Été soucieux à venir pour la Kosovare Kelmendi et l’Allemande Trajdos ?

La rumeur enflait depuis plusieurs jours : la Kosovare Majlinda Kelmendi, double championne du monde, double championne d’Europe et n°2 mondiale des -52 kg, et l’Allemande Martyna Trajdos, championne d’Europe et n°5 mondiale des -63 kg, se seraient récemment soustraites à un contrôle antidopage inopiné. Que s’est-il réellement passé ? Avis de tempête dans un dé à coudre ou de tempête tout court ? Tentative d’explications en remontant le fil d’une journée agitée.
Jeudi 16 juin 2016. Le stage de préparation olympique de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) approche de son terme. Depuis cinq jours, il a notamment permis à l’équipe de France féminine de se frotter à ses homologues allemande, brésilienne, canadienne, états-unienne, kosovare, mongole et slovène – ces dernières ayant depuis repris la route afin d’enchaîner avec le camp d’entraînement olympique qui se déroule du 17 au 23 juin à Poreč, en Croatie, 1 300 km plus à l’est.
Contrôle. En cette fin d’après-midi, une dame se présente. Elle est préleveuse agréée par l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage) et, partant, assermentée par le tribunal de grande instance de son lieu de résidence – la précision a son importance puisque ses compétences seront ultérieurement remises en cause par plusieurs délégations. Elle est munie d’un ordre de mission délivré par l’AFLD. Sept athlètes – une par nations restantes – sont bientôt désignées pour se soumettre à ce contrôle antidopage inopiné. Gévrise Emane, la Française concernée, s’exécute avec le professionnalisme que chacun lui connaît. Pour les étrangères, en revanche, un moment de flottement s’installe. Sont-elles juridiquement tenues de se plier à un contrôle inopiné hors compétition dans un pays étranger, a fortiori lorqu’il est diligenté par l’autorité nationale du pays hôte ? « Je suis contrôlée après chaque compétition ainsi qu’au moins une fois par mois lorsque je suis aux Etats-Unis, nous confie dès le lendemain l’Américaine Kayla Harrison, l’une des piliers du suivi quasi quotidien débuté à Rio en 2013 dans le cadre de la World Judo Academy. Eh bien figure-toi que j’ai été testée hier à Saint-Cyprien ! J’étais surprise parce que c’est la première fois que je suis contrôlée à l’étranger hors compétition. Au début mon entraîneur ne voulait pas que je fasse le contrôle parce qu’il trouvait que cette situation n’était pas normale, mais je lui ai dit : ‘Big Jim, je préfère être tranquille plutôt que soucieuse.’ Bon, j’étais déshydratée par l’entraînement juste avant donc ça a été long mais au moins c’est fait. »
Commentaires. Inviter autant de championnes puis les faire contrôler par surprise : un traquenard ? Le mot n’est pas prononcé mais il se devine entre les lignes à l’écoute des commentaires de certains étrangers, recueillis depuis sous couvert d’anonymat, tensions inhérentes au crescendo pré-olympique obligent. « Il n’y a pas de traquenard puisque le contrôle était inopiné pour nous aussi, souligne plutôt l’entraîneur français Larbi Benboudaoud. Ce jour-là, nous avons entendu tout et son contraire. Dans ces cas-là, le plus simple reste encore de se plier à l’exercice. Quand tu sais que t’as le cul propre, qu’est-ce que tu as à craindre ? » Pour d’autres nations, c’est plutôt le « manque apparent de professionnalisme » de l’AFLD qui a interpelé. « Il n’y avait aucun chaperon attitré pour les athlètes choisis, ni d’eau distribuée alors que nous sortions de randoris en pleine chaleur, et ils ont demandé aux coaches des pays de désigner eux-même l’athlète concernée », rapportera ainsi une médaillée des récents championnats panaméricains…
Téléphone. Dans ce contexte confus – auquel s’ajoute parfois la barrière de la langue -, si la plupart se plient à l’exercice à l’instar de la Canadienne Zupancic, d’autres n’hésitent pas à décrocher leur téléphone pour se faire expliquer la marche exacte à suivre. C’est le cas du Kosovar Driton Kuka, entraîneur de Majlinda Kelmendi, la -52 kg aux 98 victoires en 102 combats internationaux disputés depuis les Jeux de Londres. À l’autre bout de sa messagerie WhatsApp, la Hongroise Andrea Ember, coordinatrice antidopage au sein de la Fédération internationale de judo. Voici la retranscription (traduite de l’anglais) de leurs échanges relatifs à cette problématique ce fameux jeudi 16 juin entre 18 h 20 et 18 h 55, que l’entraîneur kosovar nous a transmis à l’appui de sa bonne foi et que nous reproduisons avec l’accord sinon exprès de son interlocutrice, du moins tacite de sa hiérarchie.
« Hello Andrea. C’est moi, le coach de Kelmendi.
– Hello.
– Nous voudrions savoir : la personne qui s’est présentée aujourd’hui en France pour un contrôle antidopage, est-elle autorisée par la Fédération internationale de judo ou pas ?
– Non, elle ne l’est pas. Je viens juste de parler avec l’équipe allemande. Il faudrait que vous demandiez à cette personne son mandat, afin de savoir qui l’envoie.
– Pouvez-vous nous conseiller sur la marche à suivre s’il vous plaît ? Elle dit qu’elle est envoyée par quelqu’un de Paris mais je n’ai pas de nom jusqu’à présent.
– Demandez-lui son mandat, voyez qui l’envoie et pour quels athlètes. ‘No name, no game’. Les règles sont les règles
– Merci beaucoup Andrea.
– Elle doit avoir un mandat écrit.
– Nous vous tenons informée.
– Le papier doit mentionner quels athlètes peuvent être testés.
– Merci.
– Pas forcément par nom mais il devrait être écrit « Equipe de France de judo ». Si le papier provient de l’AFLD et qu’il mentionne « tout athlète présent sur le stage » cela signifie « tout athlète français ».
– Oui donc il n’est pas nécessaire de faire le test tant qu’elle n’a pas montré ce papier.
– Oui. Et je viens d’apprendre par les Allemands que cette dame est de l’AFLD. Elle ne peut donc tester que des athlètes français. Elle ne peut tester d’autres athlètes que si elle a été mandatée en ce sens par l’Agence mondiale antidopage, le Comité international olympique ou la FIJ.
– Merci. Donc ni les Allemands ni les autres étrangers n’ont l’obligation de se soumettre à ce test.
– Si les tests ont été ordonnés par l’AFLD – non ce n’est pas nécessaire. »
C’est donc sur la base de ces conseils que la Kosovare Kelmendi et l’Allemande Trajdos – ainsi que nous l’a expressément confirmé ce mardi 21 juin son entraîneur national Michael Bazynski – ont toutes deux refusé de se soumettre au contrôle antidopage de Saint-Cyprien.
Code. Problème : si l’AFLD ne s’autorise pour l’heure aucun commentaire, la lecture attentive du Code mondial antidopage soulève en revanche quelques interrogations. Ainsi, page 39, l’article 5.2.1 dispose en effet : « Chaque organisation nationale antidopage sera compétente pour les contrôles en compétition et les contrôles hors compétition portant sur les sportifs qui sont citoyens, résidents, titulaires de licence ou membres d’organisations sportives du pays de cette organisation nationale antidopage ou qui sont présents dans ce pays. » Les sept derniers mots de cet alinéa tendent donc a contrario à confirmer la légalité de l’action de l’AFLD. Ils corroborent également ce rappel du docteur Jean-Pierre de Mondenard, encyclopédie vivante s’il en est sur ce sujet : « Il arrive parfois que l’AFLD contrôle des étrangers sur des marathons ou sur le Tour de France. Au nom de quoi le judo échapperait-il à cette règle ? » Pour Majlinda Kelmendi et Martyna Trajdos, la rumeur s’est tue mais la portée des conséquences de leur refus reste aujourd’hui encore à mesurer.

Tous propos recueillis par Anthony Diao
[Développement du 23.06.2016 : suite aux remous suscités par la parution de cet article, la FIJ a adopté une déclaration dans la soirée du 22 juin. Vous pouvez la lire ici.]