Victoires logiques des deux favoris du week-end

C’est l’une des quatre compétitions majeures du judo japonais, avec la Coupe du Kodokan (début novembre), les championnats du Japon (le premier week-end d’avril) et les Zen Nihon féminin et masculin (mi-avril et fin avril). Ca tombe bien l’Esprit du Judo y était.
Compte-rendu de ces championnats universitaires par équipes toute catégorie 2017 avec les victoires attendues de Yamanashi Gakuin chez les filles (qui réalise un quadruplé) et de Tokai chez les garçons (neuvième titre en dix ans). 

Ce qu’il faut savoir

-Cette compétition a toujours lieu le dernier week-end de juin au Budokan. Un lieu emblématique du judo japonais et mondial : construit pour accueillir le judo lors des JO de Tokyo en 1964 et le triomphe annoncé du pays organisateur, c’est un Hollandais, Anton Gessink, qui marque de manière historique l’épreuve en remportant l’or dans la catégorie des lourds. Une salle, dédiée aux arts martiaux, où se déroulera la compétition de judo en 2020.
-Il y a deux compétitions chez les féminines : une par équipe de cinq combattantes et une par équipe de trois combattantes.
Chez les garçons, sept judokas. Cette année, trente-deux équipes chez les filles à cinq, trente chez les filles à trois et soixante-deux chez les garçons.
-Tous les meilleurs mi-lourds ou garçons ont participé ou participent à cette compétition puisqu’ils passent tous par le système universitaire…contrairement aux filles dont les plus prometteuses passent directement du lycée à l’entreprise. Peu de noms connus chez les féminines comme nous le verrons, contrairement aux garçons. 
-C’est la compétition la plus importante, et de loin, lorsqu’on est universitaire au Japon. Dans ce pays où le collectif prime sur l’individu, une victoire par équipe sera beaucoup plus forte symboliquement et donc émotionnellement. 
-Comme presque toutes les compétitions au Japon (la Coupe du Kodokan fait exception), il n’y a pas de repêchage. 
-Trois nouveautés cette année : comme au niveau international, le temps de combat est passé à quatre minutes pour les masculins et le nombre de shido descendu à trois. Changement spécifique au règlement de cet évènement, les filles doivent dorénavant combattre avec des ceintures noires classiques. Rappelons que l’année dernière, une petite révolution (pas du tout du goût de beaucoup de monde selon les échos) avait eu lieu avec l’instauration des judogis bleus. 
-L’ambiance est à découvrir au moins une fois puisque ce sont les étudiants en tribune qui l’assurent avec des chants et des encouragements bruyants et toujours positifs à chaque attaque ou même lors d’une montée de main qui annonce une prise d’initiative. 
-L’arbitrage garde un vrai cachet nippon. Si les règles sont celles de l’IJF, reste qu’il y a toujours trois arbitres sur le tapis. Il y a la vidéo mais celle-ci n’est utilisée que lorsque les trois arbitres ne sont pas d’accord entre eux ou hésitent. L’arbitre du centre va la consulter seule, en discuter avec l’arbitre assesseur si besoin, en réfère aux arbitres de coin puis la décision tombe. Un système, en plus de la qualité intrinsèque des arbitres, qui en ces temps où le recours à la vidéo devient omniprésent est un véritable bor d’air pur. A noter que le match nul (hikiwake) est possible : Deux shidos d’écart avec ou sans marque. 
-En 2016, Yamanashi Gakuin avait remporté l’épreuve féminine avec cinq combattantes, Waseda l’épreuve avec trois judokates et Tokai l’épreuve masculine.

Christa Deguchi, porte-bonheur de Yamanashi

Christa Deguchi. Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Quatrième année, la nippo-canadienne, qui vient de déclarer récemment qu’elle voulait désormais combattre pour le Canada, se l’est à nouveau joué « patronne » ce samedi. Déjà leader de l’équipe en 2016, la vice-championne du monde junior -57kg en 2015 remporte le seul point de la finale qui opposait son université à celle de Tsukuba. Un affrontement franchement pas exaltant avec quatre hikiwake, dont celui de Saki Niizoe. Vainqueur du GC de Tokyo en -70kg à seulement 20 ans, celle qui a découvert seulement cette saison le haut niveau international n’était clairement pas dans un grand jour, contrairement à sa sempai.Car Deguchi a découpé toute la journée. Fer de lance de l’équipe, elle a su à chaque tour mettre son équipe sur orbitre pour atteindre un quatrième titre consécutif. Combattant en première sur le tapis n°2 du Budokan, Deguchi était simplement beaucoup trop forte pour Riho Shibata : un très vif de-ashi-barai pour finir sur une liaison debout-sol. Elle ne le sait pas alors, mais cette judokate qui n’est plus sortie à l’international depuis presque trois ans, remportera l’unique combat de cette finale cadenassée. Pourtant, Tsukuba, coachée par Hirotaka Okada et Takashi Ono, avait les filles pour mettre fin à cette hégémonie avec Mako Uchio (-52kg, vainqueur à Sofia en février) et Megumi Tsugane (-63kg, 5e à Düsseldorf et vainqueur des championnats du Japon). Mais celle-ci rencontrait Niizoe pour une grosse baston pendant laquelle rien n’était marqué. 
En place de 3e on trouve IPU (International Pacific University), l’université du duo Yano-Koga. Battue en demi-finale par Tsukuba (1-0), les filles de l’université de la préfecture d’Okayama n’ont donc pas pu prendre leur revanche de 2016 et une défaite controversée. Autre 3e, l’université qui monte chez les féminines, Ryokoku. 
Dans la compétition à trois, Waseda (l’université de Mikinosuke Kawaishi) fait le doublé grâce à Kiyomi Watanabe (-63kg). Une nippo-philippine qui commence à émerger sur le circuit mondial puisqu’elle finit 3e à Paris et 2e en Autriche.

Aaron Wolf chef de la meute tokaienne

Aaron Wolf. Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Depuis trois ans, il est l’homme des finales de Tokai. En 2015, c’est lui qui est choisi par Agemizu Sensei, le Kantoku (entraîneur en chef), pour défier Takenori Nagase lors d’un combat décisif…qu’il perdra aux pénalités. En 2016, il pique son adversaire au sol alors qu’on le pense sur la défensive pour offrir le troisième point (décisif) à la reconquête du leadership de Tokai sur cette compétition. Quatrième année et capitaine de l’équipe cette année, Aaron Wolf, nippo-américain de 21 ans, a encore assumé son rôle de leader cet après-midi avec un o-uchi-gari très propre qui aurait pu valoir ippon sur Genta Tanaka de Meiji pour le troisième point nécessaire à la victoire. Aaron Wolf, un judoka plutôt petit pour la catégorie des -100kg mais dont on se demande si il n’a pas deux coeurs et trois poumons. Une machine physique avec un sens tactique aiguisé et une technique, pas forcément dans les canons du judo japonais mais variée et performante. Cette saison, il a clairement monté un pallier : 2e à Düsseldorf, vainqueur à Fukuoka et 2e au Zen Nihon, il connaîtra très logiquement sa première sélection mondiale à Budapest. En étant clairement prétendant au titre. Les deux autres points sont apportées par : Hyoga Ota (+100kg), 3e à Tokyo et vainqueur à Rome alors qu’il n’a que 19 ans, qui bat Yusei Ogawa (le fils du quadruple champion du monde) et ses 135 kilos sur un décisif o-uchi-gari. Et Takumi Okuno qui fit monter les pénalités face à un adversaire pas très lucide tactiquement. Une équipe taillée pour la gagne puisqu’elle comptait aussi le prometteur Kokoro Kageura (2e à Tokyo et à Düsseldorf) et le -73kg très accrocheur, Arata Tatsukawa, médaillé à Tokyo. 
Une victoire 3-0 pour Tokai face à une équipe de Meiji pourtant très forte sur la journée. Traditionnelle à sa réputation, cette université présentait une équipe de -100kg/+100kg très homogène. En demi-finale, elle bat dans un affrontement étouffant Nichidai. Car si il y avait une rencontre à sortir du lot ce dimanche, ça serait celle-ci. Du suspens, des surprises, de l’envie, de la tension et beaucoup de moëlle. Un score de parité (2-2) mais deux victoires par ippon pour Meiji contre une par ippon et une par waza-ari pour l’université coachée par le directeur du haut niveau de la fédération japonaise, Jun Konno. Une rencontre qui a vu la surprise puis la clameur du Budokan s’élever lorsque le Bulgare de l’équipe de Nichidai (voir son interview), Daniel Dichev, faisait taper Yusei Ogawa, à qui il rendait au moins quarante kilos, sur un superbe travail, tout en patience, sur juji-gatame. Malheureusement Shoichiro Mukai (-90kg, 3e aux championnats d’Asie), le capitaine de Nichidai est passé complètement à côté de sa demi-finale. Fausses attaques, erreurs tactiques, il prend un troisième shido sur une nième fausse en attaque en makkikomi. 
A noter que les choses sérieuses avaient commencé en 1/8 de finale avec un Kokushikan/Tenri. Une rencontre gagnée 1-0 par la première grâce à sa star, Kentaro Iida. Très serrée, les six premiers combats se finissaient en hikiwake ! Keiji Suzuki avait donc eu du nez en choisissant le vainqueur du tournoi de Paris (qui n’est que junior 2e année !) comme ultime combattant. Un uchi-mata et un de-ashi-barai de la nouvelle perle japonaise des -100kg envoyaient Kokushikan en 1/4 et Tenri dans le bus du retour.

Les informations à retenir

-La stabilité des universités qui tiennent le haut du pavé : Yamanashi Gakuin, Tsukuba, IPU, Ryokoku, Teikyo et Shukutoku pour les féminines.
Tokai, Nichidai, Meiji, Tsukuba, Kokushikan chez les garçons. A un degré moindre on trouve : Kokushikan, Tokai, Toin chez les filles et Tenri, Nittai-Dai, Kinki-dai, Yamanashi Gakuin et Kokugakuin chez les garçons.
-Le retour au premier plan chez les masculins de Meiji. Une équipe très homogène avec des combattants qui ne donnent pas, au premier abord, très envie de leur taper dans le dos après un bon mot ou pendant un randori. 
-La toujours impressionnante densité du niveau national japonais. Ces championnats qui brassent beaucoup de judokas de tout le pays (cette compétition réunissait au bas mot 1000 combattants) dont quelques membres de l’équipe du Japon, donnent à voir un niveau général très solide. Qualité technique, intensité, sens tactique. Une densité qualitative qui force le respect.
-La sérénité (qui peut être parfois pris pour de l’arrogance) dégagée par la team Tokai. L’université de Yasuhiro Yamashita, nouveau président de la fédération japonaise, en est donc à neuf victoires en dix ans ! Une culture de la gagne qui induit une assurance dans sa capacité à rééditer une performance que seul Tsukuba a réussi à enrayer en 2015. Le symbole de ce sentiment de force tranquille ? Son coach, Agemizu Sensei. Parlant très peu, toujours positif, on sent une confiance totale de sa part envers ses étudiants et le travail accompli à l’entraînement. 
-L’arbitrage. Disons-le franchement : quelle bouffée d’air frais que de ne pas voir, durant ce week-end, chaque combat arrêté pour un (et souvent plusieurs) aller-retour entre l’oreillette de l’arbitre et celle des responsables à la vidéo. De l’arbitrage à l’ancienne où la vidéo n’est qu’un ultime appoint, une aide en dernier recours. D’autant plus que les arbitres ont fait montre d’une très grande souplesse en ce qui concerne les mains ou coudes touchant ou attrapant le pantalon adversaire. Seul petit bémol : des sanctions qui tombaient très vite, parfois, trop, pour des sorties alors que les combattants donnaient pourtant l’impression de vouloir revenir très vite à l’intérieur du carré autorisé.