Deux petites médailles en tout et pour tout pour la France à Düsseldorf

Audrey Tcheumeo, en bronze au Grand PRix de Dusseldorf de judo 2014 / Photo officielle IJF

Même si toutes les catégories n’étaient pas alimentées en combattants français, la délégation France avait de beaux atouts aujourd’hui et pouvait encore convertir son tournoi d’Allemagne en réussite. On attendait avec intérêt l’affrontement en -90 kg entre Alexandre Iddir (Levallois SC), le champion de France et espoir attendu au meilleur niveau depuis un moment, et Romain Buffet (US Orléans-Loiret JJ) le représentant de la France aux Jeux, pleinement revenu dans la course depuis les championnats de France. À Paris, Iddir avait échoué rapidement et se trouvait en Allemagne au pied du mur. Buffet s’était montré à son avantage à Paris, mais encore un peu trop loin d’un grand podium qu’il comptait bien s’offrir ce podium en Allemagne pour s’ouvrir une vraie voie vers le championnat d’Europe, et plus si affinitées.
Même belle opposition en -78 kg, avec la révélation du tournoi de Paris, la (forcément) jeune championne d’Europe et médaillée mondiale 2013 Madeleine Malonga (Levallois SC), et la « patronne » de la catégorie, Audrey Tcheumeo (Villemomble Sports), toujours très forte, mais un peu flottante dans sa concentration et en difficulté pour récolter l’or dans les grands rendez-vous. Humiliée chez elle par la Néerlandaise Steenhuis, 35e mondiale, la Française 3e mondiale, médaillée olympique et mondiale, devait reprendre le fil des victoires.
Enfin en +78 kg, Emilie Andeol, remarquable finaliste à Paris, mais cinquième « seulement » à Rome la semaine suivante, devait ajouter une étape positive à ses travaux d’Hercule au féminin, en continuant à empêcher les filles moins bien classées qu’elle de lui mettre la main dessus, et en tachant d’accrocher à son palmarès une des quatre meilleures mondiales.

Iddir n’y arrive pas

De ces enjeux, rien ne fut validé. En -90 kg, Alexandre Iddir était surpris d’entrée par un jeune homme de 22 ans qu’on voit de plus en plus, Noel Van T End, néerlandais, récent finaliste à Abou Dhabi et désormais 21e mondial. Et c’est ce combattant en pleine bourre qui allait projeter pour ippon le Français, ramenés à ses doutes. Deux premiers tours à Paris et en Allemagne, c’est une bien mauvaise mise en orbite pour l’année 2014, et c’est le moins qu’on puisse dire. Seule consolation, mais plutôt du genre à retourner le fer dans la plaie, le Néerlandais ne s’est pas arrêté là. Ce jeune homme de la même génération qu’Alexandre Iddir – il avait perdu au 2e tour du championnat d’Europe juniors où le Français avait fait cinquième – est en train de monter en puissance à la façon dont on l’attendrait du très beau combattant qu’est Iddir. Vainqueur d’de celui-ci d’entrée, il battait ensuite le Kyrgyze Mamedov et le solide Géorgien Gogotchuri, tout récent vainqueur en Autriche et 19e mondial, le tout par ippon. Son gros coup ? Battre en demi-finale le Japonais Nishiyama, tout juste de retour et un peu trop sûr de lui, qui subissait le spécial efficace du Néerlandais, un ko-uchi-makikomi ultra-explosif. De son côté Romain Buffet faisait encore une fois son chemin dans un style « buffetien », avec sa garde envahissante en haut, la jambe engagée en bas, toujours à presser en o-soto-gari, avec des sumi-gaeshi qui rappelent un peu Mathieu Daffreville. Il battait le Lithuanien Bauza (19e) au premier tour au golden score, profitait de la disqualification rapide du Russe Panasenkov (51e), dominait encore le jeune Ouzbek Doniyorov (15e), finaliste au Grand Chelem de Russie et au Grand Prix d’Ouzbekistan. En demi-finale, fini de rire, Ilias Iliadis (4e) le clouait au sol après un rugueux dégagement de jambe et le Géorgien Gogotchuri (18e), pas du tout gêné par son style, le catapultait en ura-nage en trente secondes. Du travail en perspective pour Romain Buffet, c’est sûr, mais il est néanmoins cinquième de ce Grand Prix, marque encore quelques points et fait de belles perfs, lui qui n’est après tout pour l’instant que 81 mondial, loin derrière Gobert, Iddir, Clerget, et se trouve aujourd’hui grâce à ces parcours successifs, tout prêt de la place de leader de la catégorie en France. Finalement pas un si mauvais week-end.

Velensek, la meilleure en Europe en -78 kg ?

Madeleine Malonga a joué une nouvelle fois sur ses atouts, garde haute et agressive qui valorise sa taille et son physique, attaque rapide en première attention, o-soto-gari ou harai-goshi… De quoi passer une nouvelle fois trois beaux tours, contre la Brésilienne Soares (50e) une fille de sa génération puisqu’elle est troisième des derniers championnats du monde juniors dont Malonga a fait la finale, la Mongole Battulga (20e), troisième des Jeux d’Asie, l’Allemande Ziech (79e) juste après que cette dernière l’ait débarassé, à la surprise générale, de la Hongroise Joo, 2e mondiale, mais en roue libre depuis que la FIJ a suspendu son coach pour un an ferme pour « mauvais comportement ». La fête s’est arrêtée là. L’Allemande Luise Malzahn parvenait à contrer son o-soto-gari pour ippon et elle ratait sa place de tois contre l’Anglaise Natalie Powell. Celle-ci était pourtant copieusement dominée et traversée par les grandes attaques de la Française au point d’être menée d’un waza-ari et d’un yuko, mais alors que Malonga ontinuait sur la même stratégie, elle parvenait à  contrôler une nouvelle attaque un peu trop généreuse et à contrer vers l’arrière. À l’arrivée au sol, Malonga n’avait pas le réflexe de gainer le corps et de fermer et donnait à la fois le ippon et l’osae-komi – les deux annoncés par l’arbitre. La française était 35e à la ranking avant Dusseldorf et l’Anglaise, qui glâne des points un peu partout depuis longtemps est 14e. Mais la contre-performance est nénamoins du côté de Malonga. Tout juste sortie des juniors, la nouvelle recrue de Levallois se situe assez clairement déjà dans le top 20 mondial, plutôt du côté du top 10. L’avenir montrera si, dans son style, elle peut aller rapidement encore plus haut… ou pas. Audrey Tcheumeo faillit bien de son côté connaître la même mésaventure et finir 5e. Elle dominait la Russe Kachorovskaya (24e) et la Croate Maranic (16e) avec autorité avant de retrouver sa rivale slovène Velensek, celle-là même qui l’avait battue en demi-finale des derniers championnats d’Europe. On peut dire qu’elle ne se rassure pas : au contraire même, la victoire rapide et autoritaire de la Slovène par un grand mouvement de hanche valant déjà ippon et poursuivi au sol, sonnait comme un défi un peu insolent, une façon de montrer que la nouvelle patronne de l’Europe, c’est elle. En place de trois, face à la Chinoise Zhang Zhehui, médaillée d’Asie 2012 et 2013, mais absente du circuit depuis près de deux ans, Tcheumeo voyait l’enfer s’ouvir en commençant par se faire surprendre au sol, défendant mal sur une poussée et ne devant son salut qu’à une réaction un peu tardive, mais puissante. Menée yuko, elle finissait par trouver la faille sur un beau avant-arrière où elle plaquait la Chinoise au sol avec la cuisse. Sortie du traquenard, on voyait Audrey Tcheumeo manifester ses émotions mêlées, à la fois la satisfaction d’avoir gagné ce combat, mais aussi une sorte de frustration rageuse à se trouver dans cette situation, pas tout à fait digne de la numéro un dominatrice qu’elle a été en 2011, trois ans déjà. De ses grandes rivales de naguère, l’Américaine Harrison est passée en -70 kg, la Japonaise Ogata est désormais 35e mondiale, il ne reste que la Brésilienne Aguiar, mais elle n’est plus sortie depuis sa troisième place à Rio. Désormais les adversaires à considérer sont en Europe et elles s’appellent Velensek, Joo, Verkerk. La Slovène, la Hongroise et la Néerlandaise qui l’ont toutes les trois battues en 2013 et 2014, auxquelles on peut ajouter la championne d’Europe juniors 2013, Steenhuis, qui bat Tcheumeo à Paris. De quoi même s’inquiéter pour un podium européen.

Yu Song, toujours la même chanson

Emilie Andeol, dernière représentante française, la « stakhanoviste » des +78 kg. Présente à Paris, Rome et Dusseldorf, trois grands tournois en en quinze jours, elle commence peut-être à avoir du mal à se reconcentrer. Elle battait en effet logiquement Rochele Nunes, 21e mondiale et 2e Brésilienne de la catégorie, mais elle avait la mauvaise surprise ensuite de se faire contrer brutalement en ura-nage par l’Allemande Jasmin Kuelbs, 9e mondiale, et se faisait écraser au sol en mode rouleau compresseur en repêchages par la Chinoise Yu Song, 11e mondiale. Le judo de Yu Song n’est pas très fin et il rappelle, dans ses aspects les plus rugueux, celui de la fameuse Tong Wen, convaincu de dopage avant les Jeux olympiques de 2012. Le retour de la Chine sur ses fondamentaux ? Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour Emilie Andeol qui voit une nouvelle adversaire « inaccessible », s’installer entre elle et un podium mondial…

La saison est à peine engagée et on a parfois vu l’équipe de France féminine prête un peu tôt. Ce n’est pas le cas cette année. Rendez-vous donc aux championnats d’Europe pour mettre les pendules à l’heure, à l’heure de Chelyabinsk, le prochain grand rendez-vous mondial.

Kamikawa, le retour du tueur de roi ?

On a encore beaucoup vu le Japon ce dernier jour. Si le brillant Daiki Nishiyama n’a semble-t-il pas retrouvé sa vivacité d’il y a trois ans, il est tout de même troisième en -90 kg, ce qui permet au Japon d’épauler la jeunesse prometteuse de Masyu Beker dans cette catégorie. Megumi Tachimoto a affiché une domination insolente en poids lourds, alignant les grands ashi-guruma très purs. Enfin, et c’était le plus beau spectacle du jour, Daiki Kamikawa en +100 kg a rappelé à ceux qui l’avait oublié qu’il est sans doute l’un des plus étourdissants techniciens actuels. Daiki Kamikawa ? L’ « homme qui a battu Teddy Riner » au championnat du monde de 2010 – où il avait fait un numéro incroyable en expédiant notamment dans les heures Suzi et Toelzer, rien que ça – et qui a sans doute eu du mal à s’en remettre puisqu’il a fait ensuite tout ce qu’il fallait pour qu’on l’oublie, alignant les prestations misérables. Le voilà de retour et en première classe ! Il explose tout le monde à coups de judo, de grands uchi-mata ou ashi-guruma classiques merveilleux. Même l’énorme numéro un mondial Rafael Silva aura le droit à son vol plané, sur un contre de o-soto-gari venu d’une autre planète, quasi incompréhensible. Dommage, on soupçonne encore chez Kamikawa la même incapacité à se faire vraiment violence, à aimer vraiment gagner des combats internationaux et à vraiment dominer les enjeux tactiques. Mais quel judoka ! Et sur le plan physique, sur le plan de la solidité à la garde, il semble avoir beaucoup progressé. Shichinohe, vainqueur à Paris ? Kamikawa, vainqueur à Dusseldorf ? Les Japonais ont manifestement trouvé des prétendants solides au poste de poids lourds. Mais pour aller jusqu’où ? Et le Japon affiche aussi un manque cruel de prétendant en -100 kg où Ono est toujours le représentant le plus crédible (et malgré ses échecs précoces  à Tokyo et Paris). À Dusseldorf, Masubuchi perd au premier tour. Et en -78 kg où Ogata semble avoir explosé en vol depuis des Jeux cauchemars à Londres, où Sato reste en retrait et où la championne du monde juniors Umeki, victorieuse à Rome, est encore bien jeune.

Iliadis et Correa

Dans la série des retours, il y a celui, éternel d’Ilias Iliadis en -90 kg. Sûr de lui et de sa force, il a une nouvelle fois traversé la catégorie pour finir sur un énorme uchi-mata, une projection classique d’une facture parfaite, en finale contre le Néerlandais Van T End. La projection était si ample… que le score ne fut que d’un yuko. Mais le plus beau yuko de la compétition, est de loin !                       
Le champion du monde 2007 des -100 kg, Luciano Correa, malgré ses 31 ans, se verrait sans doute bien à Rio dans deux ans. Il a repris le collier à l’entraînement et vient d’aligner deux tournois en or, l’Autriche la semaine dernière et l’Allemagne ce week-end. Même si son finaliste à Dusseldorf, le Kazakh Rakov, ne s’est pas présenté, c’est le signe tout de même qu’il faudra compter avec lui.
Velensek a-t-elle gagné finalement la catégorie des -78 kg ? Non car elle est surprise par la combattante du crû, la blonde et souriante Luise Malzahn qui réussit, malgré la pression de son adversaire, à la faire tomber sur un joli tani-otoshi.

Japon, Russie, Allemagne

Malgré cette dernière victoire, l’Allemagne chez elle – avec trois médailles d’argent, trois médailles de bronze, mais une seule médaille d’or, passe derrière un Japon puissant – six médailles d’or, dont quatre pour les hommes – et la Russie des filles qui se montrent pour la première fois à ce niveau sur un grand tournoi avec ce groupe naissant. Deux médailles d’or, une médaille de bronze, Dusseldorf était manifestement une étape dans leur montée en puissance.