Quatrième sacre pour Agbegnenou, premier titre pour Muki

Avec l’entrée en lice de Clarisse Agbegnenou, double championne du monde en titre, l’hypothèse de voir le compteur français se débloquer était plus grande que jamais. Favorite, la Française a puisé au fond d’elle-même, lors d’une finale d’anthologie, pour s’offrir une quatrième couronne mondiale, historique dans le judo féminin français. Alpha Djalo, lui, ne passe pas les seizièmes dans une catégorie où le duel attendu, tant sur le plan sportif que symbolique, entre l’Israélien Muki et l’Iranien Mollaei n’aura finalement pas lieu. Le premier, n°2 mondial, s’impose dans cette catégorie indécise. Après deux jours où les blocs finaux nous avait offert un spectacle ébouissant, ce mercredi a été d’un niveau moindre… exceptée bien sûr la finale des -63kg, un combat d’une intensité absolue et qui restera inoubliable.

Merci Clarisse, merci Miku

Difficile de ne pas avoir des frissons et, reconnaisons-le (avec plaisir), les yeux embués en regardant Clarisse Agbegnenou et Miku Tashiro se prendre dans les bras, à genoux, alors que la Française vient de marquer un waza-ari décisif, au bout d’un étouffant et interminable golden score, synonyme de quatrième titre mondial. Un geste naturel et beau, plein d’une grâce profondément humaine, qui magnifiera encore plus ce très (très) grand moment de judo entre ces deux championnes. Qui n’a pas vibré à l’unisson ? Qui n’a pas senti les larmes se frayer leur chemin ? Deux judokates, deux adversaires dont l’amitié et le respect réciproques étaient sublimement magnifiés par l’intensité la spontanéité absolue de ce moment proprement extraordinaire. Être témoin de ce précieux partage, de cette union spirituelle et exténuée entre celle qui touchait à l’accomplissement de son immense carrière et celle qui était une nouvelle fois vaincue, renforçait l’émotion qui nous a étreint à l’issue de cette finale unique.

En mode rouleau-compresseur en éliminatoires, Clarisse Agbegnenou, maligne pour offrir son dos comme un piège, attrapait la Hollandaise Franssen en demi-finale sur un renversement de benjamine en contrôle sur le bras qui lui permettait de s’offrir une sixième finale mondiale de rang. Comme à Bakou l’année dernière, elle retrouvait la Japonaise Tashiro, victorieuse de la championne olympique Tina Trstenjak en demi-finale sur un hansokumake direct très sévère donné par l’arbitrage central. Ce dernier estimait que la Slovène dans son makikomi avait fait pression sur le bras gauche de la Japonaise, alors que c’est l’esquive circulaire de cette dernière qui contribuait à cette position. Double punition pour Trstenjak puisque, comme le veut le règlement, un hansokumake direct vous élimine de la compétition. Pas de combat pour le bronze du coup pour la championne olympique. Une décision des superviseurs à la fois très discutable et franchement désinvolte dans ses conséquences.
Comme en 2018, la finale fut d’un niveau galactique. Et comme en 2018, Tashiro se focalisait sur le bras gauche d’Agbegnenou. L’idée ? Ne laisser à aucun prix à la Française l’opportunité de lancer son bras fort, et tout le corps avec, comme elle aime le faire. Cette fois, la Japonaise allait tenir dans le temps, avec une constance et une concentration exceptionnelles. Gênée, la Tricolore ne se montrait toutefois jamais inactive avec ses tentatives de makikomi ou de ko-uchi-gari, dès qu’elle parvenait à casser la saisie. On se doutait que ce combat, ici, à un an des Jeux, allait être très difficile pour la reine française. On n’imaginait pas à quel point.

Dans le trio de tête des légendes

On basculait dans l’extraordinaire à mesure que le temps s’égrénait dans le golden score. La première attaque réussie de l’une serait le couperet de tous les espoirs de l’autre. La tension étreignait avec de plus en plus de force un Budokan suspendu. Incroyables de concentration et de rigueur malgré une fatigue grandissante, Agbegnenou et Tashiro ne faisaient tout simplement pas de faute. Alors qu’on attaquait la sixième minute du golden score, la Japonaise arrivait à monter son bras gauche pour secouer la Française qui devait baisser la tête. Second shido pour la triple championne du monde ! À 7’11, en plus des quatre minutes du temps de combat (!), on commençait à craindre la tournure des choses. On allait la voir baisser de pied, forcément… Et soudain, comme l’année dernière, Agbegnenou, formidable d’opportunisme et de sensations, encore capable d’être prédatrice à ce moment-là, lançait un makikomi à gauche en sortie d’une attaque un peu faible de Tashiro. Cette fois, elle déroulait et c’était le waza-ari ! C’était la fin d’un très grand combat, de ceux dont on se souvient dans une vie d’amateur de judo. Merci Clarisse, merci Miku de nous avoir entraînés si haut avec vous.
Attendue, la Française a su répondre présent. Et même plus que ça : depuis 2017, la vice championne olympique dégage, chaque année davantage, une plénitude solaire, une maturité irradiante caractérisée par un niveau de judo toujours plus impressionnant et l’évidence d’un accomplissement quotidien de femme épanouie, de judoka au travail et de championne en pleine maîtrise qu’elle aime partager sur les réseaux sociaux. Avec ce titre, elle entre au Panthéon du judo français. Elle est désormais l’unique quadruple championne du monde féminine française, la seule six fois médaillée mondiale, et sans compter sa médaille d’argent olympique de 2012. Elle entre aussi dans le trio de tête (si on exclut la lourde Chinoise Tong Wen convaincue de dopage) des légendes féminines de la discipline derrière la Japonaise Tamura-Tani et la Belge Berghmans. Immense respect.

Côté masculin, Alpha Djalo, après avoir battu le Thailandais Terada, subissait deux contres de l’Égyptien Mohamed lors d’un combat où, malgré sa vaillance, il se faisait cueillir avec un peu de naïveté. Toujours aucune médaille masculine. Mais avec cette médaille d’or, le compteur tricolore est désormais ouvert. Dans les jours à venir, la France alignera des chances de médaille crédibles, aussi bien chez les féminines que chez les masculins. Le meilleur est-il à venir pour l’équipe de France ? Le comportement et l’efficacité de nos deux -70kg en particulier, demain, sera déterminant pour la tendance.

Le duel Muki/Mollaei n’aura pas lieu

Tout se mettait en place pour un duel Muki/Mollaei dans cette catégorie des -81kg parmi les plus ouvertes de la compétition masculine. Chacun en demi-finale, l’Iranien et l’Israélien avaient fait montre d’un état de forme qui faisait dire qu’ils avaient vraiment tout, ce mercredi, pour aller au bout. Mais rapidement, la rumeur courait dans les travées et les couloirs. On avait vu Mollaei en larmes le matin dans la salle d’échauffement, discutant avec le staff de la FIJ et son Président lui-même. Il se disait que, sous la pression de son pays, le champion du monde iranien ne voulait plus monter sur le tapis. Conciliabule avec la FIJ qui, de son côté, défendait l’accord signé en mai dernier avec les autorités sportives iraniennes (lequel stipulait qu’elles acceptaient l’idée qu’un combattant iranien puisse combattre un adversaire israélien), une victoire politique de prestige, une avancée remarquée qui passait par le judo et qu’il n’était pas question de traiter en chiffon. Finalement on avait vu ensuite le terrible Iranien passer à travers le champion olympique russe Khalmurzaev et le multi-médaillé canadien Valois-Fortier, pourtant très en forme. Cet engagement, après les doutes exprimés par le combattant, semblait une nouvelle victoire pour la FIJ et son Président Marius Vizer, et derrière pour tout le mouvement olympique, sur la politique internationale venant s’immiscer sur la scène du sport. Les deux rivaux se retrouvaient donc chacun à un combat de la finale « historique ». Muki, manifestement tendu, ouvrait le bal en battant sur un mouvement d’épaule l’inattendu Égyptien Abdelaal (qui se contentera pour sa part de respecter la consigne de ne pas lui serrer la main à la sortie du tapis). Le n°2 mondial, finaliste à Paris, baissait considérablement de pied mais parvenait tout de même à garder son waza-ari jusqu’au bout.
Dans l’autre demi-finale, Mollaei retrouvait le champion d’Europe belge, Matthias Casse. Champion du monde juniors 2017, champion d’Europe à Minsk, ce combattant très en progrès ces derniers mois, fait partie de ses combattants qui posent problème à l’Iranien, comme aux Pays-Bas en 2017, comme à Abou Dhabi en 2018… mais cette-fois là déjà, Muki était l’homme qui venait derrière. Mollaei se montrait passif, le kumikata du Belge semblait le gêner considérablement. Et sur un passage au sol, alors qu’il était déjà mené de deux shidos, Mollaei tapait sur une clé de bras du judoka d’Outre-Quiévrain.

Comme à Abou Dhabi…

Mollaei, qui perdra, aussi, son combat pour le bronze contre le jeune Géorgien Maisuradze, alors que son adversaire avait deux shidos contre lui. Il finit donc cinquième, après avoir pourtant débuté la journée tambour battant. La logique d’une journée éprouvante qu’il aura entamé en défiant les autorités sportives de chez lui ? Des défaites intentionnelles, comme au tournoi d’Abou Dhabi ou il avait aussi échoué en demi-finale puis en place de trois, ce qui lui permettait de ne pas monter sur le podium… aux côtés de Muki ? Un mélange des deux ? Impossible à dire aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, une situation navrante et un combattant perdu dans une bataille politique, une partie d’échecs, ou de poker menteur, qui le dépasse.
Sagi Muki offre le premier titre mondial masculin à Israël en dominant nettement Casse. Une victoire méritée pour ce judoka aux fulgurants mouvements en reprise de garde, attaquant des deux côtés avec beaucoup d’impact. Une catégorie des -81kg dominée par l’Europe, le vice champion du monde japonais Fujiwara sortant dès le premier tour, pris au piège d’un Ouzbèk rugueux avec lequel il avait voulu jouer trop fin. Mention spéciale au Géorgien Maisuradze, 21 ans, troisième aux championnats d’Europe et protégé de Lasha Gujejiani, entraîneur national juniors. Un combattant de la nouvelle génération géorgienne avec les Gela Zaalishvili, vainqueur à Zagreb, Lasha Bekauri, champion du monde juniors 2018 alors qu’il n’est que première année, ou Tato Grigalashvili, vainqueur à Budapest et en bronze à Zagreb, ou encore Jaba Papinashvili, Bagrati Niniashvili… On n’a pas fini d’entendre parler de cette nouvelle vague géorgienne dans les mois et années à venir.

Le Canada se positionne

Une seule médaille pour le Japon aujourd’hui avec Miku Tashiro, l’ambition de Kosei Inoue de finir sur tous les podiums échoue ce mercredi. Le pays du Soleil Levant en est désormais, tout de même, à neuf médailles, et toujours trois titres. Le Canada passe deuxième avec le bronze d’Antoine Valois-Fortier ce mercredi, qui s’ajoute à l’or de Deguchi hier, à égalité avec la Géorgie. La France se repositionne avec le titre d’Agbegnenou, mais reste pour l’instant en retrait par rapport aux années précédentes.