule à droite en garde à gauche et un ne-waza offensif de plus en plus acéré. Elle fait néanmoins une erreur au sol, en se laissant piquer en contre par la dangereuse Kosovare Gjakova, qui s’impose en finale à la Russe. Deux combattantes qui étaient sur le podium du dernier championnat d’Europe, Gjakova à la première place. Il va falloir jouer des coudes dans cette catégorie copieuse au niveau mondial, mais Priscilla Gneto, épanouie dans sa catégorie des -57kg, montre régulièrement qu’elle a les moyens de le faire. 

M’Bairo, montée en puissance discrète

Finaliste en deux combats dans la catégorie des +78kg, Fatoumata M’Bairo confirme la bonne impression laissée aux championnats du monde. Elle bat de façon convaincante deux filles dans sa zone, aux alentours de la vingtième place mondiale, avant d’être tout de même assez nettement dominée en finale par les mouvements d’épaule par en dessous d’une « Top 10 », n°2 européenne, la Biélorusse Slutskaya. Avec discrétion, elle impose progressivement sa crédibilité de titulaire en équipe de France. En attendant le retour de la championne d’Europe Romane Dicko. 

Pinot, un retour tranchant

Mais la grande performance du week-end pour la France est à mettre au compte de Margaux Pinot, une habituée du genre. Redescendue en -63kg début 2016, elle ponctuait la séquence par une sélection aux championnats du monde 2017 – et une magistale finale aux championnats d’Europe cette année-là. Elle a repris le collier en avril 2018 en -70kg, sa catégorie naturelle depuis sa dernière année juniors en 2013. Deux victoires en coupe européenne et un Grand Prix d’ajustement plus tard, la voici qui frappe les trois coups. Elle gagne sans forcer ni stresser ce Grand Chelem, sa première grande victoire en -70kg et son premier Grand Chelem, s’offrant notamment, sur le chemin de cette médaille d’or, des victoires sur la « Top 10 » canadienne Kelita Zupancic et sur l’Espagnole Bernabeu, médaillée mondiale 2017. Pleine d’autorité, maîtresse du jeu et du timing, elle s’impose par ses mouvements d’épaule efficaces et son rythme d’attaque, ainsi que par des enchaînements au sol performants en juji-gatame. Un schéma éprouvé et solide, une victoire significative, qui la mettent déjà en orbite pour challenger – ou accompagner sur les championnats— la vice championne du monde de la catégorie, la Française Marie-Eve Gahié. Intéressant.

Clément, les progrès cachés

Avec Pavia, trois autres combattantes sont privées de médailles, Maëlle Di Cintio en 63kg, confrontée d’entrée à la Slovène Trstenjak, et qui ne peut donc rééditer sa performance du début du mois — une victoire à l’Open d’Écosse. Sama Hawa Camara, battue d’entrée par l’Allemande Wagner en -78kg, ne retrouve pas non plus sa réussite du Grand Prix de Chine et de l’Open d’Écosse, troisième à chaque fois. Et enfin Mélanie Clément en -48kg, dont la dernière belle série de podiums remonte à février/mars avec du bronze au Grand Chelem de Düsseldorf et lors du Grand Prix de Géorgie. Mais si elle est battue au deuxième tour, on peut considérer ce tournoi comme plutôt encourageant. Elle gagne en effet son premier combat sur un très bel uchi-mata – une efficacité debout qui lui manquait un peu ces derniers temps —et tient la championne du monde 2015 et championne olympique 2016, l’Argentine Pareto, jusqu’au golden score avec une bonne gestion technico-tactique.

Juul et Guusje

Chez les féminines, les Pays-Bas sortent vainqueurs du classement des nations avec de l’or pour les deux médaillées mondiales de Bakou, la -63kg Juul Franssen et la puissante -78kg Guusje Steenhuis, devant une armada kosovare de plus en plus consistante, trois finales pour la -48kg Daria Krasniqi, la -52kg Majlinda Kelmendi et la -57kg Nora Gjakova. Un sacré tir de barrage chez les légères ! Mais une seule d’entre elles l’emporte, et ce n’est pas la double championne du monde et championne olympique Kelmendi, car elle doit abandonner en finale pour un (très) gros coup sur le nez face à l’Italienne Giuffrida, revanche de la finale olympique. Les Françaises arrivent en troisième position des nations pour les féminines (en sixième position au classement global). 

La suprise Tasoev

Chez les hommes, la Géorgie fait un score « japonesque » dans les trois catégories légères, trois médailles d »or en -60kg pour Papinashvili, en pleine forme depuis sa médaille mondiale 2018, en -66kg pour Margvelashvili, et en -73kg pour le champion olympique 2012 (en -66kg) et médaillé en 2016, Lasha Shavdatuashvili. On se demandait si le groupe géorgien allait être durablement impacté par l’explosion de sa fédération, après trois médailles mondiales (dont un titre) et ce triplé, on a la réponse.
Deuxième nation, la Russie alterne le moins bon avec le meilleur. Échec pour Mudranov en -60kg, pour Lappinagov en -81kg, mais Musa Mogushkov emporte le bronze en -73kg, le champion d’Europe Mikhail Igolnikov fait une nouvelle démonstration en -90kg,  et surtout la fédération russe gagne manifestement un lourd de dimension mondiale avec la victoire formidable du champion d’Europe et du monde juniors 2017 Inal Tasoev. On avait remarqué ce magnifique jeune combattant au style très judo et aux rotations d’appui en contre extrêmement efficace. Son arrivée est désormais une évidence. Depuis sa sortie des juniors, il n’a perdu qu’un combat en seniors, et encore, plutôt par excès d’enthousiasme. Il a gagné ses trois combats en équipes à Bakou, mais il a surtout déjà empoché, à vingt ans, un Grand Prix et un Grand Chelem ! Plutôt mauvaise dans cette catégorie de prestige depuis la prise de pouvoir d’Ezio Gamba en 2009, la Russie est en passe d’effacer ce point faible. On a vu arriver un vice champion d’Europe seniors Tamerlan Bashaev, champion du monde juniors 2015, et voici son cadet, le réjouissant Inal Tasoev. En attendant les autres peut-être, car la Russie a aussi un champion d’Europe juniors 2016, Ruslan Shakbazov, un champion du monde juniors 2013, Anton Krivobokov, mais aussi un champion du monde cadets 2015, Kemal Kaitov, et un champion d »Europe et vice champion du monde cadets 2017, David Babayan ! 

Depuis quelques mois, Inal Tasoev a joué deux fois avec le colosse iranien Majhoub, douzième mondial, et l’Azerbaïdjanais Kokauri, 11e, a battu le Coréen Kim Sungmin, 7e,  deux fois l’Autrichien Hegyi, 6e. Sur ce tournoi d’Abou Dhabi, il explose le grand Néerlandais Grol sur le contre d’un très dangereux ko-uchi-gari et ventile le n°2 mondial en finale, le Tchèque Krpalek, dès la première prise de garde ! Un nouveau rival s’avance, nous voilà prévenus.