Alpha Djalo.
Crédit photo : Aurélien Brandenburger/L’Esprit du Judo

Il était en train de réussir sa grande journée parisienne, arrivé au golden score d’une demi-finale délicate contre le trublion du jour, l’Allemand Timo Cavelius, un combattant inattendu au style particulier, parfois à la limite. Le Français Alpha Oumar Djalo devant son public avait commencé à mettre la main sur l’adversaire qui baissait de pied et il pouvait être confiant pour la suite. Derrière une éventuelle victoire, c’était une finale au Grand Chelem de Paris devant toute la France, l’occasion aussi de reprendre le Géorgien Tito Grigalashvili qu’il avait déjà battu. Une belle occasion de prendre beaucoup de points, de booster sa carrière… un vrai tournant possible.

Mais l’Allemand l’attaque alors en seoi-nage en se glissant sous le bras comme on l’avait déjà vu faire dans le combat, obligeant Djalo à partir à plat ventre. Dans cette position, l’Allemand se met soudain en pression sur son épaule et tire le bras vers le haut. Sous la douleur, Djalo effectue une ou deux ruades de protestation. Dans son expérience, il interprète spontanément le geste comme dangereux… et interdit. A-t-il frappé ? Pas vraiment clairement, même si ça jambe vient toucher le sol dans sa réaction au moment où l’arbitre s’avance pour juger de la situation. L’arbitre roumaine Ioana Babiuc interprète elle aussi l’action comme illicite puisqu’elle donne immédiatement le matte, alors qu’elle est à un mètre de l’action, et ne demande aucun ralenti. L’action reprend, mais les juges sont au travail derrière leur écran (petit format) pour chercher manifestement à identifier si le Français a frappé ou non. Il détermine que oui, et donne la victoire à son adversaire. Mais la question n’est pas là. L’action de clé est-elle licite ou non ? Rappelons la règle, pages 146 et 147 du réglement actuel de la FIJ :

Article 18.2.2 Hansoku-make for Acts against the Spirit of Judo
– 3. To apply kansetsu-waza anywhere other than to the elbow joint

En français : Hansoku-make pour actes allant contre l’esprit du Judo
– 3. Appliquer un kansetsu-waza ailleurs qu’au niveau du coude

Rappelons que c’est Jigoro Kano lui-même qui a identifié les clés de coude comme les seuls qu’on puisse travailler à l’entraînement sur le long terme car le coude est une articulation mécanique, de deux os emboîtés, ce qui n’est pas le cas de l’épaule.
La clé de l’Allemand sur le bras du Français est-elle une clé de coude ? Si non, c’est une disqualification de l’Allemand qui est en jeu. L’arbitre roumaine s’est contentée d’interrompre le geste menaçant l’intégrité physique du Français pour faire reprendre le combat. Comment se justifie alors l’intervention du panel expert regroupé derrière la vidéo ? Forcément, ils jugent que l’action est licite et peut donc donner la victoire à Timo Cavelius. Il s’agirait donc alors d’une forme en waki-gatame, dans lequel le point de corps contrôle le bras pour une mise en extension strict du coude, sans action sur l’épaule.
Cette vidéo montre l’action du bon côté. On peut voir l’action de torsion sur le bras, avec un point d’appui sur le haut du bras par la tête de l’Allemand qui est sans doute la justification potentielle du caractère licite du geste. De notre point de vue, il s’agit néanmoins pas d’un waki-gatame, et malgré le point d’appui de la tête, la clé porte sur l’épaule. Il nous semble que c’est la décision de l’arbitre de tapis qui est la bonne. Ne pas accorder ce ippon, faire cesser le geste dangereux sans sanctionner et faire reprendre le combat. C’était la voie de la sagesse et de l’expérience.
Les superviseurs en ont jugé autrement. La question qui pourrait leur être posée, puisqu’ils se réfèrent régulièrement (et logiquement) au « gokyo » japonais, c’est : si cette technique est licite, qu’elle est son nom ?
Mais à vous de juger.