Ce qui nous a plu / Ce qui ne nous a pas plu ce jeudi 27 août

Clarisse Agbegnenou, troisisème finale mondiale successive, ça nous a plu ! – Emmanuel Charlot / L’Esprit du Judo

CE QUI NOUS A PLU
1- Deux finales françaises

Enfin ! On avait déjà tout dit sur la frustration engendrée par les insuffisances des uns, la malchance des autres, lesquelles revenaient au même point fixe : une seule médaille française pour les six catégories légères, pas de finale, pas d’or. Expérience oblige, on avait aussi dit qu’il fallait attendre avant de faire de sombres bilans, car il n’est rien de plus facile à bouleverser qu’un point de vue négatif sur une équipe et sa préparation : il suffit que le combattant du jour l’emporte et les échecs d’avant sont oubliés. Au premier soir, certains décrétaient même déjà l’irrémédiable déclin du Japon. Deux jours plus tard, il est assez clair qu’ils se sont un peu précipités dans leur jugement. Merci donc à Clarisse Agbegnenou et à Loïc Pietri d’avoir suivi la direction indiquée la veille par Automne Pavia, et même un peu mieux en assurant avec autorité leur demi-finale, apportant deux médailles de plus à l’équipe de France, ce qui fait trois. Trois c’est mieux que une, c’est mieux que rien. La France est en retard sur son tableau de marche, c’est sûr. L’année dernière en Russie, nous en étions à quatre dont une d’or (celle de Clarisse Agbegnenou), il y a deux ans à Rio, à cinq dont une d’or (celle de Loïc Pietri). Il faudra donc, pour rester à la hauteur de ces belles années, que la France gagne de l’or dans l’une des catégories qui restent – en plus de l’or de Teddy Riner (un proverbe dit qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours, mais on va quand même la considérer cette fois encore comme acquise…) -, ce qu’elle n’a pas fait depuis les championnats du monde à Paris, en 2011. Avec les Emane, Posvite, Tcheuméo et Andéol, les Iddir et les Maret, ce n’est pas mission impossible de rajouter le titre « manquant ».

2- L’état d’esprit d’Agbegnenou et de Pietri, trois fois médaillés mondiaux en trois ans

On l’avait trouvée un peu en dedans, comme le reste de l’équipe de France à Bakou, elle a rassuré ici sur sa capacité à revenir à fond sur les grands événements. Toute la journée (ou presque) elle a été irrésistible, prenant une à une ses plus fortes adversaires, la Japonaise Miku Tashiro, expédiée sur son harai-makikomi perforant, Yarden Gerbi, la double finaliste mondiale (et championne en 2013), finalement clouée sur le dos au golden score par un remarquable o-uchi-gari. Absente des Jeux 2012, Agbegnenou occupe le terrain depuis, en s’offrant sa troisième finale mondiale d’affilée. Si il lui arrive de douter, cela ne se voit guère. Elle va au combat dans son style bien à elle, constamment efficace, et elle sait tirer les leçons de ses rares échecs, travaillant à combler ses éventuels points faibles. On la voit par exemple aller de plus en plus souvent au sol, ce qui n’était pas, jusqu’à présent, sa tasse de thé. Si elle a perdu aujourd’hui son dernier duel, il n’y a pas de doute sur sa capacité à en faire un moteur et à être dans quelques mois la favorite numéro un pour les Jeux olympiques.
La trajectoire de Loïc Pietri est remarquablement similaire. Absent des Jeux 2012, il a depuis pris du volume, gagnant le titre mondial 2013, une nouvelle médaille en 2014. Sans faillir en 2015, il s’est offert lui aussi une nouvelle finale. Trois podiums mondiaux successifs, le voilà qui entre encore un peu plus dans le panthéon des grands champions masculins de l’histoire du judo français, désormais dans le sillage des Larbi Benboudaoud, Stéphane Traineau ou Marc Alexandre. « L’année dernière, j’étais resté sur le travail foncier de l’année précédente et je l’avais payé en déclinant progressivement au fil des mois. Cette fois j’ai voulu faire un très gros foncier, moins pour cette année que pour l’année prochaine et les Jeux. J’aime la préparation physique et j’en ai besoin, même si c’est rarement sous une barre. J’en avais discuté avec l’encadrement national et je les avais prévenus que je serai moins bien cette année. À Bakou j’étais vraiment mal, là c’était mieux, même si je manquais encore de spécifique judo ». Morceaux choisis d’une conversation avec le médaillé du jour, de retour vers son hôtel. Effectivement, il était mieux ! L’Iranien mystifié en deux coups de cuillère à pot, le jeune Grec Ntanatsidis, menant au score, craquant sous la puissance de sa pression… à une seconde de la fin, le Brésilien Penalber, pourtant excellent toute la journée, rendu totalement impuissant à réagir, et même le grand Canadien Valois-Fortier, si éprouvant pour Loiïc Pietri aux championnats du monde l’année dernière, pris sur les mains et très proprement jeté par deux fois sur le dos. Sa marge sur les autres est revenue, et largement.

3- Que cela ne se passe pas comme prévu en finale

Les photographes se préparent dans une atmosphère de silence bruissant, la tribune de presse s’affaire avec le sourire. Il y a deux Français en finale ! « Qui est ce Japonais, il est fort ? » demandent les néophytes, quêtant l’information. La plupart ont déjà vérifié son curriculum, fait l’analyse qu’il est 11e mondial et n’a encore rien prouvé dans les grands événements, même si « il est capable de battre tout le monde », Loïc Pietri y compris, ce qu’il a d’ailleurs fait par deux fois, Loic gagnant le combat qui compte en 2014, celui des championnats du monde. D’ailleurs, il a été impressionnant dans les premiers tours, mais à partir des quarts, il s’est beaucoup appuyé sur les pénalités… Seulement voilà, après une première minute plutôt positive, alors que le Français se trouve au sol en position défensive, le Japonais nonchalant se précipite soudain sur son bras faisant sauter le double verrouillage pour installer en deux impulsions un sankaku-osae-komi décisif. « J’ai été trop confiant sur ma défense. Je ne pensais pas qu’il redoublerait après avoir échoué une première fois dans son renversement. En plus, je tiens son pied avec la main et ça empêche la progression d’habitude, mais lui il est élastique. J’ai fait une erreur ». Une erreur, un titre qui s’en va… c’est le judo.
Quant à Clarisse Agbegnenou, c’est à peine si le sujet était abordé tant sa supériorité paraissait manifeste, sa victoire déjà inscrite dans les livres, après la démonstration du jour et les corrections infligées aux meilleures. Trstensjak, la Slovène ? Une fille de 25 ans, n°1 mondiale tout de même, en progression manifeste en tournoi, mais trois fois battue par Clarisse en 2014. Bien sûr, leur dernière rencontre avait vu la victoire de la Slovène, mais c’était sur ue compétition de reprise pour la toute nouvelle championne du monde française… Tout le monde s’installe pour le spectacle, déjà prêt à honorer la première Marseillaise, mais la confiance fait place à la stupeur tout au long du combat. La Française est active, mais ne parvient pas à « cibler » son opposante, laquelle a dû rêver de cette finale pendant des mois, et de ce qu’elle allait pouvoir en faire. Elle ne doute pas une seconde, posant sa main droite au revers pour attaquer dans la montée de main de l’explosive championne française, par ippon-seoi-nage, ippon/o-soto ou une technique arrière dans les jambes. Chaque fois que Clarisse Agbegnenou se lance vers elle en projetant le bras et la jambe d’attaque en même temps, elle tourne, elle anticipe… et ça marche. Ça marche tellement bien qu’elle la surclasse sur ce combat, l’empêchant de réfléchir, de trouver ses marques et une réponse, marquant waza-ari sur o-soto-gari, puis encore un yuko. Un rêve slovène réalisé.
Deux défaites françaises… On aurait pu placer ce récit sous la bannière « ce qui ne nous a pas plu », mais cela aurait été trop facile. Car les deux Français n’ont pas tremblé sur leurs jambes, ils ont combattu et se sont fait prendre au jeu de leur adversaire. Les combats étaient beaux, et à l’honneur des vainqueurs et des vaincus. Nagase, Trstensjak, avaient perdu l’année dernière des combats décisifs. Ils ont travaillé pour surprendre en 2015 et réussissent leur beau pari. On les retrouvera à Rio en 2016 avec un nouveau statut, un nouveau regard porté sur eux. Ils l’ont mérité. La joie de la victoire, la frustration de la défaite, la reconnaissance du vainqueur, le fait que rien ne soit jamais joué à l’avance et tant pis pour celui qui ne force pas le destin… On aime. C’est le judo.

CE QUI NE NOUS A PAS PLU
1- La douteuse défaite de Kim Jae-Bum

On était content de le revoir, et on anticipait sa rencontre avec Loïc Piétri, qui l’attend depuis longtemps. Au lieu de cela, le champion coréen de la génération précédente (médaillé olympique et mondial 2008 et 2009, champion du monde 2010 et 2011, champion olympique 2012) a été sorti de bien triste façon sur une action confuse où la vidéo, comme souvent, n’a rien réglé. Son adversaire portugais Carlos Luz lance un petit ko-soto-gari. Le champion coréen en profite pour surpasser en yoko-tomoe-nage. L’arbitre donne ippon contre lui, la vidéo suit alors que les images de la réalisation qui passent en boucle sur l’écran, plus précises, laissent un gros doute dans l’esprit d’une partie des observateurs. Sorti de sa carrière sur une erreur d’arbitrage ? Ce serait dommage, mais c’est peut-être le cas. Kim restait de longues minutes sur le tapis, les yeux vers la table et dans le vague. Il n’y avait plus moyen pour lui de convaincre qu’il avait pris l’action à son compte, ni surtout de revenir en arrière et de ne pas prendre ce risque. C’est souvent comme cela que finit une grande carrière, un geste moins « intelligent » qu’à l’habitude, des sensations qui nous perdent au lieu de nous aider à vaincre. Cette fois, le funambule est tombé de la corde. Il n’est pas dit que nous le revoyons sur un grand championnat.
La Corée avait doublé la catégorie avec la présence de Lee Seung-Su. Il fait une excellente impression, mais ne finit « que » 5e. Pas de nouvelle médaille aujourd’hui pour le Pays du Matin Calme, toujours troisième nation derrière les Kazakhs qui gardent encore leur avantage du premier jour, loin derrière un Japon de plus en plus écrasant avec quatre titres pour six finales et déjà neuf médailles. La France ? 6e nation avec ses trois médailles.

2- Que Loïc Pietri confirme nos doutes sur la dynamique actuelle de l’arbitrage…

Au détour de la conversation, de façon très factuelle. « Je trouve que ce système ne favorise pas le judo. Même moi, alors que je suis un attaquant et que je ne sais pas bien défendre, quand j’ai marqué, je commence à protéger mon avantage ». Si les combattants le disent, c’est que cela doit être vrai.
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