L’image qui frappe, de ces premières heures des championnats du monde par équipes mixtes, c’est une scène d’un premier tour qui intéresse la France puisqu’il décide de son futur adversaire en quart de finale, entre l’Italie et les Pays-Bas. Récente transfuge pour l’Italie après une très prestigieuse carrière néerlandaise et une place sélective olympique obtenue pour son pays d’origine – mais non effective puisqu’elle n’était que n°2 derrière la n°5 mondiale Sanne Van Dijke, Kim Polling défendait en équipe la nation qu’elle venait de rejoindre en quelques jours, contre la nation de ses parents, celle qu’elle venait de quitter depuis aussi peu de temps. Elle gagne son combat contre la désormais n°2 néerlandaise Hilde Jager, et se voit désigner, ironie du sort, pour faire un nouveau combat décisif départageant les deux équipes à égalité. Elle gagne à nouveau. Son équipe manifeste joyeusement, mais pas elle. Elle pleure toutes les larmes de son corps. Sur le papier, il n’est sans doute pas difficile de signer pour un changement de nationalité, et avec les meilleures raisons du monde, puisque son époux est italien. Mais sur le tapis, c’est autre chose. Quant aux décideurs néerlandais qui ont décidé que ce transfert si rapide, juste avant les Jeux, n’était pas un problème, ils auront peut-être révisé leur jugement ce soir.

C’est donc l’Italie – avec cette part de Pays-Bas qu’elle emmène désormais avec elle – qui éprouvait la France sur les quarts de finale. Et c’est la France qui allait se mettre sur la bonne voie d’emblée avec une victoire âpre de Maxime-Gael Ngayap Hambou sur Lorenzo Rigano, un combattant anonyme, mais frais, qui trouvait le moyen de revenir au score sur un bel o-soto-gari, avant d’en subir un pour le compte. Léa Fontaine poussait ensuite à la disqualification Erica Simonetti, une médaillée mondiale juniors et championne d’Europe -23 ans, et Axel Clerget, en guest star souriante, tout en envie et en judo, en faisait de même avec Nicolas Mungai. En -57kg, Priscilla Gneto avait l’occasion d’enfoncer le clou jusqu’à la garde, mais touchée au genou, était elle aussi poussée à la disqualification par Thauany David Cappani Dias, une adversaire de vingt ans. Sur ce tour, c’est Joan-Benjamin Gaba qui livrait le combat décisif, une belle baston saturée de fatigue physique et nerveuse contre Giovanni Esposito, qu’il parvenait à conclure sur un regain d’énergie et de précision par un très beau o-uchi-gari au contact.

Premiers travaux achevés pour la France. De leur côté, la jeune équipe japonaise avait expédié l’Allemagne par 4-0, avec en ouverture un fabuleux soleil en neuf secondes du lourd Abramov sur un sasae à gauche en prise de garde du petit vainqueur japonais du Zen Nihon cette année, Kanta Nakano. L’Allemagne battue ensuite par la redoutable Corée du Sud… mais finalement qualifiée pour le combat de la médaille de bronze un peu plus tard dans la journée pour cause de forfait de l’un des combattants coréens lors de leur quart contre l’Ouzbékistan, ce qui est interdit.

La Géorgie offrait une adversité d’un autre niveau, mais c’était aussi un bon souvenir récent pour les Français, champions d’Europe contre eux par un joli 4-0. Cette fois, cela allait être un peu moins facile. On connaît bien l’enjeu : leurs masculins sont a priori au-dessus de nos combattants, tandis que leurs féminines ne sont pas de taille contre les nôtres. Il faut alors trouver la faille, faire mentir ce principe de base pour l’emporter. En +78kg, Coralie Hayme venait apporter sa contribution en fixant au sol Sophio Somkhishvili, et Guram Tushishivili, point fort de la cohorte géorgienne, faisait respecter la hiérarchie en marquant d’abord un waza-ari rapide à Mathéo Akiana Mongo sur o-soto-gari, avant de le pousser à la disqualification. Le jeune vice champion du monde cadets 2023 faisait néanmoins plaisir à voir en jouant pleinement sa chance au point d’agacer le colosse géorgien, fatigué d’être croisé et secoué. Une bonne impression laissée qui allait lui valoir, comme à Coralie Hayme, son ticket pour la finale.
Un partout, balle au centre, donc. C’était au tour de Faiza Mokdar de « faire respecter la logique », ce qu’elle parvenait à faire d’un renversement au sol propre au bout de la première minute contre la jeune Nino Loladze, dix-neuf ans, finaliste aux championnats d’Europe -23 ans en 2023. On pouvait espérer arracher le résultat au combat suivant qui opposait en -73kg notre meilleur représentant, Joan-Benjamin Gaba, au numéro trois géorgien, mais finaliste du Grand Chelem de Paris tout de même cette année, Georgi Chikhelidze. Malheureusement, notre Français était pris dans un ko-soto-gari au corps-à-corps dès les premières secondes. Tout était à refaire, et on peut généralement compter sur Margaux Pinot pour ça. Elle prenait l’une des féminines prometteuse de l’équipe géorgienne, Eter Askhilashvili, une -63kg de vingt ans, qui ne résistait pas plus de deux minutes et sortait sur un ko-uchi enchaîné en seoi-nage pour waza-ari, puis un bel enchaînement en juji-gatame sur la séquence suivante.

Coach d’Axel Clerget par le passé, Christophe Massina échange un sourire complice avec le doyen de cette équipe de France de nouveau vice championne du monde. Crédit photo : Emmanuel Charlot / L’Esprit du Judo

Il restait un combat à faire avant un éventuel tirage au sort très aléatoire pour refaire un combat décisif. C’était au tour de la France, qui menait d’un point, de tenter d’en chiper à la Géorgie sur ses points forts. Mais c’est Axel Clerget qui était appelé côté France, une valeur sûre, tandis que la Géorgie avait décidé de faire confiance à Luka Babutsidze, son jeune médaillé européen juniors -81kg de vingt ans, tout récemment passé dans la catégorie supérieure. Une prise de risque qui allait permettre à la France de s’engouffrer dans la brèche en suivant le Capitaine Clerget. Le jeune Luka n’avait guère l’occasion de faire briller le style géorgien, embarqué qu’il était dans les yoko-sutemi enchaînés du diable de Sucy. Au bout de deux minutes, le Français plaçait les mains, renversait le minot géorgien et obtenait à la fois le osae-komi et l’étranglement quelques secondes plus tard. Avec un grand sourire, il pouvait se tourner vers son groupe qu’il envoyait en finale. Le Japon – vainqueur par 4-1 de l’Ouzbékistan – n’avait qu’à bien se tenir.

Deux médailles de bronze qui revenaient à l’Europe, aux deux victimes de la France plus précisément, l’Italie et la Géorgie, qui dominaient respectivement l’Ouzbékistan (4-2) et l’Allemagne (4-1).

Si la France a emporté contre le Japon, tout le monde s’en souvient, la première compétition par équipes de l’histoire du judo aux Jeux – c’était à Tokyo il y a trois ans de cela, le Japon a en revanche réussit toutes les levées aux championnats du monde, soit les sept depuis 2017, dont les six dernières fois contre la France. Ce très jeune groupe nippon, composé essentiellement de champions du monde juniors 2023, allait-il être de taille à relever le défi d’une furia francese qui s’appuyait sur une Margaux Pinot tout terrain, un Axel Clerget des bons jours et tout de même le sélectionnés olympiques en -73kg ?
Le premier combat allait situer les choses entre deux lourds bien différents dans le style, dont le plus jeune était français. Kanta Nakano, qui, après un premier tour virtuose, avait aussi fait un superbe vol plané sur un arraché de face de l’Ouzbek Turoboyev, allait-il pouvoir placer une technique à Mathéo Akiano Mongo, ou celui-ci allait-il le faire tourner en bourrique avec des gardes croisées et des décalages opportuns ? C’est le jeune Français qui menait le mieux sa barque en réussissant à faire pénaliser pour sortie de tapis son adversaire dès les premières secondes. Il sortait aussi joliment d’une forte attaque en uchi-mata qui partait pour être définitive. Dans la deuxième minute, le Japonais se retrouvait mené de deux pénalités pour avoir défendu de la main une posture haute de son adversaire encore en position de projeter. La rébellion était lancée. Dans la séquence suivante, cherchant à en finir, Nakano partait au corps-à-corps et, échauffé par son démarrage, Akiano Mongo lançait le bras haut en garde classique et un vaillant o-uchi-gari… erreur à ne pas commettre ! Immédiatement, le petit combattant nippon qui n’en attendait pas tant le sanctionnait d’un ura-nage pour waza-ari… non sans que la table ne s’interroge sur à qui appartenait l’action. Menant d’un waza-ari qui avait failli être retourné, fatigué d’être poussé, tiré, mis en danger par ce mobile et dynamique jeune poids lourd, Kanta Nakano allait décider que la blague avait assez duré. Il assurait une saisie à la ceinture pour l’empêcher de s’échapper et lancer un classique et fiable o-uchi-gari-ken-ken.

La jeune équipe du Japon a permis au Pays du Soleil Levant de rester, pour encore une année, l’unique vainqueur de cette formule par équipes mixtes. Crédit photo : Paco Lozano / L’Esprit du Judo

La victoire s’échappait ainsi que le parfum d’exploit qui avait flotté sur cette finale. Comme le dira plus tard Baptiste Leroy, à la fois satisfait de la prestation de son jeune combattant et frustré qu’il ne soit pas allé jusqu’au bout avec les consignes. « Sans lui faire de reproche, c’est sur le premier combat de Mathéo que cela se joue. » La suite allait en effet consacrer la supériorité technique de la nippone armada. Faiza Mokdar se montrait dangereuse contre la nouvelle médaillée mondiale de la catégorie Momo Tamaoki, revenant même à deux pénalités partout après avoir concédé les deux premières. Mais dans la deuxième minute du golden score, elle finissait par se faire attraper le genou par le ashi-guruma à tête chercheuse de la Japonaise. Et Joan-Benjamin Gaba ne résistait que trente secondes au petit frère du Ryoma Tanaka, champion du monde des -66kg, Ryuga, dix-neuf ans, et un o-uchi-gari aussi féroce que celui de son frangin. Cela faisait déjà trois points du côté nippon malgré la belle résistance française. Bien sûr, il y avait Margaux. Elle allait réussir une prestation encore remarquable, en repoussant les envies de revanche de Shiho Tanaka, sa plus dangereuse adversaire dans la compétition individuelle. Après avoir échappé à une tentative de ko-soto-gari que la table ne jugeait pas assez claire, elle allait se montrer aussi lucide que patiente pour l’emporter aux pénalités au bout de six minutes, et l’erreur de Tanaka sur une fausse attaque moins bien réussie que les autres dans la bataille de qui fera pénaliser l’adversaire.

Il restait alors Axel Clerget pour continuer à rêver, justement l’une de ses spécialités. L’affiche était plaisante : d’un côté Axel Clerget, trente-sept ans et deux médailles mondiales, de l’autre Komei Kawabata, dix-huit ans et deux titres mondiaux juniors l’année dernière, en individuel et par équipes, avec une victoire, déjà, contre la France en finale. « J’ai connu le Japon avant lui », en plaisantait le Français, se remémorant ses premiers stages là-bas au-début des années 2000. Dix-neuf ans d’écart entre les deux combattants ! Une génération.
C’est la jeunesse qui jouait sa carte d’entrée avec une forte attaque en eri-seoi-nage dès la première prise de garde pour un waza-ari. Il allait falloir tenir et, sous la pression, le tout jeune homme lâchait une puis deux pénalités alors qu’il restait encore une minute trente. Mais sans s’affoler, en se positionnant bien et en faisant pression avec son corps pour repousser le Français et l’empêcher de tout lâcher, Kawabata assumait le combat et le concluait même sur un enchaînement princier tout en sobriété, ko-uchi-gari à gauche pour feinter et sode-tsuri-komi-goshi à droite pour un second waza-ari. Cette fois, c’était fini. Fini pour la médaille d’or toujours inaccessible, fini aussi sans doute pour Axel Clerget dont toute l’attitude démontrait qu’il avait conscience que ce serait les derniers pour lui, même si il était plus prudent dans sa prise de parole.
La France avait fait passer un bon baptême du feu à ce groupe japonais promis à un bel avenir, en plus de leur présent actuel, champion du monde par équipes juniors en 2023, et seniors l’année suivante avec à peine quelques renforts plus vieux pour les épauler. Un choix audacieux et payant de l’encadrement japonais. Le verdict du « coach » Massina était lapidaire. « On s’est fait ouvrir », n’hésitait-il pas à répondre aux premiers journalistes à ses côtés. Quatre à un, c’est vrai, face à un groupe jeune, mais une belle finale aussi où chacun avait donné le maximum pour permettre de faire rêver tous les autres. Pour cette fois, le rêve a pris fin, mais la flamme olympique est désormais allumée et embrase à son rythme les régions françaises. Désormais, c’est de l’or olympique par équipes qu’il est permis de rêver, avec le souvenir de cette magnifique victoire de Tokyo. Quant à la revanche mondiale contre le Japon, après cette sixième défaite en finale d’affilée, ce sera l’année prochaine à Budapest. Le vent finira par tourner.