Un geste très judo qui fait parler les réseaux sociaux
Un beau geste interdit ? Oui… mais non. / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
La règle est absurde, on l’a suffisamment dit, mais elle paraissait claire. La voici, directement issue du règlement d’arbitrage international.
Or il est manifeste, quand on regarde le magnifique pion placé en contre par la Brésilienne Silva en finale de la catégorie -57 kg (et sur lequel l’arbitre n’annonce que waza-ari) que Silva fait un kushiki-daoshi un ramassement de jambe, c’est-à-dire qu’elle bloque avec son coude la jambe de l’adversaire pour contrer le sasae-tsuri-komi de la Mongole Dorjsuren.
Dans l’esprit judo, c’est une magnifique prise d’opportunité. Dans la règle de la Fédération Internationale, cela devrait donc être une disqualification pour hansokumake, exactement comparable, selon cette règle, à celle que subi la Française Gneto hier au premier tour en -52 kg. Silva aurait-elle donc dû être disqualifiée ? Et bien non.
Il se trouve que les règles écrites ne sont plus celles qui sont appliquées. Dans des séminaires qui réunissent arbitres et principaux entraîneurs, les patrons de l’arbitrage mondiaux modifient ces fameuses règles, souvent sous le poids implicite d’événements qui en démontrent l’absurdité, par exemple l’élimination à Tokyo de la star naissante des -81 kg, le Japonais Nagase sur un très beau geste où il fait une sorte de te-guruma en gardant la jupe du kimono dans la main. Ainsi, en janvier 2016 à Tokyo, des « cas particuliers » ont été introduits, et un gros paquet, nouveaux tuyaux dans l’usine à gaz, auto-désaveu pour l’arbitrage mondial et modification juste avant les Jeux d’une règle qui, paraît-il ne devait pas bouger, ne bouge pas, sauf qu’elle bouge, sans que le grand public en soit clairement informé. Dans ce séminaire, il a donc été admis que les contacts sur la jambe avec le bras quand la main reste en saisie sur la manche ou le revers sont désormais licites. C’est finalement une bonne chose, ces concessions progressives au bon sens, sauf que quand on ne touche pas à l’essentiel, la règle elle-même, tout cela se perd dans l’absence de clarté générale et un parfum de non-sens qui rappelle les Monthy Pythons ou Ubu Roi par certains côtés. Pour s’en convaincre et découvrir la raison qui explique pourquoi Silva ne doit pas être disqualifiée, voici un passage de quelques minutes du séminaire de janvier dernier.
Pour ceux qui sont courageux, il est possible de découvir le film intégral sur Youtube. C’est une première partie et elle dure déjà huit heures. On y voit le patron de l’arbitrage mondial, l’Espagnol Barcos, expliquer que Nagase n’aurait pas dû prendre hansokumake à Tokyo.
Silva n’a pas été disqualifiée sur son joli geste judo – qui est néanmoins un ramassement de jambe comme, paraît-il, on n’a plus le droit d’en faire parce que c’est mal – et c’est tant mieux. Mais il est peut-être temps de se rappeler que, malgré les oukazes fédéraux, les contrôles avec le bras sur la jambe, non intentionnels comme intentionnels, font aussi partie du judo. Les replis tactiques n’y feront rien, il va falloir admettre que cette règle était une fausse bonne idée. Il y a mieux à faire pour défendre le « beau judo », on commence à s’en rendre compte, que d’interdire une partie de son patrimoine. On rame depuis bientôt sept ans à force de ne pas vouloir le voir. Et il serait bon aussi, pour éviter les points d’interrogations des amateurs de judo qui regardent les Jeux et voient un jour une disqualification et l’autre pas, que le public soit informé clairement… si c’est possible, dans l’état actuel des choses.