L’analyse des tableaux le laissait penser. Le suivi de cette première journée du Grand Chelem de Turquie l’a confirmé. Le niveau global affiché ce jeudi s’avérait en effet quelques crans en-dessous de ce qu’on avait pu observer à Tbilissi, il y a une semaine. L’arbitrage, lui, se montre toujours aussi flottant, que ce soit sur les pénalités ou l’attribution des ippons. Et les Français dans tout ça ? Quatre engagés masculins pour, au final, une médaille d’argent autour du cou de Walide Khyar, très concentré ce jeudi, et du bronze pour Romaric Bouda, au gros impact physique aujourd’hui. Les stars du jour, Hifumi Abe et Christa Deguchi, s’imposent sans avoir été vraiment inquiétés, à défaut d’être flamboyants. Le Canada et l’Italie mènent la danse ce soir.

 

Khyar retrouve le chemin du podium

Walide Khyar, très offensif toute la journée.
Crédit photo : Gabriela Sabau (FIJ)

 

Sa demi-finale contre le Turc Salih Yildiz (champion d’Europe et 3e aux championnats du monde juniors 2019), actuel 52e mondial, était mal embarquée. Mené d’un waza-ari, Walide Khyar ne s’est pourtant jamais affolé. Avançant, agressant en permanence ses adversaires avec son bras droit loin dans le dos, le champion d’Europe 2016 lance un sumi-gaeshi tonique et fluide qui plaque le judoka du cru sur le dos. Alors que l’arbitre le désigne vainqueur, on voit le Tricolore grimacer, ayant visiblement mal à sa cheville blessée il y a quelques semaines et lourdement strappée. Se présentant toute de même en finale, Khyar reste sur son excellent dynamique mais se fait surprendre par un o-uchi-gari qui se transforme en ample uchi-mata du Belge Jorre Verstraeten. Une deuxième place, mais surtout une prestation volontaire et très appliquée. Voilà ce qu’il faut sans aucun doute retenir de la journée du n°1 français en -60kg. Avec cette médaille d’argent, Khyar empoche 500 points à la ranking-list, lui qui n’était plus monté sur un podium depuis le Grand Chelem d’Abou Dhabi 2019.
Romaric Bouda, lui, entre tranquillement dans sa journée, battant le finaliste de Tbilissi, l’excellent Ouzbek Kemran Nurillaev en deux temps : ashi-guruma puis un très classique o-uchi-gari. Ça coince par contre face au Taiwanais Yang, finaliste du Masters 2021, 2e à Dusseldorf en 2020 et actuel 9e mondial. Le Français n’aura pas réussi à suivre la cadence d’un adversaire qui aura su garder le Français à distance pour placer un ko-soto-gari victorieux. Pour le bronze, le Français arrive à placer un o-uchi-gari au Turc Yildiz (qui va maudire les Français ce soir) dans un trou de souris. Un jeudi positif pour le judoka d’Eure Judo à l’impact physique impressionnant et qui doit maintenant réussir à hausser son rythme face aux meilleurs.

Le Blouch, sans vraies sensations

Pas de médaille en revanche pour Kilian Le Blouch qui donné explicitement l’impression de ne pas avoir des bonnes vibrations aujourd’hui. Battu en 1/4 de finale par l’Espagnol Gaitero Martin sur uki-waza, le médaillé européen 2020 s’appuie plus que jamais sur ses atouts physiques pour finalement vaincre aux pénalités le Marocain Boushita après 9’16 de golden score. Pour l’accession au podium, le Français retrouvait Nijat Shikhalizada, que le nouveau papa avait battu à Prague. Se souvenant sans aucun doute de ce combat, l’Azerbaïdjanais attaquait toujours le premier sans jamais laisser la possibilité à Le Blouch d’enchaîner au sol. Et sur une posture très latéralisée de ce dernier, Shikhalizada allait chercher la jambe éloignée en ni-dan ko-soto-gari qui plaquait le Tricolore sur le dos.  Joint ce soir, Kilian Le Blouch raconte : « Le bilan de ma journée ? J’ai eu tendance à sécuriser contre les judokas moins bien classés que moi. Je prends peu de risques, je les use au kumikata. Ce qui m’émousse un peu pour la suite. Pourtant, je me sentais bien sur l’Espagnol mais il me coiffe le triceps et me surprend avec son mouvement. Contre Shikalizada, je m’attendais à ce genre de début de combat. Il fallait que je laisse passer l’orage. Je lance un bon o-uchi-gari puis sur une action il arrive à venir me chercher la seconde jambe. Au final, je n’ai pas eu beaucoup de sensations, j’ai balancé des attaques mais sans vraiment d’efficacité. Pour le ne-waza, j’en place un mais les mecs m’ont étudié et m’attendent dessus. Il faut donc que je bosse sur l’entrée de ce mouvement. »
Second engagé de la catégorie, Daikii Bouba (AJA Paris XX) perd lors de son premier combat, battu par le Turc Muhammed Demirel (vice-champion d’Europe cadets 2019) dans deux séquences au corps-à-corps. Dommage, car après un premier waza-ari, le vainqueur des test-matches il y a quelques semaines, se montrait très dangereux dès qu’il arrivait à mettre de la distance, marquant même un waza-ari sur o-soto-gari.
Une journée plutôt positive, en somme, pour les masculins français.

Milani monte en puissance, Deguchi et de six !

Christa Deguchi et sa tentative de tai-otoshi face à Jessica Klimkait.
Crédit photo : Gabriela Sabau (FIJ)

Et sinon ? Deux finales entre combattantes du même pays. Une statistique plutôt rare. En -48kg, Francesca Giorda et Francesca Milani retrouvaient pour la victoire. La seconde s’impose aux pénalités et surfe sur la vague lancée à Tbilissi qui l’avait vue finir en argent. Trente-quatrième mondiale, la Transalpine de 27 ans, rentre ce soir dans le quota olympique après ces deux très bons résultats.
L’autre finale était d’un autre niveau avec sur le tatami Jessica Klimkait (voir son interview dans l’EDJ actuellement en kiosque), n°1 mondiale, vainqueur à Budapest en octobre et 3e au Masters en janvier et Christa Deguchi, championne du monde en titre et 3e vendredi dernier en Géorgie.
Un combat qui a bien failli se terminer en eau de boudin, la faute à un arbitrage de l’Italienne Roberta Chyurlia pénalisant par deux fois les deux adversaires en moins de trois minutes ! Une avalanche de pénalités qui ne se justifiait en rien, les deux Canadiennes essayant de trouver le coup dur avec leurs armes respectives : une activité incessante en sode-tsuri-komi-goshi pour Klimkait, une garde classique (que sa rivale faisait tout pour lui refuser), plus longue à poser, pour imposer sa puissance et lancer un mouvement de jambes pour Deguchi. Finalement, c’est sur une dernière pénalité pour fausse attaque que Klimkait s’incline pour la sixième fois contre l’ancienne étudiante de l’université nipponne de Yamanashi Gakuin. Une nouvelle défaite qui n’empêchera pas les deux Canadiennes de se retrouver pour un test-match qualificatif pour Tokyo.
En -52kg, victoire de l’Ouzbek Diyora Keldiyorova qui place un très joli sode-tsuri-komi-goshi à l’Espagnole Estrella Lopez Sheriff.

 

Abe n’a pas tremblé

Le magnifique ko-uchi-hari de Hifumi Abe en finale.
Crédit photo : Gabriela Sabau (FIJ)

Reste le cas Hifumi Abe. Dernier sélectionné olympique nippon après sa victoire, diffusée en mondovision, contre Joshiro Maruyama en décembre dernier, le judoka de l’entreprise Park 24 faisait donc son grand retour sur le circuit mondial après Düsseldorf en février 2020.
Très emprunté au début de sa journée, golden boy japonais, chéri des médias avec sa sœur, montait tranquillement en puissance, assommant littéralement le Britannique Gregg Varey (144e mondial, premier Grand Chelem disputé à 32 ans et finalement septième !) sur son o-soto-gari en bout de manche en 1/4 de finale, avant de placarder Shikhalizada sur le dos sur un o-uchi-gari parfaitement engagé. En finale, Abe se retrouve à deux shidos partout contre l’Espagnol Gaitero Martin alors qu’il est le seul à attaquer en nage-waza ! Il trouve finalement la faille au golden score sur un magnifique ko-uchi-gari.
Bilan de cette journée ? Un Abe poussif, bien étudié par ses adversaires mais qui aura eu le mérite de trouver des solutions techniques à chaque problème posés. Néanmoins, sa prestation prouve que sa marge avec ses adversaires, effrayante en début d’olympiade, s’est réduite. D’autant qu’il n’y avait aucun top 10 ce jeudi en -66kg. On aurait été ainsi curieux de le voir se frotter (au hasard !) à un An-Baul (vainqueur du Grand Chelem de Tashkent et invaincu depuis janvier 2020).

Un arbitrage de plus en plus nébuleux

Ce soir, le Canada et l’Italie font donc la course en tête avec leurs féminines après une journée où l’arbitrage, pas souverain à Tbilissi, aura encore laissé pantois sur sa capacité à pénaliser à contre sens (Klimkait/Deguchi, mais aussi le délirant dernier shido donné au Russe Robert Mshvidobadze, lors de son combat face au Truc Yildiz, par l’arbitre mexicain) ou à être déraisonnablement obsédé par un ippon réduit au plaquage de la barre d’épaule par terre. La preuve avec le sumi-gaeshi lancé par Walide Khyar en demi-finale. Un ippon clair et net (d’ailleurs annoncé comme tel par l’arbitre du centre) mais finalement réduit à un waza-ari. Heureusement que le Français avait gardé son adversaire au sol…
Idem pour Hifumi Abe qui enfonce Shikhalizada dans le sol avec son o-uchi-gari. Là encore un ippon évident pour tout le monde (y compris pour l’Azerbaïdjanais) ramené à un waza-ari pour une petite partie de l’épaule de ce dernier qui ne touche pas en entier le sol. Délirant.

Demain, journée excitante avec les deux -81kg français, Nicolas Chilard et Loic Pietri.