Un titre et deux médailles de bronze pour la France !

Ce jeudi restera comme LA journée du judo français, ici, au Budokan. Avec trois médailles sur trois possibles, dont le titre pour l’impériale Marie-Ève Gahié, la France retrouve un rang et une place habituels, deuxième nation, que les potentialités des judokas alignés ce jeudi pouvaient laisser espérer, avec une Margaux Pinot en bronze, seulement battue par l’une des sensations du jour, la Portugaise Timo. Le même métal pour Axel Clerget, qui monte pour la seconde fois consécutivement sur le podium mondial.

Gahié, un cap de passé

Elle regarde en l’air, toute en émotion contenue. Peu expansive, Marie-Eve Gahié touche enfin ce qu’elle n’avait pu qu’effleurer l’année dernier à Bakou. Vice-championne du monde, voilà la Française une marche au-dessus, mais c’est énorme. Cinquième en 2017, deuxième en 2018, la voilà donc championne du monde après une journée lors de laquelle elle s’est montrée tout simplement intouchable, bien loin de l’impression de fébrilité laissée aux Jeux européens deux mois plus tôt.
C’est sur cette base peu stable que Marie-Eve Gahié commençait portant sa journée : un statut de n°1 française moins affirmée et une concurrence particulèrement vive venue de l’intérieur, celle de la championne d’Europe 2019 Margaux Pinot. À vingt-deux ans, une dynamique de « star montante » à retrouver sous peine d’être étoufée jusqu’aux Jeux par la génération précédente, les trentenaires Conway et Alvear ou même la Japonaise Arai, déjà 25 ans, championne du monde en titre. Mais tandis que beaucoup de ses rivales dangereuses s’effondraient rapidement (Arai, Alvear), de façon inattendue, toute en concentration et en énergie contenue, la Française traversait son tableau en ne laissant passer aucune opportunité, et gagnant quatre de ses cinq combats avec un ne-waza insolent d’efficacité ! En demi-finale, Sally Conway, pourtant réputée dans ce domaine, subissait un bras/tête d’école. En finale, la surprenante Portugaise Barbara Timo, tombeuse de la Japonaise Chizuru Arai en tableau et de Margaux Pinot en demi-finale sur deux fortes attaques, ne pouvait rien faire d’autre que de taper sur un juji-gatame parfait. Ne concédant ni marque, ni même une pénalité, la Française a dégagé la spectaculaire impression d’être irrésistible, injouable aujourd’hui. Un jeudi de rêve en forme d’avènement puisque ce titre l’amène non seulement au sommet, mais lui offre aussi, désormais, un avantage conséquent dans la course à Tokyo : deux finales mondiales, avec désormais un titre planétaire, Gahié la patronne s’affirme en favorite très crédible pour un titre olympique en -70kg.

Pinot, remarquable régularité

Margaux Pinot, bien en jambes elle aussi, mais un peu moins vive peut-être qu’à Minsk pour son titre européen, termine elle sur la troisième marche, dominée en demi-finale par la Portugaise sur un sode-tsuri-komi-goshi qui la clouait sur le dos, elle qui ne tombe jamais. On espérait la finale franco-française rêvée, elle n’aura pas lieu. Une médaille de bronze mondiale tout de même, qui clôt une saison remarquable depuis sa remontée en -70kg il y a un peu plus d’un an : trois médailles en Grand Chelem, dont une victoire à Abou Dhabi, une autre victoire au Grand Prix du Maroc et un titre continental ! La combattante de l’ESBM Judo, c’est sûr, ne lâchera rien.
Mention spéciale à la Portugaise et ex-Brésilienne Barbara Timo, vingt-huit printemps, victorieuse du Grand Prix de Géorgie mais non classée à Bakou, Minsk, Budapest et Zagreb… qui réalise une journée incroyable en réussissant tout ce qu’elle a tenté, battant coup sur coup la championne du monde en titre, la vice-championne d’Europe (la Néerlandaise Van Dijke) et la championne continentale avant de buter, juste à la fin, sur la meilleure du jour.

Axel Clerget en orbite pour Tokyo 2020

En -90kg, Axel Clerget apporte la première médaille masculine ici à Tokyo et c’est déjà une grande victoire pour lui-même et pour le groupe. Mais ce qui est le plus important encore, peut-être, c’est la démonstration bluffante de sa capacité à refaire la grande journée qu’il avait connu un an plus tôt à Bakou. À l’époque, il avait démontré par les faits qu’il n’était pas seulement un « top 10 » de la ranking, mais un homme de grands coups, un compétiteur de championnats et des meilleurs. Avec une assurance qui pouvait passer pour du volontarisme, voire un peu de bluff, surtout après son échec à Minsk, il avait balayé les mauvaises excuses (notamment sa grave blessure qui l’avait tenu éloigné de longs mois) et affirmé avec beaucoup d’assurance « qu’il se connaissait bien » et saurait se préparer pour arriver au top ici, à Tokyo. La démonstration, il vient de la faire, avec une maturité et une capacité à la performance au plus haut-niveau annoncées et assumées qui change tout à son statut. Dans une catégorie dense, mais au sein de laquelle aucun judoka ne se dégage clairement depuis le début de l’olympiade, il a très vite montré, après une mise en route difficile contre l’Anglais Chamberlain, que ceux qui n’avaient pas les moyens physiques, mentaux et techniques de lui faire face allaient tous sauter un par un devant sa constance au combat, sa pression sur les mains et dans le rythme, ses fortes attaques de jambes et ses passages au sol de cauchemar. Il se payait ainsi l’Espagnol Nikoloz Sherazadishvili, champion du monde en titre et n°1 mondial, mais transparent contre lui, écoeurait en repêchages l’Azerbaïdjanais Medhiyev, n°4, qui finissait par ne plus vouloir se lever, avant de surclasser l’étonnant « intrus » Marcus Nyman, 74e mondial, revenu seulement à la compétition cette saison (sans jamais se classer), après sa cinquième place aux JO de Rio. Un Suédois d’expérience de vingt-neuf ans (triple médaillé européen tout de même), vainqueur de grands favoris comme le Serbe Kukolj et le Hongrois Toth. Cette seconde médaille mondiale consécutive le met donc sur orbite pour viser avec beaucoup de crédibilité le dix de der : un podium olympique à Tokyo. Il est désormais en effet le seul double médaillé planétaire dans cette catégorie depuis 2017 avec le Serbe Nemanja Majdov, efficace aujourd’hui (et le seul classé dans les dix meilleurs mondiaux (cinquième), avec Noël Van T End (10e) à se retrouver sur le podium). Il est battu seulement par ce Néerlandais en quart de finale, comme aux Jeux européens. Ce jeune combattant très bien revenu cette année (finaliste du Grand Chelem du Japon, vainqueur de celui de Russie), fut le seul à se hisser au niveau d’intensité proposé par le capitaine de Sucy et à finir par le bousculer assez pour marquer le waza-ari décisif.

Van T End, le plus fort

C’est sur ce modèle d’engagement que le Néerlandais ira jusqu’au bout, triomphant en finale du Japonais du jour, Soichiro Mukai, qui n’était pas non plus une tête de série. Dans ce jeu de ball trap où presque aucun des hommes forts du moment ne sort de son quart, le Batave, vingt-huit ans, jamais médaillé européen ni mondial auparavant, va chercher son premier titre planértaire avec les dents, confirmant la « prophétie » d’Axel Clerget avant de venir ici : « ce n’est pas un problème de ne pas être tête de série, la victoire ira à celui qui sera bon le jour J ». C’est sur un coup de volant rageur à droite à trente secondes de la fin qu’il surprend le Japonais, lequel s’effondrera en sanglots sur le tapis central pour de longues secondes, sans doute bien conscient d’avoir laissé passer sa chance dans une catégorie où le champion olympique en titre, le Japonais Mashu Baker, attend tranquillement son heure. Un casse-tête pour les parieurs à un an de Tokyo.

La France engrange

Voici donc la France à quatre médailles dont deux titres. Avec Clarisse Agbgegnou et Marie-Eve Gahié, notre judo touche juste à un an des Jeux, avec deux féminines dont le sacre mondial est un tremplin parfait pour rajouter très vite le titre olympique. De quoi donner des idées à Madeleine Malonga, Cyrille Maret et Alexandre Iddir demain, et ainsi aller « titiller » le pays hôte, sur ces championnats du monde, au moins au nombre de titres mondiaux.  Audacieux, mais encore comptablement possible : le Japon, qui passe aujourd’hui à quatre médailles d’argent en plus des trois en bronze, reste à trois titres. Il ne manquera cependant pas d’opportunités d’augmenter ce score sur les deux jours qui viennent… À suivre !