Les loups sortent du bois

Clarisse Agbegnenou emporte le tournoi de Paris de judo pour la seconde année consécutive / Emmanuel Charlot – Esprit du Judo

À Paris, on attend toujours beaucoup des Français, et depuis les derniers – et intéressants – championnats de France, on avait hâte de voir la jeune classe s’exprimer à côté des grands aînés à ce haut niveau international.

Les grands aînés ? David Larose dans son jardin en premier peut-être, prestige du double champion en titre oblige – avec son inséparable Dimitri Dragin, médaillé européen. Mais aussi Automne Pavia en -57 kg, et Clarisse Agbegnenou, tenantes du titre elles aussi, Ugo Legrand, le vice champion du monde en -73 kg, qui avait à se faire pardonner une sortie un peu piteuse au premier tour l’année dernière, Sofiane Milous, en quête d’un « rachat » qui semble ne pas vouloir venir en -60 kg…
La jeune classe ? Amandine Buchard la tonitruante championne de France de 20 ans des -48 kg, Vincent Limare en -60 kg, nouveau champion de France, et ses challengers Mohamedi et Raymond, Loic Korval en -66 kg, revenu comme un fantôme du passé (récent) où il était médaillé mondial et affirmant sans fausse modestie sa volonté de reprendre le leadership, les deux -73 kg, Arthur Clerget et Jonathan Allardon, animateurs brillants du championnat national – mais aussi Guillaume Chaine, qui avait attendu si longtemps cette première sélection – et deux « jeunes classes » paradoxalement trentenaires, mais très volontaires pour s’affirmer enfin en première ligne, les championnes de France Laetitia Blot en -57 kg et Anne-Laure Bellard en -63 kg.

Tsai Ming Yen, « made in Taiwan »

En -60 kg, personne ne sort du lot, même si Limare réussit au second tour un sauvetage sur le gong (plus sur le gong… tu perds) contre le médaillé olympique brésilien Kitadai, sur un « tawara-gaeshi » (le contre du ballot de paille), une sorte de sumi-gaeshi avec une saisie par dessus à bras le corps. De quoi lancer une journée de folie pour le feu-follet de Maisons-Alfort ? La sanction était sévère au tour suivant contre Tsai Ming Yen, un combattant de Taiwan qui le surclassait littéralement. Dommage, mais rien d’indigne, car ce Tsai, 18 ans semble-t-il, est un judoka tout à fait remarquable, qui finira d’ailleurs 3e du tournoi. La révélation de la catégorie, finalement, c’est lui.

Korval à la hauteur de l’enjeu

En -66 kg, la déception, c’est Larose, « seulement » 5e, et surtout sans montrer vraiment de grandes capacités de rébellion dans les situations compromises. On avait fini par croire que Larose et Paris, c’était « spécial », et finalement non, pas cette fois. La belle série s’arrête. Il a néanmoins les circonstances atténuantes, car une grosse blessure aux doigts a dû fortement le gêner dans les phases finales. Il s’est montré fort, battant notamment le Japonais Takajo sur lequel il est généralement dominant, mais on a l’impression parfois qu’une fois mené, il accepte mentalement la défaite.
Et c’est le diable Korval, qui en profite. Il a le bon goût de confirmer ses affirmations de retour au premier plan en sortant une compétition maîtrisée et lucide pour décrocher le bronze. Sans être éclatant, mais face à des combattants de tout premier plan mondial – il bat tout de même Shikalizada, Takajo et autres Farmonov – il est à la hauteur de l’enjeu. Il ‘avait dit, il n’a pas gagné, mais il a tout de même fait ce qu’il avait dit qu’il ferait : le voici vraiment de retour.

Legrand pour l’honneur, Allardon pour l’avenir

Il y avait quelque chose de vraiment beau à voir Ugo Legrand tâcher de faire ici, à Paris, ce que le public attend de lui. Prêt à « mourir » sur le tapis par orgueil, mais manifestement en petite forme physique et en difficulté pour trouver la concentration dont il a besoin pour dominer ses adversaires, il a, à chaque fois ou presque, mystifié le sort qui lui semblait contraire en se dépassant. Finalement, le sort lui fait une fleur pour le bronze avec l’abandon sur blessure du Russe Isaev. Même si le Français menait le combat avant la blessure du champion olympique, le style « grenade dégoupillée » du Russe promettait d’être difficile à contrôler jusqu’au bout pour un Legrand bien usé. Mais celui qui crève l’écran du côté français dans cette catégorie, c’est le Jonathan Allardon, un orgueilleux légitimé par un judo à la hauteur de ses ambitions et de l’admiration qui lui sera bientôt porté par le public français. Son style en mouvement, sa capacité à faire le judo à distance avec une vraie élégance technique, comme au corps à corps, avec efficacité, sa volonté d’aller vite et haut, en font un combattant « exciting » et prometteur. La façon dont il a joué au premier tour avec le vieux guerrier mongol Khashbaatar – champion en titre et vainqueur à cette occasion du futur roi Ono – est exemplaire de ce qu’on attend d’un jeune talent comme lui. Malheureusement moins à l’aise après sa défaite, il laisse filer une médaille qu’il aurait mérité. Il faudra vérifier si la correction qu’il prend pour la place de trois dévoile de réelles limites ou l’incapacité de circonstance d’un jeune combattant trop déçu pour aller chercher le bronze.

Les filles impressionnent, à commencer par l’incroyable Amandine Buchard. étonnante troisième avec de très grosses victoires, une nouvelle fois, à son actif, en montrant l’assurance d’une trentenaire qui domine totalement son sujet. La voir passer à travers Ménezes, championne olympique et numéro une mondiale, Mestre Alvarez la Cubaine, 6e mondiale, et contrôler Laborde l’autre Cubaine, ou encore faire jeu égal avec Emi Yamagishi que Fredérique Jossinet au temps de sa splendeur n’a jamais pu battre à Paris, oblige à reconnaître l’évidence : Amandine Buchard est une combattante d’exception. Elle se situe désormais, clairement, dans le cinq majeur mondial. À 18 ans, ça fait presque peur.

Un coup d’arrêt pour Euranie

Rien n’a bougé ce samedi en -52 kg chez les Françaises, sinon peut-être la « bulle » Euranie, désormais légèrement dégonflée. La belle Annabelle avait séduit tout le monde et l’euphorie s’était emparé des médias, impressionnés par la façon dont cette retraité avait quasiment réglé le niveau national après trois semaines d’entraînement. Mais face à plus dures que ses rivales françaises, en l’occurrence l’Allemande Kraeh, 7e mondiale (et malgré le fait que cette dernière était blessée à la cheville) la vice championne du monde a montré ses limites, notamment défensives. Une forte attaque en ko-soto-gake l’a déstabilisé et l’impact physique de l’Allemande a été manifestement un peu dure à assumer pour celle qui est, après tout, une jeune mère de famille qui reprend l’entraînement. Il sera intéressant de voir ce que ce coup d’arrêt aura comme influence sur sa motivation à revenir. La voici est au pied du mur.

Automne Pavia a fait son tournoi, battue par la Japonaise Anzu Yamamoto, qu’elle avait dominée l’année précédente. La Japonaise, victorieuse, n’a pourtant pas semblée irrésistible, mais la Française non plus, malgré quelques belles envolées. Du coup, c’est Laetitia Blot, la dynamique championne de France qui est la bonne surprise du jour. Elle termine cinquième en hochant la tête, mécontente d’être passée si prêt. La suite pourrait être meilleure.

Agbegnenou ne doute pas

La catégorie française du jour, les -63 kg ! Clarisse Agbegnenou était tenante du titre. On était curieux de voir sa réaction après sa défaite en finale du Grand Prix d’Abou Dabi. Piquée au vif la Française ? En tout cas très remontée et impatiente de reprendre le fil interrompue de ses victoires. La Slovène Milosevic plantée trois fois en ura-nage, la Japonaise Tashiro prise en contre sur harai-goshi, la Néerlandaise Van Emden elle aussi catapultée surura-nage, enfin la rivale qui s’était joliment auto-désignée en mettant tout le monde au pas au championnat de France et en se manifestant de façon convaincante en tournois – et victorieuse au premier tour de la championne du monde en titre -, Anne-Laure Bellard, finalement largement dominée, voilà qui est clair : Agbegnenou, a 21 ans, est la leader de la catégorie. Une autre information est largement confirmée : la jeune Française ne doute pas.

Anne-Laure Bellard, déçue sur le podium, n’a pourtant rien à se reprocher. De plus en plus précise tactiquement, elle fait désormais peur à tout le monde, ou presque. Encore un peu d’effort et elle sera, à l’évidence, l’une des filles crédibles pour une médaille européenne. Une sélection qui serait déjà une belle récompense.

Avec six médailles –et grâce à cette finale franco-française en -63 kg, la France fait un peu mieux que l’année dernière (5 médailles) sur le nombre, mais elle a en revanche deux médailles d’or en moins (Pavia et Larose en 2013).

Bang !

Si les jeunes loups français ont montré les dents, les étrangers présents se sont montrés eux aussi menaçants. Malgré quelques absences inattendues – l’organisation a même tenu à expliquer au micro que la longue pose de mi-journée était due au fait qu’une centaine d’inscrits ne s’étaient pas présentés – les vainqueurs n’ont attendus personne et prennent déjà date pour un futur olympique lointain.

Ils étaient déjà tout proches du podium mondial à Rio (5e tous les deux), mais c’est le Mongol Ganbat qui a surclassé en finale des -60 kg le Géorgien Papinashivili. À désormais 27 ans, le petit troll des steppes est terrible avec ses crochetages, ses kata-guruma plongeants et son sens de l’équilibre. Il prend manifestement tout ce qui vient avec une belle sérénité. Un homme à suivre.
En -66 kg, le Russe Pulyaev a lui aussi été remarquable, rappelant les révélations russes de l’olympiade précédente. Cinquième des championnats du monde, il pourrait bien être, à 26 ans, l’homme des deux années qui viennent dans cette catégorie.
Enfin le Coréen Bang revient en pleine lumière après une longue période d’ombre, suspendu deux ans pour dopage. Il était en train de prendre le dessus dans la catégorie à l’époque, le voici qui remet la marche avant comme si rien ne s’était passé. À 30 ans, mais avec deux ans de moins dans son compteur interne, il sera probablement le futur immédiat de la catégorie du côté de la Corée.

Le premier Paris de Kelmendi

Le talent est là, mais la longue convalescence des combattantes japonaises n’est pas achevée. Les catégories féminines ont couronné les Japonaises Yamagishi (-48 kg) et Yamamoto (-57 kg), sans qu’elles donnent pourtant l’impression d’avoir retrouvé la maîtrise totale de leur sujet. Ce n’est pas le cas de la Kosovare Kelmendi, 2e l’année dernière. Une championne du monde en titre qui continue sur sa lancée. Plus mûre, à 22 ans, elle occupe le terrain et il faudra beaucoup de conviction pour espérer l’en déloger dans l’année qui vient.