1) Une édition qui ne fit pas le plein.

Deux-cent-quatre-vingt-cinq combattants, soit quatre de plus qu’en octobre 2021. Les Japonais avaient pourtant envoyé une très solide délégation, la Corée du Sud était représentée par ses meilleurs éléments et les Géorgiens comptaient quelques-uns des meilleurs combattants de l’équipe de Lasha Gujejiani. Mais point de Russes (cinq médailles dont trois titres en octobre) ni de Portugais. Une densité moyenne pour le plus grand tournoi du monde qui s’explique par au moins trois facteurs :
-le nombre de Grands Chelems dans la saison (onze… pour l’instant), qui rebat totalement les cartes de la planification des meilleures nations.
-l’absence de certitudes quant à l’organisation même de cette cinquante-et-unième édition du fait de nombreuses questions logistiques finalement tranchées au dernier moment : jauge limitée ou pas ? Pass vaccinal obligatoire pour tous les combattants ou pas ?
-la qualification olympique ne débutant qu’en juin, les tournois organisés jusque-là ne sont pas considérés comme vitaux dans la course aux points. Par comparaison, le Grand Chelem de Paris 2020 c’était 680 combattants de 115 pays !

2) Le très honorable bilan de la France avec ses onze médailles.

Trois titres (Amandine Buchard, Margaux Pinot et Audrey Tcheuméo), une médaille d’argent (Romane Dicko) et sept de bronze (Blandine Pont, Sarah-Léonie Cysique, Priscilla Gneto, Madeleine Malonga, Julia Tolofua, Luka Mkheidze et Benjamin Axus). En octobre, les Tricolores avaient gagné quatorze médailles (cinq argent, neuf bronze), mais sans monter sur la plus haute marche du podium. Deux éditions au contexte particulier. En 2020, la France avait terminé à trois titres (Clarisse Agbegnenou, Madeleine Malonga, Romane Dicko), une médaille d’argent (Fanny-Estelle Posvite) et deux de bronze (Mélanie Legoux-Clément et Axel Clerget).
Chez les féminines, Blandine Pont (-48kg) et Julia Tolofua (+78kg) montent une seconde fois sur le podium à Bercy après octobre. Une jolie preuve de régularité pour la Campinoise et l’Orléanaise.
Trois médailles pour les olympiennes Cysique (-57kg), Malonga (-78kg) et Dicko (+78kg), qui faisaient leur retour sur le circuit international.
Même chose pour Luka Mkheidze, toujours aussi agréable à suivre avec son judo tout en dynamisme et en offensives redoublées.
En -73kg, Benjamin Axus signe sa seconde médaille en Grand Chelem après Ekaterinbourg en 2017, pour l’une des meilleures prestations tricolores du week-end. Le judoka de l’AJA Paris XX bat en effet Rustam Orujov (vice champion du monde 2019), Kenshi Harada (le seul masculin nippon non médaillé du week-end) et Fabio Basile (cinquième aux Europe). Une prestation enthousiasmante, à analyser au prisme de la médaille de Joan-Benjamin Gaba au GP du Portugal la semaine dernière et de la blessure de Guillaume Chaine, titulaire indéboulonnable de la catégorie depuis plusieurs années. Une émulation positive semble bien s’affirmer dans cette catégorie. À confirmer dans quinze jours en Israël ?
Le Japon écrase une nouvelle fois la compétition : vingt engagés, dix-huit médaillés dont sept titres. La Mongolie termine troisième derrière la France. À noter la victoire de Tsetsentsengel Odkhuu en +100kg. Déjà vainqueur à Abou Dhabi en fin d’année dernière, cet ancien -100kg formé à l’université de Tenri est l’un des très rares « new kids in town » du circuit mondial à sortir du bois depuis le début de l’olympiade.
Un nom à retenir.

3) Une mainmise franco-japonaise chez les féminines.

Quatre titres pour le Pays du Soleil Levant (-48kg, -57kg, -63kg, +78kg), trois pour l’équipe de Christophe Massina, qui prendra officiellement ses fonctions après Tel-Aviv (-52kg, -70kg, -78kg).
Le dimanche, les trois finales du jour sont des duels franco-nippons. Avantage à la France avec les victoires de Margaux Pinot sur Saki Niizoe et d’Audrey Tcheuméo qui dispose de Mami Umeki.
Tcheuméo signe par là sa cinquième victoire à Bercy après 2011, 2015, 2017 et 2018. Effroyablement puissante sur la journée, « Tchoum’ » a prouvé qu’elle ne comptait pas lâcher le morceau. Du moins pas tout de suite. Et si la double médaillée olympique arrive à maintenir ce niveau de performance, alors son palmarès, déjà conséquent, pourrait bien s’enrichir de quelques nouvelles médailles majeures.
La résonnance de la victoire de Margaux Pinot tient, elle, à l’affaire privée qui l’a mise au cœur de la machine médiatique fin novembre. Dans quelles dispositions la championne olympique par équipes de Tokyo allait-elle se trouver ? Hier, la réponse donnée par la -70kg fut saisissante d’introversion résolue. Elle bat coup sur coup la vice championne du monde 2021 (Yoko Ono), la championne du monde en titre (Barbara Matic) et celle qui fut victorieuse ici-même il y a cinq mois (Saki Niizoe). Un retour tonitruant, tout en contrôle permanent de ses émotions alors que son judo était, lui, d’une efficience létale.

4) Nouvelles règles, vraiment?

Teintée d’ironie (voire parfois de sarcasme) la question commença à se poser dès la pause du samedi, avant d’être au cœur de nombreuses conversations le soir lors des discussions en mode « on refait le combat » : les nouvelles règles d’arbitrage censément être effectives depuis le Grand Prix du Portugal la semaine dernière étaient-elles véritablement de rigueur ce week-end à Paris ? Waza-ari où l’angle d’impact était nettement en-dessous des quatre-vingt dix degrés, action où la continuité n’était clairement pas établie (on peut penser au morote-seoi-nage de Margaux Pinot en finale qui marque, alors que Niizoe se fige clairement sur les deux genoux avant la poussée victorieuse de la Tricolore), bataille de kumikata où la rupture n’était pas forcément suivie d’une volonté d’initiative immédiate, etc.
L’acculturation aux modifications arbitrales reste clairement à faire à la fois pour les combattants mais aussi pour les arbitres. Il serait ainsi malhonnête de mettre ces derniers en cause, tant le temps entre l’annonce de ces changements et leurs applications fut court.
Reste que cela met sur la table une problématique de fond d’un règlement arbitral : modifier les « règles du jeu », d’une manière aussi minime soit-elle, implique un temps d’adaptation, d’appropriation de ces nouveaux codes. Et pour l’instant, c’est clairement « l’ancien » système qui prédomine encore.

5) Les finales Buchard/Krasniqi et Grigalashvili/Fujiwara furent deux acmés prodigieuses du spectacle offert à l’AccorArena.

Le samedi, la confrontation entre la Française et la Kosovare pour le titre en -52kg préfigurait l’un des grands duels qui rythmeraient cette olympiade jusqu’à Paris. Deux combattantes du top niveau mondial puisque la Française est vice championne olympique de la catégorie alors que Krasniqi est championne olympique des -48kg. Remontée dans sa catégorie initiale (la Kosovare ne descendit en -48kg qu’à partir de juillet 2018 et le Grand Prix de Zagreb) après la retraite de son aînée légendaire, Majlinda Kelmendi, la gauchère au terrible uchi-mata sera l’une des grandes adversaires, avec Uta Abe, de la Tricolore vers son objectif de titre olympique. Premier round de ce duel, ce combat – y compris de style – de samedi fut d’un très haut niveau. Et si c’est Buchard qui s’impose finalement (pour son premier titre à Bercy !), la qualité de cette opposition laisse augurer des combats tendus et magnifiques pour la suite.

La finale des -81kg fut tout simplement époustouflante d’explosivité, d’engagement, de variété… et de brièveté. Trois séquences (ou à peine plus), trois valeurs, trois techniques différentes pour un spectacle enthousiasmant. Sotaro Fujiwara, fantomatique cinquième des mondiaux 2021 (il était le remplaçant olympique nippon de la catégorie) se savait dans l’obligation de réaliser une performance ici après l’ébouriffante démonstration de Takeshi Sasaki en octobre. Plus dense physiquement (le judoka de l’entreprise Asahi Kasei a l’air d’avoir mis le paquet sur ce point), plus « patron » sur le tatami, le Japonais se sentit suffisamment en confiance pour aller placer un corps-à-corps de toute beauté à Grigalashvili après que celui-ci fut revenu dans la partie grâce à son obi-tori-gaeshi surpuissant. Auparavant, Fujiwara avait fait parler son ADN, lançant un ippon-seoi-nage debout incroyable de fluidité.
Deux combats fort justement appréciés par le connaisseur public parisien.