Quatre médailles nippones ce lundi, dont deux titres

Deuxième journée au Nippon Budokan de Tokyo, de laquelle on retiendra la déception d’une cinquième place (la seconde après Mélanie Clément hier) pour Amandine Buchard, la défaite au deuxième tour de Kilian Le Blouch, le doublé japonais avec les incroyables Uta Abe et Joshiro Maruyama. Quatre médailles pour le Pays du Soleil-Levant aujourd’hui, un pays hôte qui se reprend parfaitement après une première journée en demi-teinte.
Une journée fabuleuse de judo avec des blocs finaux monumentaux.

Buchard rate le coche

Avec Uta Abe, Majlinda Kelmendi et Ai Shishime dans l’autre demi-tableau, une saison passée sur tous les podiums des compétitions pour lesquelles elle avait été engagée, avec à la clé une place de n°1 mondiale, une demi-finale possible contre la Belge Charline Van Snick, qu’elle avait battue au Masters 2018, ou Natalia Kuziutina, contre qui elle a perdu quatre fois, qui a fini vice-championne d’Europe à Minsk, mais qui a désormais trente ans et qui était surtout, et de loin, la combattante la plus accessible pour rejoindre la finale mondiale. En clair, toutes les étoiles étaient alignées pour la Française, comme aurait dit le DTN Jean-Claude Senaud. Bien rentrée dans son combat, la Française voyait sa concentration peu à peu s’éparpiller au bout des deux minutes sans pouvoir se reprendre et se faisait contrer sur un yoko-guruma au golden score. Énorme désillusion… Il fallait se remotiver pour aller chercher une seconde médaille mondiale de bronze consécutive, mais contre la Japonaise Ai Shishime, sortie aux pénalités devant la terrible Kelmendi. Une rencontre rapidement prise en mains par son adversaire qui plaçait un morote inversé puis concluait quelques séquences après sur un retournement à la « Akimoto », irrésistible. Pas de récompense donc pour la Campinoise dans une catégorie où les quatre médaillées semblent, au moins pour l’instant, tout simplement plus fortes que la Française.
Côté masculin, Kilian Le Blouch, dans son style, passe le Saoudien Albashi au premier tour en faisant monter inexorablement les pénalités. Les choses sérieuses arrivent dès le tour suivant avec l’Ouzbek Nurillaev. Combat engagé, acharné, le Français mène de deux pénalités à une lorsqu’au golden score Le Blouch lance un uchi-mata, tombe sur les genoux. Son adversaire passe dans son dos pour mettre le Tricolore sur la tranche. Waza-ari annoncé par l’arbitre alors que l’impact au sol, la reprise d’initiative et la projection sont loin d’être évidents. Le Français est l’une des victimes d’un effet de plus en plus évident des choix d’arbitrage qui donne une prime claire aux contres. En effet, il est bien dangereux d’attaquer quand la moindre erreur de placement sera exploitée par l’adversaire qui aura l’autorisation de tout tenter pour vous obliger à toucher le sol avec le flanc ou une épaule, en poussant ou en tirant de toutes ses forces, quitte à traverser le tapis. Loin du judo originel… Comme on l’écrivait hier, les derniers championnats du monde avant les JO servent de révélateurs des effets pervers des directions prises par l’arbitrage mondial. On y est.

Uta Abe stratosphérique

Si hier avait laissé une impression mitigée quant au spectacle proposé, ce lundi a atteint les cîmes avec un niveau, lors du bloc final, tout simplement exceptionnel. Une journée inoubliable.
En -52kg, le premier Everest fut la demi-finale Abe/Kelmendi. Un combat arbitré par le même homme en noir que le quart de finale Kelmendi/Shishime, le Dominicain Orlando Cruz. Une rencontre qui avait vu la Kosovare s’imposer aux pénalités sans convaincre, avec un judo de plus en plus rare chez la championne olympique, mais qui passait grâce à une troisième sanction contre Shishime pour refus de donner la manche. Lors de cette demi-finale très tactique, Uta Abe se faisait elle aussi sévèrement sanctionner deux fois pour ces mêmes raisons, sans que l’on puisse vraiment remarquer qu’Abe protégeait outrageusement sa manche gauche, et à coup sûr pas plus que Kelmendi avec son bras droit. Pour la jeune Abe, 18 ans, il fallait faire face à l’impact physique hors du commun de la Kosovare, gérer la mansuétude arbitrale dont elle est régulièrement l’objet, tout en faisant face à « l’engin ». Mais cette fille est bluffante. Des deux Abe, ne cherchez pas qui est le plus fort, c’est elle ! Bien en rythme, elle libérait habilement son épaule, attaquait avec force et tenait le choc du très lourd bras gauche de Kelmendi, qui descend de plus en plus nettement comme un « atémi » sur l’épaule adverse. Bousculée, Kelmendi a commencé à baisser de pied et offrit à Abe une ouverture en ne-waza que la Japonaise cherchait depuis le début du combat. Ficelage du bras et rotation, sortie de jambe rapide et ippon pour la Nippone face à une Kelmendi transpercée par cette vista. Le ne-waza ? Le seul domaine où on disait l’étudiante de Nittai Dai perfectible, elle qui avait perdu son dernier combat – c’était au Grand Chelem de Tokyo 2016 – au sol, contre sa compatriote Natsumi Tsunoda. Un « retard » qu’Abe a très vite comblé puisqu’elle s’avère désormais depuis plusieurs mois aussi redoutable au sol que debout. Très forte, Abe l’aura été aussi tactiquement, restant d’une concentration extrême sur chaque séquence, sans aucune baisse de régime physique.
En finale, elle exécutera Natalia Kuziutina sur un sode debout au bout de trente secondes en finale. Voilà donc Uta Abe championne du monde juniors 2017, double championne du monde seniors 2018 et 2019, et invaincue depuis presque trois ans à seulement 19 ans ! Tout simplement phénoménal.

Maruyama en pleine lumière

Chez les garçons, beaucoup d’observateurs et d’amateurs, y compris au Japon, n’avaient d’yeux chez les -66kg que pour Hifumi Abe, le frère aîné de. Double champion du monde 2017 et 2018, ce dernier avait déboulé comme un kamehameha (la boule de feu de Sangoku dans le manga Dragon Ball) sur le circuit mondial. Étudiant de Nittai Dai et futur membre de l’équipe Park 24 Times (l’un des principaux sponsors de ce championnats du monde), déjà sponsorisé par une banque (cas exceptionnel au Japon pour un étudiant-judoka), Abe, devenu un phénomène au Japon, jouit d’une popularité au sein du judo et et des médias rare et exceptionnelle. Le chouchou des médias (qui commence à agacer au sein de l’équipe pour son comportement de star), a pourtant sans doute perdu gros ce lundi. La faute à un judoka, japonais lui aussi, moins dans la lumière que son cadet mais déjà au-dessus depuis un an, ce que savent les bons observateurs de la catégorie. Son nom ? Joshiro Maruyama. Un « Tenri Boy » avec toutes les caractéristiques du genre : une posture et un gainage exceptionnels, un kumikata classique et ultra-efficace, un tokui-waza ravageur avec un uchi-mata à la percussion phénoménale et une attitude tout en calme qui ne masque pas une confiance absolue en ses qualités inaltérables. Vainqueur cette saison au Grand Chelem d’Osaka, en battant en finale un certain Hifumi Abe, au Masters et à Düsseldorf,  Maruyama, 26 ans, a réitéré sa performance des championnats du Japon (début avril) face à son compatriote, dans une demi-finale qui faisait office de deuxième sommet de la journée. Un K2 en quelque sorte. Les deux Japonais de la catégorie avaient été intransigeants toute la journée en accumulant les projections majuscules. Abe entamait leur face-à-face comme un duel au bâton, malmenant Maruyama et même le blessant aux doigts puis au genou droit après un tsuri-komi-goshi debout de folie. Le gaucher de Tenri semblait un moment presque incapable de poursuivre (ce dernier semblait déjà souffrir du genou droit depuis le début de la journée selon nos informations), se faisait sanctionner de deux pénalités, boîtait pendant deux minutes et avait du mal à fermer sa main gauche. Cette fois, le « puncheur » Abe allait repasser devant au moment décisif… Mais, comme à Fukuoka il y a quelques mois, Maruyama revenait peu à peu dans le combat, soulevant plusieurs fois Abe sur sa cuisse gauche, avant, comme lors de la finale du championnat national, de placer une technique de côté, un uki-waza, pour dérouler l’étudiant de Nittai qui en hurlait de frustration dans l’action. Un combat incroyable, qui marquera les mémoires, dans lequel le judoka de l’entreprise Miki House aura dompté, pour la troisième fois cette saison, un Abe qui ne trouve désormais plus la solution face à lui. Malgré ses deux shidos de retard et son déficit physique, Maruyama a su rester imperturbable dans son schéma, sans trembler, sûr de trouver la solution dans ce duel aux couteaux. Fort. En finale, il ne fit qu’une bouchée de l’inattendu Coréen Kim avec un koshi-guruma à gauche à montrer dans tous les dojos. Un judoka du pays du Matin-Calme auteur pourtant d’une journée des plus solides avec une victoire convaincante face au Géorgien Margvelashvili ou face à la sensation de cette saison dans cette catégorie, le Moldave Vieru. Une catégorie des -66kg qui offre le bronze à Hifumi Abe face à l’Italien Manuel Lombardo, champion du monde juniors 2018 et qui avait déjà battu sèchement le Japonais à Paris. Un combat que le Transalpin pensait bien (sans doute à juste titre) avoir gagné sur un yoko-guruma après esquive d’un seoi-nage, finalement annulé par la table. Pourquoi ? Personne dans la salle ne le savait, tout le monde ayant vu cette fois le Japonais battu, à commencer par Abe lui-même qui parlait dans l’oreille de son adversaire au moment de l’accolade. Abe qui sortira de l’ère de combat en pleurant, sans doute conscient que sans doute beaucoup s’était joué cet après-midi pour les JO l’année prochaine.
L’autre médaillé de bronze va à l’un de nos chouchous de cette saison, le Moldave Vieru justement. Un physique pas franchement impressionnant, un judo d’une élégance classique qui détonne, tout en relâchement et en facilité au point qu’on a l’impression de le voir faire randori, cette ancien médaillé européen juniors 2015 (l’année où Khyar avait gagné) est franchement emballant. Confusions, redoublements, à droite, à gauche… Un vrai régal pour les amateurs et une médaille de bronze méritée pour le vainqueur du tournoi de Paris cette année (sur un tai-otoshi qui avait fait sensation). Du beau linge dans cette catégorie.

Le Japon prend les devants

Avec ses deux titres et ses deux médailles de bronze, le pays organisateur est désormais lancé. Le Japon compte déjà six médailles. L’Ukraine et la Géorgie suivent toujours, avec les titres de Bilodid et Chkhvimiani hier. Le Kosovo est à deux médailles de bronze grâce à ses féminines. Après deux jours, la France est toujours sans médaille. En retard par rapport à 2018 (et 2014) mais, en 2015 et 2017, nous en étions au même point. Demain sera tout de même une journée importante pour ne pas décrocher par rapport aux « temps de passage » des années précédentes.