Sometimes in April

En amorce de L’Esprit du judo n°50 à paraître dans quelques jours, et alors que le Grand prix de Cuba s’apprête à faire entrer pour de bon la course aux Jeux dans sa phase II, retrouvez ici un extrait chronologique du journal de bord de la Judo Académie nouvelle génération. Un journal centré sur les championnats européen et panaméricain, points d’orgue de ce premier semestre 2014.

Deux or individuels, deux argent, un 5e et une 7e. La quasi totalité des Académiciens ont répondu présents aux sirènes continentales du printemps. Mais les vérités d’avril seront-elles celles du mois d’août ? Si vous avez manqué les épisodes précédents (voir EDJ46 à EDJ49 et ici), l’équipée comprend Amandine Buchard (France, -48 kg), Hedvig Karakas (Hongrie, -57 kg), Yarden Gerbi (Israël, -63 kg), Kayla Harrison (-70 kg) et Idalys Ortiz (Cuba, +78 kg) pour les filles. Yakub Shamilov (Russie, -66 kg), Gideon « Jacques » Van Zyl (Afrique du Sud, -73 kg), Antoine Valois-Fortier (Canada, -81 kg), Tiago Camilo (Brésil, -90 kg), Toma Nikiforov (Belgique, -100 kg) et Islam El Shehaby (Egypte, +100 kg) pour les garçons. 
Saison I, épisode 5, attitude… Ré !

 

Vendredi 28 mars. Anniversaire d’Olivier Remy. A Samsun, Yakub mène waza-ari et yuko au premier tour des -66 kg face à l’Arménien Varosyan. Puis prend hansoku make pour une saisie de jambe. Un résultat frustrant, d’autant que, quelques minutes plus tôt, Abdula Abdulzhalilov, son rival national direct à la ranking, venait de céder d’entrée face à Loïc Korval. Frustration encore en -57 kg, où Hedvig mène aux pénalités jusqu’à trente secondes de la fin de sa demie contre Laetitia Blot. Elle se fait ensuite rejoindre puis tombe à quatre secondes du terme, au grand dam de son coach. Il semble cependant écrit quelque part que le cru Karakas 2014 n’a plus grand chose à voir avec l’ombre d’elle-même qui arpentait le circuit ces dernières saisons. La Hongroise se ressaisit en allant chercher le bronze face à l’Autrichienne Filzmoser. Et sourit enfin.

Samedi 29 mars. Forfait au Grand Prix turc pour ne pas aggraver sa blessure à la côte, Amandine se rend toutefois aux championnats de France juniors à Lyon pour encourager et échauffer sa camarade de club Amélie Guihur, 2e à l’arrivée en -57 kg. Grande amie de cette dernière et colocataire d’Amandine à l’Insep, Margaux Pinot est elle à Samsun et y jette plus qu’un pavé dans la mare anatolienne. En battant pour le bronze Gévrise Emane, choix fédéral n°1 pour les Europe de Montpellier, la -70 kg sème autant d’espoirs dans le chant de ses partisans que de doutes chez ceux de sa glorieuse aînée… Le doute est un mot que Yarden semblait avoir rayé de son vocabulaire en 2013. 2014 marque le retour du vocable parasite. Dominée de la tête et des épaules en finale par l’Italienne Gwend il y a une semaine à Tbilissi – malgré quelques projections au timing parfait dont un eri-uchi-mata sur la main qui monte de la Slovène Nina Milosevic -, la championne du monde des -63 kg a eu tout juste quelques heures chez elle à Netanya pour laver ses judogis – et recevoir un nouveau trophée des mains de la première magistrate de sa ville – qu’elle poinçonnait déjà son septième billet d’avion en huit jours pour se rendre en Turquie… où elle cède deux fois dans les dernières secondes, après avoir mené d’un waza-ari à chaque fois face à l’Autrichienne Unterwurzacher et l’Allemande Trajdos. « Si c’était à refaire, je zapperais sans doute la Turquie », analysera-t-elle quelques semaines plus tard. Plus facile à dire qu’à faire pour celle qui défend en coupe d’Europe des clubs les couleurs de Galatasaray…

Dimanche 30 mars. Pendant qu’à Lyon le quart de finale des -81 kg entre le tenant du titre Jordan Bissoly et son futur successeur Pape Doudou Ndiaye atteint des sommets d’intensité, à Samsun, la victoire en finale des +100 kg du revenant Marius Paskevicius, médaillé mondial en 2009 et de retour au premier plan l’année de ses 35 ans, prend de court le DJ. Toujours prompt à ambiancer les sorties de tapis avec des sons liés au pays d’origine du vainqueur, celui-ci n’a visiblement pas de musique lituanienne en stock…

Mardi 1er avril. En annonçant sur Twitter la fin de sa saison suite à une rupture des croisés, Loïc Pietri réussit à la fois son poisson d’avril et à faire tchiper de consternation tout ce que les réseaux sociaux comptent de superstitieux.


Après un hiver difficile, ​Idalys a ressorti le bleu de chauffe ©Anthony Diao/L’Esprit du judo

Mercredi 16 avril. Au lendemain du premier anniversaire des attentats de Boston qui avaient valu à l’époque bien des émotions à Kayla [cf. EDJ44], Tiago visite le musée Ayrton Senna avec son ami Rafael Silva. Vingt ans presque jour pour jour après la disparition du pilote, le doyen de l’Academie remercie « celui qui aura rendu heureux le peuple brésilien chaque dimanche matin de ces années-là ». Le lendemain en Hongrie, Hedvig se blesse sérieusement au genou opéré l’an dernier. Deux partenaires d’entraînement lui tombent dessus par derrière au dernier randori de l’ultime grosse séance avant les Europe. Nous sommes à huit jours de son entrée en lice. « Je n’en reviens pas d’être aussi poissarde », lâche-t-elle en sortant de son IRM. Un sentiment que partage pour d’autres raisons Jacques à 8 000 km de là. Le Sud-africain n’est pas blessé en apparence mais c’est tout comme, après la nouvelle fin de non-recevoir à sa demande de participer au grand Chelem de Bakou.  « Suivre les Europe sur mon ordi » est le plan B d’un double champion d’Afrique qui en a soudain très gros sur la patate.

Mercredi 23 avril. Sur le tapis d’échauffement du Park & Suites Arena de Montpellier, Toma ouvre des yeux ronds en contemplant les pectoraux de l’Azéri Elkhan Mammadov, invisible depuis son titre mondial de Rio. L’hôpital qui se moque de la charité, au regard du 95-G potentiel du -100 kg de Schaerbeek, pas le dernier à pousser de la fonte depuis son retour de l’armée. Le Belge trompe l’attente avec son compère Aymerick Glowacki. Les deux marmules semblent avoir un réservoir infini de vannes codées et d’humour de caserne pour tuer le temps, perdre les quatre derniers kilos et attendre l’arrivée d’un judogi bleu expédié de Belgique quelques heures après le départ de son distrait propriétaire.

Jeudi 24 avril. Vice-championne d’Europe seniors à 18 ans. D’autres en feraient des loopings et des tournées de selfies. Pas elle. Amandine a mené waza-ari en finale face à la tenante du titre et le plus dur sera de faire une croix sur ce « presque ». En -57, Hedvig combat sur une jambe et se classe 7e, emportée par la fougue de l’Allemande Roper puis par la quête d’une dixième médaille européenne de la Portugaise Monteiro. En -66 kg, David Larose fait pour sa part avec une rupture des croisés survenue à l’échauffement et se hisse jusqu’en finale, où Loïc Korval l’attend. En Turquie il y a un mois, le Génovéfain avait renversé dans les dernières secondes une finale mal embarquée face au médaillé mondial 2010, remonté comme un coucou depuis le début de la saison mais diminué lui aussi ce jour-là. Cette fois le résultat est inversé et la théorie des vases communicants trouve une nouvelle application entre les deux rivaux.

Vendredi 25 avril. 23 ans de Yakub, resté s’entraîner en Russie. Budget oblige, Hedvig est déjà dans l’avion pour Budapest. Quelques minutes avant que le ura-nage de Kim Polling puis celui de Clarisse Agbegnenou ne fassent des trous dans leur tapis respectif en fin de matinée, Yarden a déjà sauté. Le crime de lèse-majesté a lieu dès son entrée en lice. Il est l’œuvre de la Polonaise Agata Ozdoba, en bronze le soir venu et dont le plus haut fait d’armes à ce jour se résumait à deux cinquièmes places aux Europe -23 ans… en 2008 et 2009. En sortant du tapis, la championne du monde paraît 100 ans, soit l’exact opposé des Néerlandais Polling et Dex Elmont, heureux comme des enfants en fin de journée, qui de son doublé en -70 kg, qui de son premier titre en -73 kg, à chaque fois sur des actions mémorables. En -81 kg, le Géorgien Tchrikishvili – qui a la troublante particularité en interview d’écouter impassiblement les questions en anglais et de répondre tout aussi impassiblement en géorgien – gagne en dépit d’une intoxication alimentaire contractée la veille qui l’aura « affaibli durant [ses] trois premiers combats ». Les trois premiers combats en question – l’Allemand Alexandr Wieczerzak, le Russe Sirazhudin Magomedov et le Grec Roman Moustopoulos – apprécieront. Au même moment à Guayaquil (Equateur), la Cubaine Laborde bat en finale et d’un shido la championne olympique brésilienne Menezes, après avoir ipponisé en demies le « docteur » Pareto. De dépit sa grande rivale nationale Mestre gagne en… -44 kg. Le soir venu, Antoine assiste médusé à un épisode, rare à ce niveau, de pesée… sans balance. « Ces championnats panaméricains, niveau organisation, c’était broche à foin ! » commentera par la suite le savoureux Québécois.

Samedi 26 avril. 28 ans de la catastrophe de Tchernobyl et quelques affiches nucléaires ce matin dans l’Hérault. La poignée de main entre Toma et Martin Pacek s’effectue du bout des doigts. Les deux -100 kg se sont mis des taquets au dernier stage de Nymburk et ce n’est pas le waza-ari conservé jusqu’au bout par le Belge lors de leurs retrouvailles à Montpellier qui va détendre le Suédois. En termes de tension, le quart de finale avec Cyrille Maret se pose également là. Deux shidos à un pour le Français et une colère sourde envers l’arbitrage du côté du bouillant Bruxellois, qui sort ensuite en repêchage l’Ukrainien Bloshenko avant de se faire empapaouter pour le bronze en quatorze secondes sur ko-soto-gake par Adlan Bisultanov. Le Russe est le grand copain de Yakub, qui a délaissé l’entraînement le temps d’une après-midi pour suivre l’épopée de son ami, tombeur en quarts du champion du monde Mammadov. A midi pile, Yarden prend congé, le cœur gros comme un parapluie – non sans avoir claqué une ultime bise à sa rivale Clarisse Agbegnenou, vainqueur la veille en -63 kg. Cinq heures de route l’attendent pour rejoindre l’aéroport de Barcelone et s’envoler pour la terre-mère et un break introspectif nécessaire. Une consolation tout de même pour la n°1 mondiale : Shany Hershko, son entraîneur, est désigné le soir même Entraîneur féminin européen de l’année au gala de l’Union européenne de judo. A 19 heures d’avion de là, à Guayaquil, Antoine sort Travis Stevens puis s’incline en finale des -81 kg face à Victor Penalber. Tiago s’impose en -90 kg et Idalys en +78 kg. Ceux qui suivent la World Judo Academy depuis le début savent de quels affres ces deux-là reviennent, et mesurent la source d’inspiration que représente leur exemplaire ténacité pour leurs jeunes coéquipiers.

Dimanche 27 avril. Les Cubaines d’Idalys et les Brésiliens de Tiago se parent d’or par équipes pour finir ces championnats panaméricains, tandis qu’Antoine et les Canadiens ne se sont pas alignés, préférant arriver entiers au grand Chelem de Bakou puis au stage d’Antalya. A Montpellier, la France s’impose chez les filles sous les encouragements d’une Amandine qui n’aurait certainement pas fait tâche en -52 kg. Chez les masculins, la Géorgie vient à bout de la Russie dans une non-ambiance propre aux fins de compétitions sans équipe hôte dans la dernière ligne droite. Dans un couloir, l’Ukrainien Bondarenko erre sans but pendant de longues minutes. Le +100 kg vient de subir huit pénalités en 24 heures face à Teddy Riner et visiblement même sa kiné a renoncé à dénouer les sacs de nœuds qui lui descendent depuis les trapèzes jusqu’au coccyx. Toma se paie quelques bonnes tranches en tribunes aux côtés de son père et de ses entraîneurs Damiano Martinuzzi et Cédric Taymans, pas mécontents de troquer pour une fois leurs responsabilités de coaches d’une équipe très jeune pour une journée de « simples spectateurs ». L’épicurien pense à son coude douloureux, à la Farewell party qui se terminera en eau de boudin le soir venu du côté de son camp de base de Belambra – « Musique et alcool supprimés à 1 h 30. Aucun sens de la fête ces Français ! » – et à ses vacances à venir du côté du Portugal. Aux Etats-Unis, désormais résolue à reprendre en -78 kg pour ne pas s’ajouter « le souci du poids en plus des autres urgences à gérer », Kayla mettra encore deux longues semaines à s’intéresser aux résultats des Europe, tandis qu’au Caire Islam savoure le plaisir simple de refaire enfin ses valises. Il part dans quatre jours pour un stage à Sotchi avec son coéquipier Ramadan Darwish. A 31 ans, l’Egyptien mesure plus que d’autres ce que c’est que de rester à quai et ce que c’est que de (re)conquérir la possibilité de s’élancer. Alors il s’élance.


Rien – et surtout pas les tentatives d’étranglement debout de Travis Stevens – ne semble plus pouvoir entraver le retour annoncé de Kayla ©DR/L’Esprit du judo

 

La suite est à lire dans L’Esprit du judo n°50… et dans les prochains numéros.