Samah Hawa Camara, seule médaille pour la France

On l’a senti très nettement, le Grand Prix de Chine de ce week-end marquait une étape nouvelle, et dans l’intensité, et dans les intentions, par rapport aux tournois de ces derniers mois, qui avaient surtout servi à situer quelques nouveaux arrivants et à ramener quelques olympiens en jachère. Le choc mondial à venir était clairement en ligne de mire, avec des sélections à défendre à la clé, à court comme à long terme, car le Grand Prix était le premier sur la liste des tournois qualificatifs pour Tokyo 2020. Les combats, disputés et souvent spectaculaires, ont reflété cette dimension nouvelle.

Russie, Mongolie, Corée, Japon

D’abord, une forte délégation russe masculine, ramenant au devant de la scène beaucoup de ses numéros un comme Puliaev (-66kg), Iartcev ou Mogushkov (-73kg), ainsi que les deux frères Khalmurzaev, dont le plus léger, Khasan (-81kg) est champion olympique et médaillé de bronze mondial 2017. Il y avait dans la même catégorie Alan Khubetsov, champion d’Europe 2016, mais aussi le -100kg Kazbek Zankhishiev, médaillé européen l’année dernière, et deux lourds pour tenter de faire obstacle au petit Tamerlan Bashaev, vice-champion d’Europe. Comme chaque année, Ezio Gamba choisit un tournoi pas trop exposé pour sortir les leaders avec, cette fois, sans doute, un véritable enjeu d’autorité dans certaines catégories, notamment en -90kg après la très grosse performance de Mikhai Igolnikov aux championnats d’Europe. Ensuite, la délégation coréenne (du Sud) au complet et affichant l’intention de marquer les esprits et de se mettre en confiance à quelques semaines du rendez-vous mondial (du 16 au 22 septembre 2018 à Bakou en Azerbaïdjan). Les deux champions du monde 2015, An Baul et Gwak Dong-Han étaient là, avec tout le reste de la troupe régulière, le -100kg Cho Guham, le lourd Kim Sung-Min, et un petit nouveau en -60kg vice-champion du monde juniors, Harim Lee, mais aussi les féminines, avec notamment la très redoutable médaillée mondiale en +78kg, Kim Minjeong. Enfin, une délégation japonaise subtilement dosée avec six garçons et sept filles. Tête d’affiche chez les hommes, le tout récent champion du Japon en -73kg, devant Shohei Ono (3e), mais aussi champion du monde en titre, Soichi Hashimoto, titulaire des prochains championnats du monde. Autour de lui trois récents champions du Japon non titulaires aux championnats du monde et le champion olympique des -90kg Mashu Baker, en phase de retour en forme. Une sacrée affiche !
Même potentiel explosif chez les féminines avec un groupe complet de sept combattantes pour les sept catégories et une sélection digne d’un championnat du monde, puisqu’il s’agit de l’équipe « bis » du Japon, avec tout de même deux des sélectionnées mondiales en doublon : Uta Abe (-52kg) et Chizuru Arai (-70kg) et les deux combattantes sélectionnées en équipe, Momo Tamaoki en -63kg et Akira Sone en +78kg. Parmi ces combattantes aussi, trois championnes du Japon 2018. Du vraiment très copieux.
Ajoutons à ces trois groupes majeurs la « team » mongole presque au complet, avec vingt-huit représentants sur place, dont quatre des six médaillés mondiaux 2017, notamment l’insubmersible Tuvshinbayar Naidan, 34 ans le 1er juin, champion olympique 2008, finaliste en 2012 en -100kg, médaillé mondial 2017 en +100kg, et futur vainqueur de ce Grand Prix de Chine en batttant au premier tour le vice champion du monde 2017, le Brésilien David Moura. Pour faire bonne mesure, quelques magnifiques individualités comme le Kazakhstanais Yeldos Smetov en -60kg, champion du monde 2015 et vice champion olympique 2016, vainqueur impressionnant de ce tournoi chinois en battant entre autres le champion du Japon Yuma Oshima et le champion d’Europe 2016, le Russe Robert Mshvidobadze. Ou encore la néo-Canadienne Christa Deguchi, combattante japonaise double médaillée mondiale juniors (2013 et 2014) qui, ne voyant pas s’ouvrir devant elle le chemin des sélections, a choisi sa seconde nationalité pour exploser au niveau international : depuis février, elle a gagné le Grand Chelem de Paris, le championnat panaméricain et ce Grand Prix de Chine, en battant en finale sa rivale frustrée (de victoire et peut-être d’une future grande sélection), Jessica Klimkait. Deux dangers sur la route de n’importe qui aux prochains championnats du monde.

La France décalée

Face à cette élite en pleine montée de tension, où était la France ? Absente chez les garçons, ce qui était sans doute sage, mais finalement tout de même un peu tristement symbolique de la modestie actuelle de ce groupe masculin. Présente chez les féminines, mais avec un groupe un peu décalé par rapport à l’esprit général : des combattantes issues de la dernière génération juniors, comme Yasmine Horlaville (-63kg) et Agathe Devitry (-70kg), ou de la génération précédente comme Séphora Corcher (-48kg) ou Astride Gneto (-52kg), Mélodie Vaugarny (-48kg) en renfort, avec des combattantes de niveau international en chefs de file, Margaux Pinot (-70kg), Samah Hawa Camara (-78kg) et Anne Fatoumata M’Bairo (+78kg). Corcher (après un gros tai-otoshi de la Coréenne Kang), Gneto, Vaugarny, Camara et M’Bairo (après un lourd makikomi de la Brésilienne Altheman) perdaient au sol, pour certaines, comme Mélodie Vaugarny face à la championne du monde 2014 Ami Kondo, devant des championnes d’envergure, tandis que Margaux Pinot se battait bien, dominant la vice championne du monde 2017, la Péruvienne Maria Perez, et poussant la championne du monde japonaise Chizuru Arai au golden score, mais perdait par deux fois aux pénalités, sanctionnée pour ses attaques incessantes, souvent mal contrôlées. Finalement, seule Samah Hawa Camara parvenait au podium. Après une défaite contre la championne du monde en titre, la Brésilienne Mayra Aguiar, elle terminait un joli parcours par une victoire pour le bronze face à la Néerlandaise Kaen Stevenson. Somme toute une très bonne journée.

La Corée devant chez les hommes

C’est donc à un autre niveau que se jouait cette compétition. Entre l’enclume japonaise et le marteau coréen, la Russie ne décrochait pas d’or et se contentait de cinq médailles. Chez les féminines, Christa Deguchi (qui s’entraîne au Japon) emportait les -57kg et la Néerlandaise Sanne Van Dijke arrachait la seule catégorie à revenir aux Européennes, les -70kg, bien aidée par l’Anglaise Gemma Howell, « tombeuse » de la championne du monde Chizuru Arai aux pénalités. Mais les Japonaises raflaient tout le reste. Uta Abe (-52kg) remettait les pendules à l’heure après son échec au championnat du Japon, et la championne du Japon +78kg Akira Sone, s’efforçait de démontrer, avec succès, que sa non-sélection au championnat du monde était injuste. Privée elle aussi de championnat du monde, Ruika Sato (-78kg) avait la satisfaction de revenir avec l’or, devant Aguiar.
Chez les garçons, la victoire des Coréens sur les Japonais se jouait sur un très gros combat : Soichi Hashimoto contre An Changrim en -73kg. An Changrim montait la main tout le combat, déclinait physiquement au golden score mais, sur une action un peu confuse, un seoi-nage de sa part, il était contré par le Japonais, mais parvenait à rester en place. La seconde défaite de Hashimoto depuis 2015, la première sur un score. Victoire pour An Changrim (-73kg) donc, pour Gwak Donghan (-90kg) et Cho Guham (-100kg) et première place pour les masculins coréens. Mais le Japon répliquait avec deux magnifiques médailles d’or pour le -66kg Joshiro Maruyama, qui explosait les deux Russes, dont Puliaev en finale, et surclassait le champion du monde 2015 An Baul. Une démonstration éblouissante. Dans le même genre, le Japon se découvre un nouveau -81kg de carrure mondiale. Après Sotaro Fujiwara, vainqueur à Paris et Ekaterinbourg, voici Takeshi Sasaki, auteur lui aussi d’un parcours exemplaire et spectaculaire vainqueur en finale du médaillé d’or à Rio, Khasan Khalmurzaev. Maruyama comme Sasaki sont champions du Japon pour la seconde année consécutive sans avoir décroché de sélection mondiale, cette année comme l’année dernière. Ce Grand Prix de Chine sonne un peu comme une belle manifestation d’impatience. On retrouvera ces deux-là dans les deux années à venir.