Elle éclipse son compatriote Hifumi Abe

Bien sûr, il y a le Japon. Bien sûr il y a le formidable Hifumi Abe. Mais aujourd’hui la performance la plus belle, la plus impressionnante sur un certain plan, et celle de la -52kg Ai Shishime.

Le -66kg Hifumi Abe est tellement fort qu’il a écoeuré des adversaires aussi coriaces que l’Ukrainien Zantaraia, ancien champion du monde et champion d’Europe en titre, et en finale le Russe Pulyaev, désormais trois fois finaliste mondial, tous les deux satellisés et reposés doucement sur le tapis comme des minimes faisant randori avec un international, et presque découragés avant le terme par leur propre impuissance dans le combat. Une performance qui laisse sans voix. Mais c’est aussi le parcours d’un vainqueur annoncé. Ai Shishime est arrivée sur ce championnat du monde non pas en n°2, mais en n°3 japonaise si l’on peut dire, puisqu’elle est battue au Grand Chelem de Tokyo cet hiver par Natsumi Tsunoda, qui l’accompagnait en finale ici… mais aussi à Düsseldorf par Uta Abe, la petite sœur d’Hifumi, qui n’a que 16 ans. Elle s’est refaite en battant les deux au championnat du Japon. Qui choisir ? En sélectionnant cette jeune femme de 23 ans, double championne d’Asie 2016 et 2017 plutôt que l’étincelante cadette, l’encadrement japonais ne s’est pas trompé. Elle n’avait jamais rencontré la championne olympique Majlinda Kelmendi, celle dont on pensait qu’elle ne pouvait pas être battue sur ce championnat du monde, et notamment pas par Natsumi Tsunoda, vaincue en finale à Paris. Mais dans sa demi-finale contre elle, Ai Shishime allait être exceptionnelle. Harcelée par les montées de bras de la musculeuse kosovare, la Japonaise restait concentrée jusqu’au bout sur sa mission : contrôler la descente (assez rapide et lourde pour assommer un bœuf) du bras gauche de son adversaire avant d’installer sa propre main gauche. Elle ne lâchait rien, tentant de mettre des vibrations judo dès qu’elle en avait l’occasion dans la structure implacable du bras de fer proposé par Kelmendi, qui ne levait pas le pied non plus, invariablement féroce et surpuissante. Mais après trois, quatre, puis cinq minutes de golden score, on a pu voir le visage habituellement si confiant de Kelmendi changer, se tournant de plus en plus fréquemment vers son coin, et c’est la Japonaise qui  a alors pris le dessus dans le rythme… Déstabilisée techniquement et mentalement, la championne olympique finissait par se faire contrer une attaque de hanche.
Shishime allait-elle perdre le bénéfice de ce formidable exploit en se faisant battre en finale par sa compatriote ? Le judo à base de sutemi et d’enchaînements au sol de Tsunoda s’était montré redoutable toute la journée. Mais c’est un radieux uchi-mata qui accomplissait le destin d’Ai, quelques minutes après l’effondrement de Majlinda, sonnée par sa défaite, et battue à nouveau par l’une de ses plus dangereuses adversaires, la Brésilienne Miranda. Pas de podium pour l’invincible. 

Japon, le meilleur départ de l’histoire

Aujourd’hui, le Japon a donc comme hier gagné les deux titres, ce qui porte à quatre le nombre de médailles qu’il a engrangées sur les quatre premières catégories… ce qui est tout simplement son meilleur départ historique depuis que les championnats masculins et féminins sont organisés conjointement. Surtout, il donne une impression de maîtrise de la situation incroyable de l’événement lui-même en plaçant sur la plus haute marche des outsiders, et en confirmant là où il était attendu. Hifumi Abe a vingt ans depuis trois semaines, il en aura tout juste vingt-trois au moment d’aborder les Jeux de Tokyo en 2020. On aura le temps de reparler de ce « monstre », et de sa petite sœur Uta dans les années à venir. En attendant, c’est le jour de gloire, bien mérité, d’Ai Shishime. 

La Russie, deux médailles

Face au Japon, il ne reste plus beaucoup de place pour montrer quelque chose. Avec deux médailles, en argent et en bronze, la Russie y parvient à peu près. La Géorgie et Israël font briller deux jeunes tempéraments, les costauds Vazha Margvelashvili, à deux doigts de marquer waza-ari à Abe, et Tal Flicker, vainqueur de Zantaraya.
La France n’y parvient pas. Egal à lui-même, Kilian Le Blouch tire le meilleur de ses moyens, usant le Canadien, exaspérant le Brésilien, mais finalement projeté par l’Ukrainien qui en a vu d’autres. C’était bien, mais comme il le dit lui-même, ce n’est pas suffisant pour le niveau du bloc final. Amandine Buchard était attendue là, elle n’a pas pu, prise d’entrée par le bras fort de Kelmendi, et découragée par l’expérience de la Russe Kuzyutina et le coaching au cordeau de Jean-Pierre Gibert. Une journée où elle ne trouva pas de supplément d’âme, les ressources pour surmonter les obstacles entre elle et le rêve doré. La partie était presque injouable contre deux des meilleures, mais on aurait voulu espérer un peu plus avec elle. On la voit plus haute que ça.

Quand on ne voit pas les arbitres… c’est mieux !

Et finalement, l’arbitrage ? Dans une journée bien meilleure sur le plan du judo, ce fut frappant aujourd’hui de voir comment la règle actuelle peut produire à la fois le pire et le meilleur. Le pire, c’est quand, comme toujours, les pénalités tombent sans raison, trop vite, obligeant les combattants à faire semblant, parce que la disqualification est là, comme un couperet. C’est quand, comme ce fut le cas des grands combats d’hier, entre la Mongole Munkhbat et la Japonaise Kondo, et d’aujourd’hui entre l’Italien Basile et le Coréen An au deuxième tour, l’arbitre décide finalement du vainqueur. Le meilleur, c’est quand l’arbitre (et la table) renonce à se montrer, c’est quand on laisse les combattants aller au bout d’eux-mêmes et trouver la solution. C’était parfait entre le Coréen et l’Italien jusqu’à la décision inopportune, ce fut parfait jusqu’au bout entre Kelmendi et Shishime. A suivre et à confirmer.

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