Cinquantième édition du Tournoi de Paris, cette cuvée restera comme un évènement au parfum singulier, inhabituel voire unique. Un Grand Chelem de Paris au mois d’octobre ? Sans ses stars nationales, avec un tirage au sort à l’algorithme qui offrait des combats russo-japonais dès les premiers tours (et donc sans possibilité de repêchage), mais avec tout ce qu’elle compte de jeunesse ambitieuse et prometteuse ? Une configuration plutôt baroque comparée à l’aura de ce tournoi considéré sans doute à juste titre comme « le plus grand du monde » sur le circuit, pour sa densité infernale et son ambiance éruptive.
Un week-end où la jeunesse aura, effectivement, posé des jalons à court ou long terme. Japonaise bien sûr, puisque le pays fondateur de notre discipline avait fait honneur à cet anniversaire symbolique en envoyant une délégation d’excellent niveau. Française également avec, cerise sur le gâteau la prestation du grand frère Cyrille Maret, dans son jardin, ici à Bercy. Ou bien encore la jeunesse russe et israélienne. Bref, un cinquantenaire en forme de pépinière mondiale.
-Certains noms seront à Paris 2024 ou peu s’en faut. Nous vous l’annoncions et les prestations des équipes de Katsuyuki Masuchi et Keiji Suzuki l’ont confirmé. Avec sept titres pour onze médailles, le Japon n’a pas fait le voyage pour rien. Wakana Koga (-48kg), Haruka Funakubo (-57kg) et Takeshi Sasaki (-81kg) font les plus fortes impressions. Le demi-finaliste du Zen Nihon 2020 restera comme le grand bonhomme du dimanche avec un uchi-mata sukashi en demi-finale éblouissant de feeling, avant de surclasser, presque de manière effrayante, le Géorgien Tato Grigalashvili, un des « monstres » de la catégorie. Pas à son pic de forme, le vice champion du monde reste tout de même un énorme client que Sasaki a pulvérisé en trois séquences. Le début de la renaissance pour l’ancien capitaine de Tsukuba ? Intenable fin 2018, le Nippon a visiblement appris de sa traversée du désert. Moins impétueux, plus clinique qu’il y a à trois ans, sa prestation du jour donne déjà envie de le voir sur des championnats du monde. Funakubo, 23 ans, triple championne du monde juniors sera également à surveiller, avec un ne-waza infernal comme arme principale. Wakana Koga, enfin n’a que 20 ans mais est déjà vice championne du monde en titre. Hier, elle était sans rivale.
-Choix avait été fait d’aligner une équipe de France jeune, dans sa très grande majorité. Au final, les Tricolores terminent à quatorze médailles, avec des « jeunes » qui, pour une bonne part auront su saisir la chance, voire même le privilège qu’il leur était offert de combattre à Bercy. Il y a bien sûr la formidable génération « juniors » avec les médailles de Léa Fontaine, Coralie Hayme, Romain Valadier-Picard ou les places d’honneur de Faiza Mokdar, Chloé Devictor ou Martha Fawaz. À peine ou un peu plus vieux, Tizie Gnamien, Cédric Olivar ou Alexis Mathieu terminent également au pied du podium.
Le hic de ce bilan comptable flatteur tient dans l’absence de titre, une première dans l’histoire française lors de l’organisation de « son » tournoi.
Certes, les médaillés olympiques ou mondiaux n’étaient pas là. Reste que la densité moindre de cette cinquantième édition compensait le désavantage de ces absences. D’autant que plusieurs catégories masculines (-66kg, -73kg, -81kg) comptaient, du moins pour le staff, en son sein les candidats les plus crédibles à une titularisation pour les grandes échéances continentales ou mondiales.
Un défaut de titre que plusieurs parcours marquants auront presque réussi à faire oublier. Il y a bien sûr celui de Cyrille Maret. Le grand frère de 34 ans, désormais en +100kg et triple vainqueur de l’épreuve dans sa catégorie fétiche des -100kg. Venu se faire plaisir, le néo-Génofévain se hisse en finale après une demi franco-française contre Joseph Terhec (finalement en bronze, sa première médaille en Grand Chelem) à l’issue de laquelle l’émotion submergea les deux amis, en pleurs et dans les bras l’un de l’autre. L’un des moments inoubliables de ce tournoi.
Partenaire de club du médaillé olympique, Théo Riquin, 22 ans, offre la belle histoire du samedi au public parisien. Jamais médaillé sur le circuit FIJ, le Poitevin d’origine aura marché sur l’eau comme il le dit lui-même pour battre coup sur coup Denis Iartcev (3e des Monde 2019) et Somon Makhmadbekov (cinquième sur ce même évènement et champion du monde juniors quelques mois après). Tout en feeling, clairement plus solide d’un point de vue physique, le -73kg français offre l’une des plus belles surprises du week-end.
Chez les féminines (huit médailles dont trois en argent), il y a les habituées du circuit (Clément-Legoux, Boukli, Gneto, Tolofua) puis les nouvelles comme Manon Deketer (-63kg) et son hadaka-jime, Blandine Pont (-48kg), qui confirme son premier titre en Grand Prix obtenu à Zagreb ou les juniors qui surfent sur leur dynamique.
-Une Russie où les déçus des JO se sont remis déjà sur les rails. Chez les masculins, les non-sélectionnés Arman Adamian, 24 ans seulement, (-100kg) et Inal Tasoev, 23 ans, (+100kg) dominent leur sujet toute la journée alors que la -78kg, Aleksandra Babintseva, seulement septième au Budokan fin juillet, a fait parlé sa puissance physique au service d’un judo plus structuré et moins maladroit. Chez la jeune génération, le -60kg, Ramazan Abdulaev, 23 ans également, 3e à Tel-Aviv et Kazan, termine en argent. Une catégorie où il faudra surveiller également Konstantin Simeonidis, champion du monde juniors 2019.
-Israël se positionne troisième nation grâce à ses féminines « jeunes ». Gefen Primo, 21 ans, double médaillée continentale (2018 et 2021) et médaillée mondiale en juin s’impose en -52kg avec un sens de l’opportunisme déjà parfaitement affirmé. Raz Hershko, 23 ans, domine Léa Fontaine en finale des +78kg à coup de dangereux ko-uchi makikomi à gauche.
Un tournoi de Paris en forme de genèse pour des judokas qui, qui sait, auront débuté ici leur olympiade les menant vers la gloire olympique. Il faudra alors se souvenir que tout a commencé ici.