Trois « olympiens » pour faire le boulot

Kirill Denisov, l’homme qui vient pour l’or dans cette équipe russe / Emmanuel Charlot – EDJ

Que vaut la sélection russe de judo qui se prépare pour Rio ? (Pour la connaître, c’est ici). Comme nous l’avons souvent écrit, la stratégie de performance des Russes en judo, et surtout de leur meneur Ezio Gamba, ne passe guère par les étapes intermédiaires. Tout pour les Jeux ! Un jusqu’au-boutisme qui demande évidemment à être pondéré… Ce que peut faire désormais sans difficulté le patron du judo russe, à la tête d’une phalange de plus en plus profonde de combattants performants.

Ezio Gamba a donc coupé la poire en deux (ou trois et plus). Au lieu de reprendre tous ses cadors en main à partir des Masters (qui avaient lieu à Tyumen… en Russie), ou des Universiades (qui avaient lieu à Kazan… en Russie) ou même du Grand Chelem de Moscou (…) pour préparer des championnats du monde avec tous ses meilleurs éléments, il a réparti les uns et les autres en fonction d’enjeux moins sportifs que de gestion de la récupération de son groupe olympique cinq fois médaillé. Et les champions olympiques, justement, sont aux abonnés absents. On a revu très fugitivement Isaev (-73 kg) et Khaibulaev (-100 kg), très peu exposés dans une petite « world cup » à Buenos Aires. Le super-léger Arsen Galstyan (-60 kg), a gagné à Buenos Aires et s’est collé en plus aux Universiades où il a d’ailleurs perdu en finale sur un magnifique soleil, un ko-uchi-makikomi royal du Japonais Shinji Kido. Incroyable, mais vrai, ces trois piliers de l’équipe russe, et notamment le champion du monde et champion olympique Khaibulaev, qui a tout de même 29 ans, ont été « dispensés » de championnat du monde. C’est impressionnant à plusieurs titres… et en particulier par ce que cela témoigne de confiance de l’équipe dans leur patron Gamba. Ce n’est pas dit qu’en France, on puisse expliquer à un champion olympique qu’il vaut mieux pour lui ne pas faire le prochain championnat du monde !
L’équipe de Rio repose donc sur les déçus des Jeux. Dans sa version papier (actuellement en kiosque), L’Esprit du Judo avait pronostiqué non seulement le leadership de Kirill Denisov (-90 kg), 5e aux Jeux, champion d’Europe depuis et remarquable judoka, mais aussi la présence d’Ivan Nifontov (-81 kg), 3e aux Jeux et brillant vainqueur au Master de Tyumen 2013. Ils seront bien là, et en favoris, dans des catégories très concurencielles. Troisième et dernier « olympien » présent : Alexander Mikhaylin (pour savoir ce que nous en pensons, voir ici).

De quoi voir venir, d’autant que ce petit groupe sera renforcé par un homme en vue : Grégorii Sulemin (-90 kg), vice-champion d’Europe et vainqueur du Grand Chelem de Moscou, qui devait être lui aussi aligné en individuel.

Une ombre au tableau ? S’il est difficile de prendre le maestro en défaut, on peut quand même s’étonner de la faiblesse des résultats des autres engagés masculins. Dans la logique éprouvée sur la dernière olympiade par Gamba, les hommes choisis longtemps à l’avance subissent une préparation qui les inhibent dans les tournois qui précèdent l’événement… sauf sur le dernier, qui doit donner confiance. Or, si Sulemin est bien sorti du lot, si Iartsev (-73 kg) est bien parvenu en finale à Moscou, ni Mudranov (-60 kg), ni Pulayev et Gadanov (-66 kg), ni Kodzokov (-73 kg), ni Vorobev (-81 kg), ni Samoilovich (-100 kg) ne se sont montrés à la hauteur à Budapest pour les championnats d’Europe, à Tyumen pour le Master, ou à Moscou pour le Grand Chelem. Qu’est-ce que cela veut dire ? On peut évidemment penser que le timing diabolique de la programmation russe va leur permettre de se révéler à Rio – et c’est bien possible. On peut penser que « le maître » leur prépare une autre destinée et n’investit pas beaucoup, comme il aime à le dire, sur ces championnats du monde brésilien… C’est peu probable. Cette équipe se dessine depuis le Grand Chelem de Paris et la plupart de ceux qui ont été choisis a passé 25 ans. C’est maintenant, ou probablement jamais, qu’il faut être champion du monde. Mais on peut penser ausi que si ces garçons ne manquent pas de valeur, ils sont tout de même d’une étoffe moins précieuse que celle des grands leaders russes, et que s’était « prévu » qu’ils soient forts dans l’un ou plus de ces rendez-vous, qu’ils ont essayé et n’y sont pas parvenus. Après tout, Ezio Gamba n’est pas un magicien et il est de plus en plus occupé ailleurs que sur le tatami. Les résultats mitigés à Tyumen et à Moscou l’ont sans doute déçus lui aussi… Bref, les Russes n’ont pas marché sur l’eau en 2013 comme il l’avait fait en 2009 à la même période, pour les championnats d’Europe et les championnats du monde. Si cette nation peut désormais faire face de façon crédible aux grands événements avec deux à trois équipes différentes – ce que la France ne peut pas faire – jusqu’à preuve du contraire, les n°2 et 3 sont toujours un ton en dessous. Rassurant ? Il sera temps, après Rio de voir ou en est vraiment le groupe masculin russe.

Et les filles ?

On l’a déjà écrit, la nouveauté, chez les Russes, ce sont les filles. Si les résultats préliminaires ont été encourageants, ils dévoilent néanmoins un groupe jeune, jusque là assez peu performant sur le plan collectif, et en plus privé, hélas, d’un pilier rassurant, la +78 kg, Elena Ivaschenko, morte tragiquement récemment. Il sera néanmoins amené par une favorite légitime en -52 kg, Natalia Kuziutina, appuyé par des prétendantes à la médaille, notamment Marta Labazina (-63 kg), vice championne d’Europe, ou Irina Zabludina (-57 kg). Et on suivra avec plaisir la très intéressante « outsider », Alesya Kuznetsova (-48 kg), une gamine fantastique de volonté de vaincre au style ultra ne-waza.

Somme toute, un groupe sans doute largement moins fort qu’en 2012, et probablement moins fort qu’en 2014, quand les « Olympiens » seront revenus dans la course et que les filles auront un an d’expérience en plus. Mais un groupe capable néanmoins de jouer la première place au classement des nations, avec la France, le Japon, la Corée, la Mongolie et le Brésil. Chaque médaille va compter.