Je me suis surprise à bailler plusieurs fois ce matin : c’est bizarre de se sentir fatiguée dans une telle arène… Je culpabilisais mais un certain arbitre français que l’on connaît bien est venu me réclamer un double café. On a ri et je n’étais plus fatiguée. J’ai posé à nouveau mes yeux sur le tatami, requinquée, et je me suis dit que c’était finalement ces petits moments-là qui donnaient ce goût spécial à mes journées. L’assaisonnement sans lequel le meilleur plat du monde serait fade. Il n’est jamais pareil, c’est toujours lui qui me surprend.
Je pars chercher une recharge de biscuits et me voilà arrêtée à discuter avec cette incroyable judokate autrichienne, encore sur le tatami du Paris Grand Slam à 39 ans, quatre JO au compteur, et qui, peu de temps après, a gravi l’Everest : Sabrina Filzmoser ! Hier, j’expliquais au responsable incendie posté juste à côté de moi les bases de l’arbitrage judo (quelle mission !) et aujourd’hui, c’est une petite dame japonaise qui m’apprend, avec complicité, un nouveau mot à chaque fois qu’elle passe par mon « stand ». Je fais la connaissance de deux journalistes de la télévision allemande qui viennent de m’offrir leur pin’s quand soudain, incroyable, mes yeux tombent sur Karia Sensei, mon “ami” du Kodokan ! Quel plaisir de le retrouver !

Pascaline Magnes / L’Esprit du Judo

Tous ces regards, ces blagues en passant, ces longs échanges, ces sourires gratuits, c’est le sel de mes journées. Nous sommes comme une fourmilière dans un monde parallèle à celui de l’arène, invisible aux yeux de la foule qui ne voit que les héros dont elle scande les noms, toujours convaincue que c’est le bon jour. Je les vois, ceux qui se lèvent pour crier plus fort, ceux qui tiennent des pancartes et brandissent de grands drapeaux, les familles sur le même rang, les copains qui tapent fort des pieds pour faire plus de bruit, les casquettes ou les bandeaux aux couleurs nationales… Je les vois, tous ces petits points qui s’agitent, le cœur à l’ouvrage. Ce sont d’ailleurs peut-être eux, la fourmilière qui œuvre au succès de la journée. Sans chacune de ces voix, quel Alpha se serait engagé dans la coursive qui le menait au tout premier combat de la journée ? Si aucune de ces puissantes petites fourmis n’avait été là, est-ce que Clarisse aurait conclu le long golden score de son premier tour en sa faveur ? Les combattants donnent tout ce qu’ils ont sur le tatami et le public donne ce goût épicé de l’adrénaline. Clarisse perd sa demi-finale pour un waza-ari que seule la vidéo a bien vu, à quelques secondes de la fin, et le silence glacial et soudain de chacun de ces petits points donne ce goût acide qui fait grimacer et dont on veut se débarrasser…
Juste après la défaite d’Alpha Djalo qui l’élimine de ces Jeux, je plonge sur ma machine à café pour servir ce monsieur qui a certainement attendu, par gentillesse, que le combat de mon compatriote se termine. Je lui dis que je m’en prends un aussi pour me consoler. On sourit tous les deux de cette déception irrépressible pour une défaite qui n’est pourtant pas la nôtre, quand soudainement, la foule nous interrompt avec une Marseillaise qui s’élève solennellement, telle une levée de drapeau pour un podium populaire… Alpha se tient debout, tout seul, face à cette assemblée qui lui fait sa déclaration, à l’unisson(s). Un instant suspendu, comme pour adoucir le goût âpre de la défaite. Combien de regards, sourires gratuits ou mots apaisants Alpha va-t-il encore devoir croiser pour retrouver un peu de piment sur un tatami ? J’ai failli poser la question à ce gentil monsieur dont je ne connais pas le prénom mais un volontaire est venu me dire que la voiturette avec les recharges de biscuits venait d’arriver. Je n’ai pas eu le temps. Je suis partie chercher ces biscuits, tournant le dos au tatami, en me demandant sur qui j’allais tomber au bout de ce couloir. Une journée comme volontaire au JO de Paris ? C’est la saveur de petits moments mêlés aux grands.