Le journal de bord de Valentin Jourdan
« Partenaire particulier, et une bonne dose de savoir-faire… » C’est l’une des tendances à la hausse du moment : confrontées à un volume de partenaires largement déficitaire et sans commune mesure avec celui des grands pays de judo, les « petites » nations font de plus en plus appel à des sparrings étrangers ponctuels, pour quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Illustration avec l’expérience du -90 français Valentin Jourdan, ancien du SO Givors, champion d’Europe universitaire 2013, 5e aux France 1D 2014, 3e aux France par équipes 1D 2016 avec le RSC Montreuil et vainqueur de l’European Cup de Slovénie en juin dernier, revenu à Celje fin juillet pour être cette fois l’Uke de Mihael Žgank, le titulaire local à Rio.
« 18 Juillet. Je fais mes premiers pas sur le sol slovène aux alentours de 11 heures. Un SMS d’Urska Zolnir m’indique que Matjaz Trbovc, « the small guy, will be a little late » (« le petit gars sera un peu en retard »). Je m’installe donc prendre un café au bar à la sortie du terminal. À peine le temps de le boire que déjà Matjaz est là. Premier test : mon anglais est un peu rouillé mais la conversation se fait plutôt bien. Nous nous arrêtons en route récupérer deux judogis sur la zone industrielle. Pendant le voyage, le -60kg de Celje m’explique que sa propre non-sélection olympique ne s’est malheureusement pas jouée à grand-chose. Un combat de plus gagné par son ami le -66 Gomboc et il aurait pu bénéficier d’un quota qualificatif…
Nous nous arrêtons pour déjeuner sur le chemin. Pour moi ce sera un plat typiquement local : une pizza [Sourire]. Puis nous finissons notre chemin ensemble chez Urska, où il me dépose et où je vais séjourner durant la durée de mon aventure. Il s’agit d’une petite dépendance de sa propre maison, dans laquelle sont installés un sauna, une douche, des toilettes et un petit lit dans la partie supérieure accessible par une échelle fixée au mur. Bref je suis content. Tout est parfait jusqu’ici.
J’ai rendez-vous devant la maison d’Urska pour départ à 15 h en vue de la séance de préparation physique de 15 h 30. Le club se situe à 6 km de chez elle. La séance sera plutôt courte mais relativement intense, après un échauffement dirigé par la vice-championne du monde 2015 des -78kg, Anamari Velensek. Quelques tours du quartier en courant et nous voila dans le dojo pour quelques exercices, principalement des sauts en rebond pour l’explosivité des cannes. Une séance qui durera un peu moins d’une heure. « Aujourd’hui c’était facile. Attends demain » me disent-ils… Je rentre avec Urska pour aller me doucher dans ma petite maisonnette puis Mihael passe me récupérer à 18 h pour aller en ville. J’ai ainsi pu faire quelques courses pour les jours à venir et nous avons partagé un dîner dans le centre commercial. L’occasion pour nous d’apprendre à nous connaître en vue des longues heures de judo en commun qui nous attendent. Ce qui en soi est plutôt amusant car, juste avant que je parte de chez elle, Urska m’a bien précisé qu’il serait bon que je ne devienne pas trop proche de Mihael car, « étant dans la dernière partie de sa préparation olympique, il a vraiment besoin de quelqu’un qui va lui rentrer dedans, et non d’un ami ». Je pense toutefois que nous sommes assez intelligents pour faire la différence entre ce qui se passe sur le tatami et ce qui se passe en dehors… Affaire à suivre tout de même ! Je rentre de bonne heure, le temps d’un film et au lit pour être en forme demain.
19 juillet. Au programme aujourd’hui : deux séances de judo d’1 h 30. Elles sont principalement axées sur les randoris. Un grand chapiteau a été monté pour l’occasion dans le champ situé de l’autre côté de la route qui passe devant le dojo. La chaleur est importante mais des ouvertures dans les toiles de côté permettent à l’air de passer pour nous rafraîchir. Les randoris sont organisés en deux vagues. La première vague est pour les sélectionnés olympiques et leurs partenaires désignés, la seconde pour les autres. L’après-midi a même été l’occasion de quelques combats arbitrés entre nous pour la vague olympique. C’est quand même dingue de penser aux palmarès réunis sous ce petit dojo de fortune, notamment avec les cinq athlètes olympiques slovènes (Trstenjak, Velensek, Gomboc, Draksic et Zgank) mais pas que, car plusieurs nations sont présentes dont notamment les Kosovars et leur n°1 mondiale Kelmendi, des Hongroises avec Karakas, la vice championne du monde espagnole Bernabeu, Larisa Ceric de Bosnie-Herzégovine, bref beaucoup de beau monde…
20 juillet. La matinée est libre. J’en profite pour prendre le vélo qu’Urska m’a proposé d’emprunter pour faire le tour des environs. Après-midi judo, quelques Bosniaques nous on rejoint aujourd’hui. Randori à thème pour les sélectionnés, avec changement de partenaire durant le même match. C’est un dur après-midi pour eux. Lors du dernier combat, il était proposé un 5 minutes standard que j’ai fait avec Mihael. Sa fatigue était réelle car j’ai pu le faire chuter à plusieurs reprises…
21 juillet. La matinée est consacrée à une séance de nage komi, chaque sélectionné avec deux partenaires chutant à tour de rôle. Pour ma part j’étais donc avec Mihael et Franz Hättlich, un -90 Franco-Allemand. Nage komi explosif à thème sur des séquences de 30 secondes, des séquences spécifiques à thème tantôt à droite puis à gauche. L’après-midi, nouvelle séance de randoris, une fois 5’ puis 10×1′ avec une minute de repos puis 1×5′. Il fait vraiment chaud sous la tente…
22 et 23 juillet. Deux jours quasi identiques : matinée de repos et après midi de randoris. 20 minutes de randoris au total pour les sélectionnés sous forme de thèmes en 4×5 minutes.
24 Juillet. Dimanche, pas d’entrainement au programme. Matjaz en profite pour nous emmener à un spa resort. C’est l’occasion pour nous (Matjaz, les deux Allemands et moi) de faire trempette dans les piscines extérieure et intérieure du complexe. Nous avons également profité du beau temps pour faire quelques sets de beach volley. Une belle journée qui se finit par un repas partagé au City Center avec Larisa Ceric, les deux Allemands et moi. Il faudra vraiment que j’achète un petit quelque chose pour remercier Matjaz…
25 juillet. Une journée plutôt de repos avec seulement du stretching au programme de la matinée pour Mihael. J’en profite pour me rendre à la salle de musculation collée au dojo. Les appareils ne sont de toute évidence plus très jeunes, mais le principal est là, et fonctionnel. L’après-midi, pas de randori, seulement une nouvelle séance de nage komi. Une fois mon travail de partenaire terminé, nous en profitons pour faire quelques randoris entre nous, notamment avec le moins de 90 allemand avec lequel je n’avais pas encore vraiment eu l‘occasion de combattre. C’est le dernier soir pour les Allemands car ils repartent demain matin en train. Nous en profitons donc pour aller au restaurant ensemble le soir et y convier Matjaz pour le remercier de tous les trajets de minibus qu’il a fait pour nous. Un bon moment de partage autour d’un bon repas et bien sûr d’une bonne bière [Sourire].
26 juillet. Ce matin dernière séance de randoris pour moi dans le petit dojo. Au programme 1×5′ normal puis 10×1’ avec 1’ de repos et à nouveau 5 minutes normal. Les conditions ne sont pas les même dans ce dojo. Seul Mihael et son partenaire combattent sur une surface réglementaire de combat 8×8 mètres. Nous sommes quatre partenaires : deux Slovènes, un Kosovar et moi. Après les 10 fois 1’ j’ai fait mes dernières 5’ de combats avec lui. Un combat plutôt acharné mais sans aucun avantage de pris que se soit d’un coté ou de l’autre ! Cette opposition se voulait vraiment plus proche du shiai – surface de combat et respect du travail de bordures, matte, concentration maximale… Je suis libre pour mon dernier après-midi. Je vais aller faire un tour au centre-ville histoire de ramener quelques souvenirs de ce séjour slovène.
27 juillet. Départ de la maison d’Urska à 4 h du matin. Le fidèle Matjaz me ramène à l’aéroport. Mon avion est à 6 h 45 pour Paris !
Ce stage fut réellement une expérience très enrichissante pour moi. Le fait de pouvoir travailler avec de nouveaux partenaires dans des styles de judo différents des nôtres m’a fait beaucoup de bien. De plus, la chance de pouvoir se mesurer à un n°16 mondial quotidiennement est vraiment quelque chose de gratifiant ! À aucun moment je ne me suis senti rabaissé par Mihael qui reste une personne simple, humble et très appréciable. J’espère sincèrement avoir pu contribuer à une partie de sa mise en jambe pour le jour J. Comme nous avons pu en discuter une dernière fois ce matin [le 30 juillet, NDLR], tout peut arriver à Rio et, même s’il n’est pas le favori, il a déjà battu des athlètes qui se retrouveront surement sur le podium ou à des places d’honneur donc pourquoi pas lui… [Malgré tous ses efforts, Mihael Zgank s’inclinera au premier tour face au Serbe Kukolj, tandis que son coéquipier le -66 Adrian Gomboc se classera 5e et que Tina Trstenjak (-63kg) et Anamari Velensek (-78kg) ramèneront respectivement l’or et le bronze, cf. EDJ64]
En ce qui concerne le Sankaku Club de Celje, c’est vraiment éblouissant de voir à quel point les personnes sont investies judo ! Autant en France on dit souvent qu’il est très difficile de faire du très haut niveau sans être sur Paris, autant il est sûr qu’en Slovénie c’est ici à Celje qu’il faut être si vous avez l’ambition de faire du très haut niveau… Les cinq sélectionnés olympique en judo pour la Slovénie sont issus de ce même club. Les statistiques parlent d’elles mêmes. »
Par Valentin Jourdan
Lire aussi dans l’EDJ64 à paraître ce 1er octobre 2016 « Les filles de l’homme », un retour sur la réussite des élèves de Marjan Fabjan et Urska Zolnir aux JO de Rio.