Et si la rupture avec l’ancien modèle était vraiment au programme ?
La nouvelle équipe dirigeante de la fédération japonaise de judo, une équipe de rupture ? / Emmanuel Charlot – EDJ
L’arrivée du nouveau Président pressenti pour la Fédération Japonaise de Judo (All Japan Judo Federation – AJJF), suite à la démission forcée de Monsieur Haruki Uemura, fait déjà couler de l’encre et beaucoup parler, surtout, bien sûr, au Japon. Si le nom est connu, que représente ce Shoji Muneoka, grand chef d’entreprise japonais ? Quelle politique vient-il appliquer ? De quel groupe interne à la AJJF est-il le plus proche ? (pour lire notre article sur sa nomination, c’est ici). Depuis quelques jours, dans les esprits japonais bien informés, c’est plutôt l’idée de la rupture avec le système actuel, et même avec la mentalité de ces dernières décennies qui semble le plus probable, et cela pour plusieurs raisons :
1- Finalement, ce n’est pas seulement Uemura et sa garde rapprochée qui démissionne, mais vingt-deux autres directeurs de l’éxécutif et représentant de région. Un vrai coup de balais dont l’ampleur est intimidante.
2- L’actuel Président par intérim de la Fédération – en attendant Muneoka – est Monsieur Uno, lui aussi ancien membre de l’Université de Tokyo, comme Muneoka et le futur Directeur de la Fédération Monsieur Chikaishi. Un axe fort, une équipe solide et orientée, qui tient déjà le manche. A-priori, ce n’est pas une Présidence de complaisance qui s’annonce, y compris dans la relation avec la Fédération Interantionale. Le Japon réinstalle un pouvoir qui va demander à être respecté.
3- Le signe très fort de la nomination d’un ancien responsable de la Police de la Préfécture d’Osaka comme futur Directeur, Monsieur Yasuhiro Chikaishi. Cet homme, qui a été aussi conseiller pour la sécurité de grands groupes comme Toyota, est la promesse, selon les Japonais, que le « relâchement » et les mauvaises habitudes n’auront plus cours à la fédération. Si on peut douter un peu de leur hauteur de vue sur l’évolution des moeurs, notamment de la place des femmes et du modèle d’entraînement, il est effectivement probable que les indélicatesses avec le Trésor seront traquées et remises à plat. Plus intéressant encore, la dérive dénoncée par quelques uns (et dont nous nous faisions l’écho dans l’Esprit du Judo n°43) vers le monde des yakusas devrait cesser (à moins que ?). Quoiqu’il en soit, ce sera un homme fort qui n’aura pas de mal à dire ce qu’il a à dire à qui que ce soit et à faire ce qu’il souhaite. Le bras armé de Muneoka. Une équipe faite pour agir donc.
4- Les Japonais sont très sensibles au fait que pour la première fois, il ne s’agit plus d’un ancien champion de judo, issu d’une grande université spécialisée. Comme on l’a dit, l’université de Tokyo est prestigieuse, mais ne fournit pas habituellement de champions au système. En revanche, elle alimente largement le monde de l’économie et de la finance, ainsi que le monde politique. La rupture majeure est sans doute là : trop longtemps « consanguins » et privés de la haute compétence de « vrais » diplômés, (là encore nous avions relayé dans l’EDJ n°43 les analyses de spécialistes qui dénonçaient le système japonais comme un pseudo système univeristaire : la plupart du temps, on ne demande aux étudiants « judo » de ne faire que ça et leur diplôme est dévalorisé… ils n’ont qu’une seule issue par la suite, le tapis, et la Fédération !), les cadres fédéraux actuels sont balayés d’un grand coup de vent et remplacé d’un coup par des hommes formés et hauts placés dans la société civile. Un virage majeur qui s’annonce.
5- Plus subtile encore, la rupture s’exprime dans le fait, majeur pour les judokas japonais, que l’Université de Tokyo fait partie des sept « Universités Impériales » ((Hokkaido U., Tohoku U., Tokyo U., Nagoya U., Kyoto U., Osaka U., Kyushu U.) qui ne sont pas tellement branchées sur le judo Kodokan, ni même sur le judo univeristaire classique… mais sur une forme traditionnelle (nana-tei ou shichi-tei judo), loin des modèles de la compétition actuelle, qui favorise beaucoup le ne-waza, mieux connu sous le nom de… Kosen Judo ! Une révolution là encore, même si on peut sans doute estimer que ces hommes d’envergure sauront faire la part des choses. Nénamoins c’est peut-être le retour à une vision véritablement traditionnelle du judo au sein de la structure sportive AJJF, qui, c’est surprenant, n’avait jusque là aucun repsonsable de la Police en son sein, alors que le judo de la police est réputé pour son niveau au Japon. Le vent de « modernisation » n’est peut-être pas si moderne que cela. On est peut-être plutôt sur un « retour aux valeurs » en même temps qu’un retour à la rigueur de gestion, face à un Uemura qui n’est identifié ni à l’un ni à l’autre. Pourquoi pas ? Les actes parleront.
6- Et les hommes de Tokai dans tout cela ? Yasuhiro Yamashita sera-t-il remis en selle par ce nouveau pouvoir ? Rien ne le dit, et il fera d’ailleurs peut-être parti des vingt-deux démissionnaires, lui qui est actuellement membre exécutif de l’AJJF… Démissionnaire certes, mais sans doute vite réintégré au plus haut niveau. Certaines sources l’annoncent vice-Président.
Les observateurs notent que le patron du tapis à l’Université de Tokai, de 1989 à 2000, fut le franc-tireur et « légende » absolue du judo japonais, déifié en France, mais mésestimé par le Kodokan comme par l’AJJF, sa majesté Isao Okano. Un conseiller de poids ? En tout cas, là encore, une personnalité hors du système actuel.